Nouveau venu à Bordeaux dans le registre culinaire japonais, OBA établissement intime et chaleureux conjugue la gastronomie locale et celle du Pays du soleil levant. Tout en initiant sa clientèle à l’art plus que millénaire de la dégustation du saké.

L’adresse ravivera certainement le souvenir de Porte 15 de Gilbert Okoin, désormais parti succéder à Christophe Girardot au restaurant Paradoxe, à Cenon. Changement d’ambiance. Dorénavant, ici, Patrick Herreyre et Chloé Cazaux Grandpierre ont trouvé l’écrin idoine pour leur projet OBA. Le premier n’est pas un inconnu : après une fructueuse carrière dans le négoce au Japon, il a ouvert Nama, table bordelaise bien en vue. La seconde, Saké Sommelière, est la seule femme Saké Éducateur de la Sake Sommelier Association en France.

Leur passion commune pour le nihonshu devait bien aboutir. C’était écrit. Voici donc Oba pour Obaasan (la grand-mère en japonais), Izakaya de poche, sise dans le quartier Saint-Pierre. Équivalent du pub ou du bar à tapas, on y boit (de la bière, du shōchū (alcool de patate douce) et du saké) en partageant des mets, chauds ou froids, entre amis, salarymen, yakuza, en famille ou tout ce petit monde à la fois comme dansKié la petite peste d’Isao Takahata.

Du saké pétillant

Avec ses 20 couverts, son mobilier discret, ses murs anthracite, et ses grues en formation, ce cocon est devenu le terrain de jeu du chef Yushiro. Le natif de Tokyo, formé dans des maisons françaises, qui plus est diplômé en sommellerie, y réalise des prouesses, fusionnant dans un bel équilibre ces deux influences. Des merveilles que l’on peut picorer à plusieurs ou bien savourer à la faveur d’un menu Omakase (« Je m’en remets à vous ») pour 2 convives, décliné en 4 plats (64 €), 5 plats (80€) ou 6 plats (96€).

Mise en bouche avec un Shichiken, divin breuvage d’une maison (qui, pour l’anecdote, a conçu un saké pétillant en méthode champenoise avec Alain Ducasse !) située dans la préfecture de Yamanashi, région du Chūbu, connue pour le mont Fuji, ses 5 lacs, ses bains onsen, et son vignoble produisant la moitié du vin au Japon. Nez délicat, extrêmement floral, doux au palais. Un début idéal.

De toute façon, chez Oba, les maîtres-mots sont accords et découvertes autour du saké avec des styles différents mais pertinents en fonction du choix des plats. 15 références à la carte, ainsi que whiskys et gins japonais, quelques cocktails, et une douzaine de vins (en blanc et en rouge) embrassant la carte de France. Las, nul vin japonais, trop dispendieux pour être servi à un prix « décent ».

Maîtrise superlative de la gastronomie japonaise

Dans un joyeux désordre, Shisito (8€) ou comment renverser votre point de vue sur l’ibérique piment de Padrón dans une simple marinade ail et dashi. Remarquable. Tsukemono (9€), pickles de golden kimchi et navet au dashi, concombre au shiokombu. L’apparente simplicité ne saurait masquer la très haute maîtrise sublimant les légumes. Onigiri (12€), la mythique boulette de riz, habillée de son algue nori, huile de sésame et okaka.

La cuisson du riz laisse sans voix tandis que la pointe épicée titille comme il faut le bout de la langue. Tempura (16€) avec sauce tentsuyu (dashi + mirin + sauce soja) ou comment faire de la notion même de friture un idéal de vie et non plus gustatif. La gambas sauvage (19€), miso yuzu dengaku, shichimi, agrume ; petit rappel sur la maîtrise superlative de la gastronomie japonaise quand il est question des produits de la mer.

Kinoko (16€), champignons japonais, enoki frit, sauce ponzu ; loin de l’humus, un délice en mesure de rivaliser avec les étoiles de nos sous-bois. Enfin, en fait je ne sais plus quand, le Terre Mer (24€), porc et crevettes en okonomiyaki de sarrasin, gingembre, katsuobushi (bonite séchée) ; l’omelette telle que twistée au pays de Takeshi Kitano et que l’on pourrait dévorer à toute heure sans autre forme de procès. Ah, ne pas oublier le dessert ! Choux au craquelin, hojicha (thé vert torréfié). Pour 9€, l’envie de ne plus manger la moindre dune blanche. CQFD.

Sacré saké

Et toute cette épopée en compagnie d’un Sakehitosuji Jidai Okure oscillant entre notes de poire et d’amande. De quoi tordre le cou aux préjugés sur une boisson trop souvent reléguée au rang d’« alcool de riz ». Rappelons que le saké n’est pas obtenu par distillation mais par fermentation (comme la bière), que le riz utilisé est une variété spécifique, gorgée d’amidon, que les producteurs de saké ne sont pas producteurs de riz, et que c’est l’eau qui apporte la notion de terroir. Sans oublier le polissage du riz (jusqu’à 8%) ni le rôle fondamental du koji-kin (« microbe-levure »).

Sinon, en guise d’introduction, il n’est pas interdit de (re)voir le chef-d’œuvre de Yasujirō Ozu, Le Goût du saké (1962), pour comprendre son rôle fondamental dans la culture japonaise.

Marc A. Bertin

Informations pratiques

OBA
15, rue Émile-Duployé, Bordeaux (33)
Réservations 07 83 64 15 45
Du mardi au jeudi, 19h-22h.
Vendredi et samedi, 19h-22h30.
Fermeture lundi et dimanche.