Du 5 avril au 25 mai, la capitale des Deux-Sèvres, sous l’impulsion de la Villa Pérochon, centre d’art contemporain photographique labellisé d’intérêt national, propose un parcours en six expositions dédiées aux talents émergents. Au programme : expositions, résidences, ateliers, installation, journée professionnelle, concert, table ronde et une invitée d’honneur, Kourtney Roy. Philippe Guionie, directeur de la Villa Pérochon, nous en dit plus.
En avril 2024, le ministère de la Culture vous a nommé à la direction de la Villa Pérochon, à la suite du départ à la retraite de son fondateur, Patrick Delat. Votre projet affirme une conception de la photographie contemporaine « ouverte et engagée ». Qu’est-ce à dire et, plus encore, à voir ?
Par son label de centre d’art contemporain photographique et son histoire, la Villa Pérochon a fait de la photographie son médium exclusif, or je veux aller plus loin. Lorsque je parle de photographie « ouverte », je souhaite une plus grande variété de photographies montrées au public, des horizons nouveaux, de nouveaux territoires souvent peu représentés comme l’Asie, l’Afrique, l’Amérique du Sud. Soit une ouverture plus grande tant sur la forme que sur le fond. Je désire une pluralité des formes plastiques et plus de transversalité dans les esthétiques en lien avec la musique ou l’installation par exemple.
L’ambition est de varier la façon de montrer autrement la photographie. Lorsque je parle d’« engagement », cela signifie privilégier des photographes — en résidence ou en exposition — interrogeant le monde avec un sens politique, du sociétal à l’environnement. Un centre d’art doit être au cœur des enjeux sociétaux et chercher une sensibilité en croisant notamment avec le monde scientifique.
L’objectif, c’est aussi trouver des profils différents, des gens qui ont des choses à se dire pour aboutir à une iconographie partagée, convoquer des mondes qui échangent peu mais peuvent, paradoxalement, trouver ensemble. La photographie peut poser des questions, or ces questions doivent être partagées par le plus grand panel de protagonistes. Je suis fermement convaincu par la nécessité d’une intelligence collective. Que tout ce que l’on montre ici soit du récit sensible et plus engagé encore.
La Villa Pérochon est un espace de réflexion, de pratique et de prospective pour renforcer les publics qui s’y croiseront. Je revendique le volontarisme dans ce slogan qui est aussi un manifeste ambitieux mais réaliste.
Photographe, ancien membre de l’agence MYOP, auteur de plusieurs ouvrages, enseignant à l’école de photographie (ETPA) et à l’école de journalisme (EJT) à Toulouse, vous revendiquez une pratique documentaire. Ce tropisme va-t-il irriguer les Rencontres de la jeune photographie internationale à Niort ?
La future programmation des Rencontres et de la Villa ne relève certainement pas du simple fait de son directeur. Certes, je suis issu de cette école « documentaire », j’y reste très sensible, mais refuse de m’y cantonner.
Je dois aller au-delà de mes goûts personnels, sortir de ma zone de confort. La photographie documentaire engagée sera évidemment présente, mais pas exclusivement ; ma mission transcende mon propre parcours. Le spectre doit rester ouvert.
Vous écrivez dans votre éditorial : « Les photographes sont souvent les témoins privilégiés de nos questionnements et apportent leurs regards distanciés et novateurs. » Est-ce toujours vrai en 2025 ?
Nos invités le démontrent clairement. Les questionnements portés par leurs regards désignent et montrent des choses nécessaires pour réfléchir, y compris sur des sujets déjà représentés. Je souhaite encourager, au nom du message, cette distance créative. Je le répète : je crois à l’association entre le fond et la forme.
Nous avons plus que jamais besoin de propos photographiques engagés, de visions créant de nouveaux récits. Les photographes qui savent s’entourer, fédérant des enjeux et des énergies autour de leurs travaux, me fascinent. J’apprécie d’être surpris, désorienté. J’aime également les prises de risque. Aussi, la Villa Pérochon sera-t-elle présente en écho à leur subjectivité totalement assumée.
L’invitée d’honneur de cette édition est la photographe canadienne Kourtney Roy, dont le travail, par certains aspects, évoque Cindy Sherman et Nan Goldin. Comment la présenteriez-vous au public ?
Ces références sont totalement assumées et revendiquées par l’intéressée ! C’est notre première invitée. Elle n’était jamais venue à Niort. De même son esthétique outrageusement « pop » n’a jamais été représentée ici.
C’est aussi la première fois que le public aura le sentiment d’une « vraie » rétrospective, conçue à partir de 4 parcours thématiques, dans une œuvre toujours en construction. Une immersion dans un travail qui (se) joue avec les codes du cinéma ; une espèce de mise en scène faussement chorégraphiée où le Je et le Jeu se rencontrent. Je goûte particulièrement à ce décalage.
De prime abord, voilà une photographie assez simple, or, les questions soulevées sont des questions de fond et l’effet perturbant. L’idée est de faire bouger les lignes sur la présence dans l’espace public mais aussi l’identité. Ces récits de femmes constituent par ailleurs un pari. Enfin, je ne la programme pas parce que je pense que c’est le bon moment de la programmer ici et maintenant…
Vous accueillez sur les sites du Séchoir-Port Boinot et du Pilori « Belgomania, focus sur la photographie émergente de la Fédération Wallonie-Bruxelles ». Pourquoi ce choix d’une exposition collective consacrée aux talents belges ?
Hormis quelques figures comme Harry Gruyaert, la photographie belge demeure, hélas, méconnue en France. Je désirais inviter une certaine jeune photographie belge, qui monte depuis une décennie.
Elle interroge le monde à travers des esthétiques totalement assumées sur la couleur, la surface, la matière. La dimension collective chez ces 25-35 ans est très présente. J’avais envie d’accueillir le plus grand nombre possible de points de vue sur les enjeux contemporains.
Par ailleurs, j’ai toujours été extrêmement sensible aux expositions collectives. Ces jeunes gens s’intéressent aux mêmes choses mais ne font pas la même chose ! Voici un focus complet à l’instant T. Une première pour cette génération à la Villa Pérochon et donc en France. En outre, la Belgique si loin, si proche, c’est une espèce de déclaration d’amour.
400 dossiers de candidature reçus pour la résidence, seulement 6 retenus (Joan Alvado, Jasper Cao Yi, Mélanie Dornier, Melody Garreau, Henri Kisielewski, Tanguy Müller). N’est-ce pas vertigineux ? Ne redoutez-vous pas de passer à côté de ?
Évidemment, toutefois nous ne sommes pas dans la culture du record ! Cette année, nous avons été plus exigeants dans la sélection ne retenant que 6 candidatures afin de mieux les accompagner.
Cette sélection, ô combien délicate, oblige dans le choix avec le risque de faillir. Cependant, j’assume pleinement le fait de passer à côté de la pépite.
Les critères exprimés en amont étaient très clairs : un portfolio exprimant un parcours et une personnalité, une émergence qui ne tient pas compte de l’âge, une dimension internationale, une diversité des pratiques.
Avec « Jeunesse niortaise », vous confiez à Jeanne Lucas — une enfant du pays — une espèce de carte blanche au long cours, 3 ans, afin de suivre les adolescents (15-18 ans) de la « capitale des assurances ». Quelle est la motivation de cet ambitieux projet ?
L’invitation lancée à Jeanne Lucas, c’est celle que l’on adresse à une photographe qui n’a jamais fait ça auparavant. Elle quitte clairement son domaine de prédilection, la photographie de mode. Je considère qu’il est de notre rôle de solliciter un photographe dans un rôle à contre-emploi.
Il y avait, en outre, chez elle la conviction de revenir dans sa ville natale pour un travail en immersion, dans lequel elle retrouve les usages et les codes d’une photographie de proximité. Je fais le pari d’un feuilleton, d’une saga pour aller en profondeur. Cela va fédérer un groupe, une génération s’offrant au regard d’une photographe.
Un matériau qui, je l’espère, ouvrira des perspectives autres que celles de la pratique photographique car questionner les 15-18 ans de Niort, c’est questionner les 15-18 ans de la France des années 2020.
Propos recueillis par Marc A. Bertin
Informations pratiques
Rencontres de la jeune photographie internationale,
du samedi 5 avril au dimanche 25 mai,
Niort (79).