Au nord du Médoc, entre océan Atlantique et forêt remarquable, la Maison de Grave offre au public un domaine, opéré par le Conseil départemental de la Gironde, entièrement dédié à l’éducation et à la sensibilisation à l’environnement.

Le site est enchanteur. À l’écart du regard et de l’agitation. Entre Soulac-sur-Mer et Le Verdon ; cette pointe si sauvage du Médoc Atlantique. S’y rendre offre une parenthèse bienvenue tant le temps semble y prendre une autre mesure, mais, tout d’abord, un peu d’histoire.

Erosion du littoral et chateau d’eau

En 1840, afin de lutter (déjà !) contre l’érosion du littoral, menaçant de créer une espèce d’archipel pouvant mettre en péril la navigation le long de l’estuaire de la Gironde et, par conséquent, l’accès au port de Bordeaux, les Ponts et Chaussées décident de la construction de la Maison de l’Ingénieur. Au sommet de la dune de  Grave, cette habitation en pierre calcaire, sur deux niveaux, est flanquée d’un château d’eau ainsi que d’un jardin d’agrément en forme de coquille Saint-Jacques — la Voie du Littoral ou Voie de Soulac est un chemin emprunté de longue date par les pèlerins.

En contrebas, entre 1853 et 1874, 5 bâtiments, construits en briquettes et moellons et recouverts de tuiles plates ou creuses, seront destinés à abriter les logements des ouvriers, un magasin de fer et une forge, l’atelier du charpentier et le magasin des bois, l’écurie et la remise des wagons. Enfin, un potager, équipé d’un puits couvert, complétera l’organisation de ces lieux de travail et de vie.

Dune blanche, dune grise, forêt de chênes et pins maritimes centenaires.

Durant plus d’un siècle, des travaux colossaux sont engagés (réensablage, consolidation, enrochement) afin de faire face aux tempêtes malmenant le cordon littoral. Après la Première Guerre mondiale, le domaine passe sous la tutelle du ministère de la Guerre. Le chantier se poursuit jusqu’à la Deuxième Guerre mondiale et l’occupation allemande, avant un abandon pur et simple qui aurait pu signer son arrêt de mort.

En 2000, le site devient propriété du Conservatoire du littoral. Sa situation exceptionnelle, face au phare de Cordouan, en fait un espace naturel littoral et patrimonial remarquable, témoin, en outre, de la construction, de l’entretien et de la surveillance des ouvrages de protection de la côte. Autre atout, et non des moindres, sa grande diversité paysagère : dune blanche, dune grise, forêt de chênes (pédonculés et verts) et de pins maritimes centenaires.

Après un vaste programme de rénovation du bâti, le Conservatoire du littoral réoriente l’activité vers un projet plus en accord avec ses missions, puis en délègue la gestion au Conseil départemental de la Gironde, à l’instar de ce que la collectivité mène au domaine de Certes-et-Graveyron, à Audenge, ou sur l’île Nouvelle, entre Pauillac et Blaye.

De l’éducation à la sensibilisation à l’environnement

Sur ces 42 hectares, le Département a donc souhaité implanter un espace centré sur l’éducation et  la sensibilisation à l’environnement. Destiné au grand public, il s’appuie sur un réseau de partenaires du territoire (le Centre permanent d’initiatives pour l’environnement Médoc, l’Office national des forêts). Le programme annuel, lui, s’articule autour de trois thématiques : vivre avec le risque en portant une attention particulière à la fragilité des milieux naturels, forestiers et littoraux ; développer un territoire résilient et des formes de tourisme durable en favorisant les mobilités douces ; créer un lieu participatif et permanent, ouvert à tous, un véritable lieu de vie.

Concrètement, on y trouve pêle-mêle résidences de recherche artistique et scientifique, sorties nature, un programme d’expositions et de rencontres, ateliers découvertes, cycles de conférences et de visites. Et, quand reviennent les beaux jours, des activités équestres, un gîte d’étape (pour les randonneurs, les pèlerins, les cavaliers et les cyclistes empruntant la Vélodyssée), et l’excellente
guinguette Chai Paupiette à Gaillan-en-Médoc (distinguée par la marque Valeurs Parc naturel régional en décembre 2023 ).

Depuis sa réouverture officielle, après les soubresauts de la pandémie de sinistre mémoire, la Maison de Grave rencontre un attrait à la hausse et pas uniquement parce qu’elle est traversée par un sentier menant à la plage des Cantines… « Ce lieu n’est pas “calibré” pour trop de monde, nous ne ferons pas beaucoup plus », avoue Charlotte Hüni, responsable du domaine départemental de Nodris et de la Maison de Grave. « Nous avons identifié 8 500 personnes en 2024, ce qui est conséquent pour 60 événements annuels. Notre budget d’action est entièrement dédié aux résidences, aux ateliers et aux conférences, mais ne relève nullement de la subvention. D’ailleurs, nous faisons appel au mécénat pour compléter l’enveloppe. » Illustration d’un mode de coopération et d’agrégation des compétences s’appuyant sur les occupants et les ressources locales.

 «Terres alluviales. Matières d’estuaires »

De ressources, naturelles en l’occurrence, il est question dans l’exposition «Terres alluviales. Matières d’estuaires ». Fruit d’un appel à projets — Paysages girondins et nouvelles écritures de recherche —, initié par la Villa Valmont, à Lormont, cette proposition est née de la rencontre entre deux collectifs : Filon et ter-ter. Le premier, fondé par la designer Esther Bapsalle et l’artisane de la mer Aurore Piette. Le second unissant  les architectes Mélanie Bouissière et Quentin Prost.

Leur objet ? Explorer les liens entre ressources naturelles et savoir-faire locaux en Gironde. Se fondant sur des études géologiques, cartographiques et artisanales, le quatuor s’est intéressé aux terres alluviales de l’estuaire de la Gironde, et, plus précisément, aux argiles de dragage. Considérées comme des déchets en raison des activités fluviales, ces matières sédimentaires sont devenues le point de départ pour revaloriser ce patrimoine naturel.

Or, d’où proviennent-elles ? Du fameux « bouchon vaseux », fruit de la rencontre entre eau douce (Garonne et Dordogne, mais aussi la Leyre) et eau salée (l’océan Atlantique) donnant naissance à cette « crème de vase » qui n’est ni plus ni moins qu’une argile. Argile possédant de surcroît une grande homogénéité où que l’on aille du bec d’Ambès à l’embouchure de l’estuaire ; le quatuor a effectué une série de prélèvements de Meschers à Langon, en arpentant le territoire.

Défi vert et revalorisation

Chaque année, neuf millions de tonnes de sédiments sont dragués dans l’estuaire de la Gironde, et plus de vingt mille tonnes dans le bassin d’Arcachon. Clapés en mer ou déposés à terre dans des bassins de stockage, ces sédiments de dragage présentent-ils autant de qualités qu’une « noble » argile de carrière ? Peut-on les utiliser pour la construction ?

Autant de questions pouvant répondre aux urgences environnementales. En effet, la matière est abondante, et l’on peut y ajouter des sarments de vigne pour faire de l’enduit façon torchis, ou des coquilles d’huîtres, qui, broyées, remplacent le sable. Autant de substituts à portée de main. Résultats ? Briques, carreaux, enduits et même de la teinture pour textile. Un champ des possibles qui, paradoxalement, n’est qu’un retour aux sources car, lors de ses recherches, Quentin Prost a exhumé la présence de briques en limon de la Garonne dans les arches du pont de pierre, à Bordeaux, confectionnées par une briqueterie située alors à proximité du chantier ! D’ailleurs, les Grès médocains, briqueterie de Listrac-Médoc soutiennent (avec la Caisse des Dépôts et Consignations et la manufacture Adam de Sainte-Hélène) l’exposition.

Au-delà du défi vert et vertueux d’une revalorisation, l’exposition interroge de nouvelles formes architecturales — durant tout l’été, l’atelier de fabrication, gratuit sur inscription, va permettre de constituer un stock destiné à la conception d’un prototype —, celui économique, quant à lui, ne relève pas de la chimère pouvant mailler un vaste territoire en unités de production (artisanales ou industrielles) même si nos mousquetaires ont conscience qu’il faut faire ses preuves face au privé et à la commande publique. Néanmoins, l’aventure ne fait que commencer et l’optimisme est de mise. « La vase est un vrai bijou après transformation » avoue, les yeux émerveillés, Esther Bapsalle.

Marc A. Bertin, Envoyé spécial au Verdon-sur-Mer.

Informations pratiques

Maison de Grave,
Chemin Forestier, 33123 Le Verdon-sur-Mer
05 56 09 00 72

«Terres alluviales. Matières d’estuaires »,
jusqu’au mardi 16 septembre,
Maison de Grave, Le Verdon-sur-Mer (33).
Atelier briques de terre crue, 24/07, 31/07, 7/08, 14/08, 19/08, 21/08, 10h-12h.