Chansons réécrites, chorégraphies, fanfare, slogans … Les manifestants du cortège bordelais ont fait preuve de créativité pour protester contre la réforme des retraites en ce dixième jour de mobilisation, mardi 28 mars.

⌛10 minutes

Béret vissé sur la tête et gilet orange de la CFDT sur le dos, Guy Rambaud profite des derniers instants avant le départ de la manifestation contre la réforme des retraites pour réviser ses chansons. Dans quelques minutes, il sera micro à la main en train de chanter ses classiques et haranguer la foule en suivant le camion de son syndicat.

À quelques minutes de son entrée en scène, le retraité de 80 ans ne semble pas avoir le trac.

« J’ai souvent animé les réunions, parlé durant les conférences avec un micro dans les mains. Maintenant, je chante et les gens reprennent certains des slogans »

Guy Rambaud, l’un des paroliers à la CFDT

Au programme, Les Corons de Pierre Bachelet, le chant révolutionnaire popularisé par la série La Casa de Papel, Bella Ciao ou encore Le Coach de Soprano. Autant de chansons réécrites pour faire passer le message du syndicat, opposé à la réforme des retraites.

« Lutte et culture ont toujours été liées »

Comme Guy, ils sont plusieurs à donner de la voix aux allées Tourny, point de départ de la manifestation intersyndicale contre la réforme des retraites à Bordeaux ce mardi 28 mars. Une réforme qui donne des ailes créatives à certains manifestants.

« Lutte et culture ont toujours été liées, précise Jean, qui sera aujourd’hui l’une des trois voix derrière le micro du syndicat Solidaires avec ses collègues Peggy et Julie. Pour les réécritures des chansons, c’est quelque chose de collectif, cela permet de faire passer notre message aux gens qui nous suivent et d’être ensemble. »

Au son répété de la corne de brume jouée par un vieil homme, le cortège bordelais de cette dixième journée de mobilisation nationale se met en marche. Comme lors des sorties précédentes, les messages politiques contre la politique du Président de la République Emmanuel Macron et de sa Première ministre, Elisabeth Borne, s’affichent sur les pancartes des protestataires.

« Plus borné que toi, Elisabeth »

Et il y en a pour tous les goûts. Certains manifestants sont succincts, seul un grand « NON » est estampillé sur leur bout de carton.  Il y a aussi les philosophes : « Ils ont essayé de nous enterrer, ils ne savaient pas que nous étions des graines », les vindicatifs : « Archéologues, passés 64 ans, les vestiges, c’est nous » », les sulfureux : « Poubelles au feu, réforme au milieu », les taquins : « Plus borné que toi, Elisabeth », les technologiques : « Macron GPT : intelligence (très) artificielle ». Enfin restent les propos plus salés que, par pudeur, nous épargnons aux yeux pleins d’innocence de notre lectorat.

Le cortège continue son avancée et les premières notes de la fanfare Los manifiestos finissent par résonner. Un nom de circonstance pour ces joueurs amateurs issus de plusieurs fanfares.

« On a une discussion commune, et quand nous sommes assez nombreux, nous venons ensemble », dévoile Gauthier, trompettiste aujourd’hui et dentiste de métier, en grève pour la journée. Pour lui comme pour les autres membres de la troupe, jouer en manifestation est un acte militant dont l’objectif est simple : « faire passer un bon moment aux gens pour que le défilé soit plus joyeux ».

La danse dans la peau avec les Rosies

Une volonté partagée par le collectif les Rosies. Difficile de les louper : sono à fond, paroles détournées et vaste répertoire chorégraphique, elles font forte impression à chaque défilé. « On donne un autre visage de la manifestation, plus jeune. Ca permet aussi de montrer qu’on peut avoir du fond et passer un moment plutôt festif », déclare Célia, professeure des écoles. Elle est déjà en uniforme de travail bleu et bandana rouge accroché dans les cheveux.

Une référence stylistique à Rosie, la riveteuse, icône américaine devenue un symbole féministe utilisée pour promouvoir l’arrivée des femmes dans les usines durant la Seconde Guerre mondiale quand les hommes étaient sur le front.

Freed from Desire revu et corrigé

Juchée à l’arrière de la camionnette du syndicat de la  F.S.U., Célia s’applique à reproduire les mouvements des chorégraphies apprises grâce à des tutos en ligne envoyés par le syndicat Attac, instigateur en France de cette nouvelle façon de manifester.

En face d’elle, plusieurs dizaines de femmes, vêtues comme elle ou non, reproduisent ses gestes. Le tout sur des morceaux visant la réforme des retraites et mettant l’accent sur l’égalité entre les sexes.  Quand l’hymne revendiqué par l’équipe de France de Rugby et de Football, Freed from desire de Gala retentit, les paroles sont claires sur les intentions. « Le gouvernement déraille, on rentre dans la bataille, ils ne sont pas de taille ».

À la fin de chaque chanson, tout le monde s’applaudit. Certains vont se réapprovisionner en « punch de la lutte » proposé par le syndicat en écoutant les messages des organisateurs dénonçant, entre autres, les violences policières.

« Je suis à la manifestation pour l’ambiance ! »

Devant les Rosies, c’est aussi la foule des grands jours. Une grosse centaine de manifestants de tout âge s’agglutinent pour assister à la performance des membres d’AG féministe 33. Une chanteuse équipée d’un micro, deux autres aux mégaphones entourées par un cordon de sécurité proposent un véritable concert. Emportant la foule avec elles, les chanteuses de l’après-midi scandent des slogans et des chansons repris en cœur par une foule dansante. Avec, comme toujours, les mêmes cibles : Emmanuel Macron, la réforme des retraites et l’inégalité hommes-femmes. 

Une recette qui semble plaire à Klara, étudiante en sociologie à l’Université de Bordeaux. « Avec elles, c’est la fête toute l’après-midi, je ne sais pas si je viendrais si elles n’étaient pas là ».« C’est génial, je suis à la manifestation aussi pour l’ambiance », abonde Laure, ingénieure-chercheuse. Même si les deux femmes ne sont pas de la même génération, elles profitent ensemble de ce moment de partage.

Comme elles, plus de 80 000 personnes selon l’intersyndicale, 10 000 selon la préfecture de la Gironde, ont pris part à ce cortège festif et animé, accompagnées par le bruit des pétards qui éclatent à intervalles réguliers. Des images de lutte militante, créative et pacifique qui contrastent avec les scènes de guérilla urbaines diffusées en boucle sur la plupart des plateaux télé. 

✏️ Guillaume Fournier 
📸 Antoine Deguil

1 commentaire

Commentaires désactivés.