À La Rochelle, la tour de la Chaîne accueille une œuvre de Tania Mouraud, figure majeure de la scène artistique contemporaine. Immersion garantie.

Édifiée au XIVe siècle, la tour de la Chaîne, en tandem avec la tour Saint-Nicolas, gardait autrefois l’entrée du port. Vestige monumental d’un dispositif défensif ambitieux, elle impose toujours sa silhouette au paysage rochelais et accueille l’opération « Biens venus ! », partenariat entre le Centre des monuments nationaux et le Centre national des arts plastiques. Au cœur de cette architecture de pierre se déploie une installation vidéo qui tutoie sa monumentalité : capturées dans une très grande proximité par l’artiste Tania Mouraud, des images de baleines grises envahissent l’espace.

À l’écran, dans les eaux du Mexique, une mère entraîne son petit baleineau à nager à contre-courant pour se préparer au voyage. Cette chorégraphie naturelle devient métaphore : celle des migrations, des transmissions, du lien fragile entre les êtres et les éléments. À travers ses plans rapprochés dans lesquels le gigantisme du cétacé déborde le cadre, Tania Mouraud expose notre finitude face à l’immensité.

Une émotion vivante

La bande-son inspirée de la noise mêle sons marins, ronflement du moteur de la ponga et drone indien, plongeant le visiteur dans une expérience sensorielle. Loin d’une approche techniciste, l’artiste revendique dans ses prises de vue imparfaites, une relation directe, presque viscérale, avec le vivant. L’œuvre suscite l’émotion. Le noir et blanc déréalise l’animal, tandis que le bourdon sonore crée un rythme entêtant. Les repères d’espace et de temps sont troublés. Les ressentis le sont également. L’échelle de la baleine évoque l’énormité des dinosaures, prêtant à la confusion des temps profonds. Quant à sa peau, maculée de coquillages, elle affiche une tentative de symbiose qui se mue en parasitage.

Alors, ainsi exposée dans le contexte d’une architecture défensive, Ad infinitum prend encore plus d’ampleur. Elle s’appuie sur la mémoire des lieux et réactive les faits de domination, d’exploitation, de commerce qui ont façonné nos sociétés. Présentée dans une entêtante boucle réitérative, elle interroge la manière dont l’humanité s’inscrit dans le monde, jaugeant la nature des relations, interpellant le manque de remise en question face à l’Histoire et face au présent. Un ballet sans fin s’offre à nous, entre espoir et destruction.
Hélène Dantic

Informations pratiques

« Ad Infinitum », Tania Mouraud,
Jusqu’au 16 novembre,
Tour de la Chaîne, La Rochelle (17).