Avec « Peindre le Brésil moderne », le musée Guggenheim Bilbao propose jusqu’au 1er juin une passionnante rétrospective de Tarsila Do Amaral, artiste aux œuvres envoûtantes.

Bien que moins connue que les stars de football Neymar Jr., Ronaldinho ou Pélé pour les nostalgiques, Tarsila do Amaral (1886-1973) est une artiste qui sait jongler comme personne. Pas de ballon rond ici. L’artiste, décédée à l’âge de 73 ans, a su épouser différents styles picturaux. Comme les esthètes sportifs précédemment cités, elle a fini par trouver sa signature : un trait limpide pour des œuvres puissantes et teintées de surréalisme. Une figure de proue du modernisme brésilien.

Une carrière hors norme raconté de façon détaillée au musée Guggenheim Bilbao avec « Peindre le Brésil moderne », exposition temporaire co-organisée avec le Grand Palais-Réunion des musées nationaux (RMN) [avant d’arriver en terre basque, cette monographie était visible au musée du Luxembourg à Paris, NDLR].

Diversité culturelle fondatrice

Sa singularité, Tarsila do Amaral la développe notamment à Paris, au début des années 1920. Issue d’une famille cultivée de grands propriétaires terriens de la région de São Paulo, elle entreprend son premier voyage d’étude en 1920 dans la capitale française. S’ensuivront des allers-retours entre le Brésil et la France, lui apportant la diversité culturelle fondatrice de son œuvre. La scénographie chrono-thématique mise en place revient sur ce parcours initiatique dans la première des cinq salles de l’exposition.  

L’artiste s’essaye d’abord à l’impressionnisme et aux courants qui en découlent et font fureur à cette époque. Il en va ainsi pour le cubisme comme le prouve le tableau Natureza-morta com relógios [Nature morte avec horloges, NDLR]. Autre figure cardinale de cet apprentissage : Fernand Léger dont la géométrie si caractéristique se retrouve d’abord copiée, Estudo (Academia n°2) [Étude (académie numéro 2), NDLR], puis incorporée dans un nouveau style en gestation.

La force de l’épure

Celui-ci prend un trait plus simple, sans être simpliste. La force de l’épure apparaît notamment lorsqu’elle se met à peindre son pays natal. Avec le paysage Rio de Janeiro réalisé en 1923, le Pain de Sucre apparaît dans une forme minimale, ce qui n’empêche pas de le reconnaître immédiatement. Un travail d’une apparente facilité cachant de nombreux efforts. Ceux-ci se dévoilent grâce à une belle idée : l’accrochage des travaux préparatoires à côté du résultat final.

Au fil des années, son œuvre se remplit d’un tiraillement existentiel entre un exotisme plébiscité en Europe et sa volonté d’exploration des questions identitaires du peuple brésilien qui passe parfois par des œuvres fantasmagoriques comme La Cuca (1924).

Un monde onirique et magique qui va prendre petit à petit une place prépondérante. Remisant les formes géométriques d’origine cubiste, l’artiste qui signait ses tableaux simplement Tarsila, rejoint le mouvement dit « anthropophage », qui vise à dévorer l’autre, en l’occurrence les cultures européennes et colonisatrices du Brésil, pour se les réapproprier. Certaines de ses œuvres hallucinées comme Urutu ouvrent une brèche vivifiante face à la rigidité dogmatique du surréalisme scrupuleusement réglementé par André Breton.

Artiste aux multiples visages par excellence, Tarsila do Amaral se révèle aussi une féroce dénonciatrice de la condition ouvrière. Dans un trait bien plus réaliste, elle se politise replaçant l’humain au centre de son œuvre notamment après la crise économique qui déferle sur le monde avec le Krach boursier de New York en 1929. Citons sa saisissante toile baptisée Obreros [Ouvriers, NDLR]. Une avalanche de portraits de prolétaires regroupés au premier plan, comme autant d’esclaves modernes de l’industrie fumante, avec ses hautes cheminées en arrière-plan, qui les dévorera jusqu’au dernier.

Forêt de rectangles bleutés

Toujours à la lisière de nouveaux territoires, Tarsila do Amaral ne se lasse pas d’explorer de nombreux univers graphiques. Elle finira même par flirter, en tout bien tout honneur, avec l’abstraction. A Métropole [La métropole, NDLR], œuvre de 1958 évoquant le peintre tchèque František Kupka. Soit une forêt de rectangles bleutés, s’empilant pour devenir un lieu informe et impersonnel dont seules les légères esquisses des fenêtres rendent compte de leur fonction première d’immeubles d’habitation.

Dernière preuve s’il en fallait de la création perpétuelle qui émanait de cette artiste complète qui a marqué son époque et ses contemporains autant qu’elle marquera les chanceux visiteurs de cette admirable rétrospective.  

Guillaume Fournier

Informations pratiques

« Peindre le Brésil moderne », Tarsila do Amaral,
jusqu’au 1er juin,
Musée Guggenheim Bilbao, Bilbao (Espagne).