Le mythique groupe Oasis vient de débuter sa tournée de reformation à Manchester avec un concert spectaculaire et attendu par tout un peuple. Reportage sur place.

France. Royan. 19 Juillet 1996. Plage de Pontaillac. 20H40

Assis en tailleur sur le sable , une dizaine de potes sont autour de moi. J’ai seize ans et j’ai joué les chansons que tout le monde attendait. Wonderwall, Parklife, Don’t look back, Charmless Man…
Je raccorde ma guitare et j’attends quelques secondes pour démarrer.

« Here’s a thought for every man who tries to understand…What’s in his hands” [Voici une pensée pour chaque homme qui essaye de comprendre , ce qui est entre ses mains …”, en français, NDLR]

Cast no Shadow a la saveur d’une grande chanson méconnue. Une ballade immense , simple, que l’on peut fredonner presque immédiatement en se balançant sans pour autant la connaître parfaitement. Elle donne envie de communier. Et c’est ce que nous avions fait. Dix adolescents français sur une plage française chantant un hymne en anglais inconnu pour presque tous la minute d’avant.

England. Manchester. 19 Juillet 2025. Heaton Park .20h40

Voilà ce qui m’est apparu comme une révélation presque trente ans jours pour jour au beau milieu d’une marée humaine , avec près de 80 000 personnes autour de moi que je contemple en me retournant . Partout où mes yeux se posent, la foule est immense, les bras en l’air. Pénétré par l’ampleur de la scène, on ne mesure pas dans ces moments-là, la dimension exacte d’une telle prouesse. Écrire une phrase ou deux, chantonner une mélodie, se retrouver en studio, l’enregistrer et un beau jour, 75 millions d’albums et un virgule trois milliard d’écoutes sur une plateforme de stream plus tard cette mélodie entre dans votre vie. Pour toujours. Live forever.

Des milliers de silhouettes tout autour de moi et toujours une dizaine de personnes à mes côtés avec qui tu vas partager ces deux heures de musiques, de sons, de communion. Ce sont ces quelques personnes qui te cherchent du regard pour hurler ce refrain et porter leurs larmes jusque dans ce verre de bière en carton bientôt écrasé par la tension et l’excitation.

L’excitation de pouvoir regarder, entendre et simultanément hurler ces hymnes tant et tant de fois interprété en soi, pour soi, pour les autres, sous la douche, à la radio, dans ces publicités insignifiantes ou seul dans sa bagnole.   

Le regard humide de Cassy

Il est pas encore 21h et la préciosité de ce qu’à apporté Noel Gallagher au 20e siècle en tant que parolier et compositeur se mesure à la profondeur du regard humide de Cassy, debout, immobile à ma droite pendant que le peuple mancunien hurle ‘Some might Say’.

L’anglaise approchant la cinquantaine tient trois demi bouteilles de blanc, un verre en carton vide, une casquette rouge floquée Bowie sur la tête et ne dit mot. Elle s’essuie le visage pour la troisième fois en moins d’une minute. Je me souviens alors brusquement des mots durs de Noel envers son frère dans une vieille interview, au sujet de cette chanson. Il l’avait retirée des set lists depuis de nombreuses années car Liam ne pouvait plus monter sur les refrains, sa voix ne lui permettant plus d’aller si haut. Ou plutôt, son manque de travail.

Revenu au plus haut niveau

Car ce soir, force est de constater que le plus grand chanteur de Rock de sa génération a non seulement travaillé comme probablement jamais auparavant mais il est aussi bel et bien revenu à son plus haut niveau. Liam a repris sa place , longtemps laissée vacante, sans que personne n’ai pu réellement la remettre en question.

Lunette de soleil vissées sur le nez, on prend l’uppercut Slide Away plus tranchante que jamais tout en savourant sa toute fraîche coupe de cheveux façon Sergent major Royal Navy ,  bien dégagée sous les oreilles.

On imagine que Peggy  – aka Lady Gallagher , génitrice des deux frères les plus connus des coiffeurs mancuniens et de toute l’Angleterre, apprécie. Clouée chez elle en convalescence d’une opération du genou,  à quelques centaines de mètres de notre fournaise sonore, la sainte mère , véritable pierre angulaire matricielle des deux orageux est à l’origine du comeback le plus réussi de l’histoire du Rock.

Sincères

Comme Elvis , Liam est l’interprète ultime, l’incarnation totale de chacun des textes qu’il aura à chanter , rendant chaque chanson immortelle, urgente , unique.

Aucune autre voix ne peut faire ce job. Les jaloux estiment que ces deux là ne sont que de bons interprètes de grandes chansons. C’est sans comprendre la réelle dimension profonde de l’interprète.

Le chanteur interprète avec sincérité et devient le relai vital pour la diffusion au plus grand nombre. Et niveau relai, ce soir Liam a enclenché la 5G et le méga Haut débit. Sa voix est puissante, précise, ne tremble pas . Chaque attaque de phrase claque comme une paire de Nunchaku. Chaque fin de mot est senti, déposée comme une offrande aux rangées du public les plus éloignées amassés sur la colline à qui il dédie Bring it down ( Fous ça en l’air ) Une colline qui est devenu –  d’après ma voisine Mady née à Manchester –  ce soir là et pour toujours, ‘Gallagher Hill’’ .

Les hits s’enchainent comme les pintes

 Rien n’est laissé au hasard. Liam a souvent expliqué qu’enregistrer en studio  et scander les paroles devant une montagne de Marshall sur scène joués à onze n’était pas le même travail. Certains chanteurs en sont capables. D’autres non.

A Heaton Park ce soir, on a bien eu le temps de vérifier qui est le patron devant les rangées d’amplis Marshall alignés par son frère et Bonehead le légendaire premier guitariste  revenu dans le groupe, 25 ans après son départ . Les hits s’enchaînent comme les pintes dans le gosier de mon gigantesque voisin de gauche tout sourire,  les yeux rouge d’émotion. Et quand Rock’n’roll Star démarre les pieds collés sur l’accélérateur un immense orage de houblon et probablement d’urine s’abat au-dessus de mes yeux ,Je saute sur mon voisin de devant : ‘ I need sometime in the SunSHIIAAAAIIINNEE!!!”

 Je me mets à réfléchir depuis quand je ne l’ai pas entendu à ce niveau… Je n’aurai la réponse que plus tard dans la nuit , bien après que les dernières notes aient résonné à Heaton Park. Knebworth 96’. Sans hésiter.

Pas un hasard

La soirée avait commencé de manière plus contenue. Cast allait ouvrir le bal à 18h00 pétante. Le groupe de John Power l’ex bassiste du groupe légendaire liverpuldien The La’s plébiscité par Noel et pourtant auteur d’un seul et unique album et tube ( “There she Goes’’- 1990 ) poussait les premières notes d’un set incluant de beaux moments ( “Live the dream” ,” Walkaway” ) et des titres rocks puissant ( “Poison Vine”) malheureusement desservi par un mixage faiblard et approximatif sur les instruments.

Le songe de ma soirée royannaise fut vif  dès 19h00 en voyant Richard Ashcroft traverser la scène d’un pas certain mains en l’air . Le chanteur de feu The Verve originaire du nord-ouest de la ville à Wigan a été choisi lui aussi par le groupe pour ouvrir tous les concerts de la tournée UK. Je me souviens alors que Cast no Shadow , avait bien été écrite par Noel en pensant à lui . Pas un hasard donc.

Et le voilà planté devant nous, lunette noire et superbe voix éraillée, touchante. Malgré un démarrage de set un peu juste, son final ( The Drugs Don’t Work, Lucky Man ) enfonce les clous et le public pousse derrière l’hymne Bitter Sweet Symphony qui clôture parfaitement son set.

On se dit alors qu’Oasis est un groupe très fidèle en amitié et finalement très territorial. L’intégralité du plateau artiste de ce soir tient dans une zone de quelque km2. Près de deux heures plus tard Supersonic, Roll With It , D’You know What i mean , Whatever, une pluie de Hits s’égrainent à travers la douzaine de ‘Line Array’. Ces gigantesques systèmes de diffusion sonore suspendus à des grues et positionnés tous les trente mètres autour de la scène ont permis un son quasi impeccable sur l’ensemble du site pourtant extrêmement étendu. Mais ce n’était rien en comparaison du (faux) rappel à venir.

Exploser les sonomètres

Il est 21h45 , Oasis joue depuis 1h45 et vient de sortir de scène après un Rock’n’Roll Star d’une puissance sonique inégalée. A peine 4 minutes plus tard Noel réapparaît avec sa superbe acoustique Gibson J-200 , nous remercie et attaque l’intro de Masterplan. Superbe ballade joyaux ( encore une ! ) sortie en face B de Wonderwall. Prouvant par là l’importance pour ceux qui n’ont pas les bases de se plonger dans la discographie des lads. La voix du frère aîné est belle et bien posée ce soir et va enchainer sur un final qui va planter les dernières banderilles et exploser les sonomètres.

Don’t Look back in Anger, d’abord va transformer la vallée entière en une immense église à ciel ouvert, nous autres , ouailles profanes poussant chaque syllabe à son paroxysme.  Wonderwall ensuite, hymne absolument intemporel et porté par un Liam revenu sur scène le verre à la main, déchirant littéralement le ciel de sa voix puissante et unique. Et enfin Champagne supernova qui clôture en apothéose sonique une soirée sans aucun faux pas.

Moment de partage et de communion

Dix neuf des Vingt Trois chansons jouées ce soir seront issues uniquement des sessions des deux premiers albums du groupe, enregistrées entre décembre 1993 et juin 1995. Et c’est bien toute l’enfance et l’adolescence de plusieurs générations qui a retenti ce soir à Heaton Park et sur toute la ville.

La mise en vente initiale en ligne assez mystique nous avait permis d’acheter un an auparavant et par le plus grand des miracles d’internet , les tickets au prix standard (135£). La fête remarquablement organisée sur place n’a laissé place à aucun regrets, aucun débordements, aucun autre motif que celui de vouloir passer un moment de partage et de communion ensemble dans la banlieue mancunienne.

“Oasis a gagné la bataille , la guerre , la campagne , tout”.

Comme vient de le déclarer Damon Albarn , leader de Blur et du seul vrai “concurrent” solide des frangins pendant trois décennies : “Oasis a gagné la bataille , la guerre , la campagne , tout”.

Car c’est bien de cela dont il était question ce soir, la grande bataille du cœur. Oasis à fait ce que très peu d’artistes de cette dimension  sont capable de réaliser : brancher les guitares et chanter le plus directement et honnêtement pour nous , sans artifices , sans jeux de lumières incessants ou de jeux de scènes travaillés. Chanter simplement pour nous faire oublier tous nos problèmes , le temps d’une soirée peut être, mais avec des souvenirs plein la tête pour l’éternité.

Ce soir-là, en rentrant me coucher, j’ai d’abord posé mon bob bleu ciel floqué du logo du groupe, précieux témoin de ce que je venais de vivre. Puis, du haut de mes 46 ans, j’ai pris la guitare posée dans un coin et je me suis allongé de tout mon long sur le parquet du salon de cette maison typique de Manchester qui m’hébergea le temps de ce week-end iconique. Après avoir cherché quelques instants les accords, les premières notes que j’ai fredonné faisaient :

“Here’s a thought for every man , Who tries to understand what is in his hands (what’s in his hands) …”

G.Sciota