Philippe Poutou, incontournable figure politique régionale et nationale et ancien candidat du Nouveau Parti Anticapitaliste à l’élection présidentielle change de casquette pour reprendre avec sa compagne Béatrice Walylo la librairie Les 400 coups à Bordeaux.

Dans les travaux jusqu’au cou pour pouvoir être prêts à temps le 2 mai, jour d’ouverture, Philippe Poutou et Béatrice Walylo reçoivent au comptoir de leur librairie Les 400 coups, en face du palais de justice, à Bordeaux. 30 m2 qui doivent, à terme, accueillir près de 6 000 références ainsi que de nombreuses rencontres, dont les deux premières annoncent la couleur : Olivier Besancenot et Guillaume Meurice. 

Commençons en citant des sources fiables : Le Journal du dimanche a titré que vous renonciez à la présidentielle pour devenir chef d’entreprise avec votre compagne Béatrice Walylo. D’où vient cette reconversion ?

Philippe Poutou : La reconversion, c’est plus moi que Béatrice, qui reste professeure des écoles à mi-temps. Moi, depuis le licenciement de Ford, je n’avais rien à part une petite tentative dans la distribution de films. Ça n’a pas duré longtemps car ils ont viré celui qui était en train de me former, donc, dans ce contexte, je suis parti.

Entre le conseil municipal et le conseil métropolitain [Philippe Poutou est élu d’opposition au conseil municipal de Bordeaux et au conseil de Bordeaux Métropole depuis 2020, NDLR], il y a en outre beaucoup de choses à faire et j’étais un peu coincé. Mon chômage se terminant cette année, j’étais un peu stressé par l’après. Franchement, je ne voulais rien faire… La fin de Ford a été une cassure assez dure. Puis, en décembre 2024, nous avons eu une super opportunité de pouvoir reprendre cette librairie avec le départ à la retraite d’Isabelle, l’ancienne gérante.

Connaissiez-vous la librairie ? Comment s’est construite cette reprise ?

Béatrice Walylo : Nous sommes venus pour la première fois en décembre dernier pour assister à une rencontre sur la Kanaky et avons découvert cette librairie qui existait depuis 4 ans. Nous avons bien sympathisé par la suite. Nous sommes repassés acheter des livres à Noël, et, de fil en aiguille, nous nous sommes mis d’accord pour reprendre la librairie après le départ d’Isabelle.

P.P. : Nous avons racheté le fonds de commerce, que nous avons pu payer en partie grâce au reste de ma prime de licenciement de Ford. La décision, nous l’avons prise aussi en concertation avec des copains qui dirigent les éditions Libertalia. Nous leur avons présenté le projet. Ils nous ont dit de foncer ; ce qui nous a mis en confiance. Ils nous ont aidés en nous formant aussi à certains aspects du métier et en nous parrainant de façon informelle auprès de structures qu’ils connaissent. C’était très facilitant.

C’est donc l’occasion qui a fait le larron ?

B.W. : Complètement ! C’était plus un fantasme de se dire qu’on tiendrait une librairie et que nous passerions notre temps à bouquiner. Or, il s’avère que ce n’est pas trop cette réalité pour l’instant !

Vos mandats de conseiller municipal et de conseiller métropolitain prennent fin en 2026, pourquoi ne pas avoir attendu cette échéance ? Continuerez-vous à faire les deux ?

P.P. : C’est l’idée. Le timing est assez bon car il reste « seulement » 10 mois. Trois ans à tenir, ça aurait été très dur car la librairie prend énormément de temps.

B.W. : En plus du mi-temps à l’Éducation nationale, je suis aussi à mi-temps collaboratrice dans le groupe d’élus.

P.P. : Nous sommes une toute petite équipe avec deux élus et deux mi-temps pour tout le travail qu’il y a à faire et ça représente un gros boulot. Le journal Sud Ouest ne raconte jamais ce que nous faisons, mais il n’empêche que nous abattons un très gros travail. Donc, s’occuper de la librairie et continuer cette action en parallèle ça va être assez corsé, toutefois, nous n’avons pas envie de lâcher notre action militante.

B.W. : Qui plus est, nous allons nous lancer dans la bataille des municipales en reconstruisant une liste.

P.P. : Je ne serais pas candidat ! Je ne recommence pas car l’objectif, c’est quand même de pérenniser la librairie. On ne lâche pas la politique comme j’ai pu lire dans certains médias…. Ils ont compris que je ne serai pas candidat en 2027 et en ont tiré une généralité. En même temps, à un moment, il faut savoir s’arrêter, je ne suis pas comme Jean-Luc Mélenchon. Enfin, nous avons d’autres visages à présenter si nous nous présentons au NPA. Tout ça ne veut pas dire que je me retire de la vie politique, nous restons des militants impliqués.

Devenir libraire c’est aussi faire de la politique ? Créer un espace politique ? 

B.W. : Oui, c’est pour ça que nous avons affirmé que ça sera une librairie clairement de gauche. Il y a des auteurs que nous n’aurons pas car nous sommes petits, mais aussi car c’est un choix assumé. Nous ne voulons pas pour autant ne faire qu’une librairie militante, elle sera généraliste dans le sens où il y aura des ouvrages jeunesse, des BD, des sciences humaines, de la littérature…

P.P. : Nous serons clairement orientés à gauche, en précisant ce que veut dire la gauche car aujourd’hui c’est un terme assez vague qui va de François Hollande jusqu’à nous… Nous serons clairement anti-réac.

Combien de références pourra accueillir votre librairie ?

B.W. : Nous allons commencer à 3 000, soit ce qu’il y avait avant. Notre but est d’arriver à 6 000. On nous a dit que pour que ça soit vraiment viable, c’était le chiffre à atteindre.

Quelques jours avant l’ouverture… Crédit photo : Louis Colas

Pas trop stressés avant l’ouverture ? À quoi vous attendez-vous ? Quelle est votre vision pour cet endroit ?

B.W. : Nous aimons beaucoup le métier de libraire surtout quand il y a une vraie sélection comme à La Machine à Lire. L’idée, c’est quand même d’opérer une sélection. Notre volonté, c’est aussi de devenir un repaire, bien sûr pour les gens de gauche, mais arriver à amener d’autres personnes.

P.P. : Notre espace contraint renforce notre désir de sélection. Nous voulons mettre en avant une certaine littérature pas forcément visible partout. Parfois, nous disons que nous voulons être une librairie « wokiste ». A priori, ce mot est dévalorisant, mais nous le revendiquons, nous voulons mettre en avant le féminisme, l’antiracisme, le décolonial, les communautés LGBTQIA+…

Ceux qui veulent le dernier Zemmour ou le dernier Bardella iront chez Mollat. Ceux qui veulent quelque chose de plus sympathique viendront ici. Tout ce qui est identifié à droite ou à l’extrême droite n’aura pas sa place ici ; ils ont déjà assez de visibilité ailleurs. Il y a de la vente, mais nous voulons aussi un endroit de rencontres, un espace de discussion où pouvoir se retrouver. Nous militons au quotidien et c’est vrai que, parfois, ce milieu est un peu dur, concurrencé, sectaire… Nous pensons cette librairie comme plus ouverte. 

B.W. : Il y a aussi plein d’autres gens qui réfléchissent, des spécialistes, des professeurs d’université que nous aimerions bien faire venir. Nous imaginons les rencontres un peu comme des petites formations. Des réunions plus larges, plus ouvertes.

À l’ouverture, que sera-t-il possible de voir en vitrine ?

B.W. : Pour mai, nous nous sommes dit que nous allions faire quelque chose sur le travail, le droit à la paresse et les luttes sociales. 

Pour finir, une recommandation de livre pour contrer l’air un peu vicié de notre temps ?

B.W. : Une belle grève de femmes d’Anne Crignon, paru en 2023, aux éditions Libertalia, consacré à la grève des sardinières à Douarnenez, dans le Finistère, en 1924.

P.P. : Il y a tellement d’ouvrages à recommander ! Celui que je mets souvent en avant, c’est L’Ordre du jour d’Éric Vuillard paru chez Actes Sud, prix Goncourt 2017. D’ailleurs si l’auteur veut passer à la librairie, il est le bienvenu !

On allait oublier avant de partir : la présidentielle de 2027, c’est définitivement non ? 

P.P. : Bien sûr que c’est non, il faut que ça soit non ! Si jamais il y a une hypothèse où je pourrais revenir, tapez-moi dessus ! (Rires). La deuxième fois je ne voulais pas, la troisième fois, je ne voulais pas non plus … Je ne suis pas revenu par envie mais car notre parti a difficilement des porte-paroles identifiés, donc on s’y accroche. Comme avec Olivier Besancenot, le parti s’accroche à un visage connu.

Nous ne nous disons pas que nous avons rendez-vous avec le peuple tous les cinq ans, mais sommes piégés dans ce système qui prône la personnalisation. Il faut arriver à s’en détacher et il faut que je le fasse aussi. Nous ne faisons pas du Lionel Jospin en nous retirant complètement de la vie politique, nous n’avons pas fait non plus de conneries comme lui...

La librairie peut être un outil pour militer dans des conditions différentes. Ce qui n’est pas plus mal car nous n’arrivons pas aujourd’hui à reconstruire une gauche de combat. Aujourd’hui, la situation est merdique au niveau du Nouveau Front Populaire (NFP). Il y a eu un espoir en juin dernier, hélas, nous avons vu la catastrophe arriver très rapidement avec un combat de coqs et des bases militantes désemparées. Nous sommes en recherche d’une dynamique et, qui sait ?, peut-être faut-il militer différemment. Nous sommes certains de pouvoir créer du lien et de trouver des choses nouvelles. Je pense que la gauche, au bon sens du terme, non au sens hollandien, doit réapprendre à se retrouver et à communiquer. La librairie peut être un bon moyen de trouver ce genre de chemin. 

Propos recueillis par Guillaume Fournier

Informations pratiques

Les 400 coups
36, rue du Maréchal-Joffre, Bordeaux (33)
www.librairieles400coups.fr