D’une iconique partition-fleuve du romantisme à un iconoclaste « concerto contre orchestre », et jusqu’au festival MÀD à Bordeaux, novembre invite à explorer les mille et une façons de faire dialoguer un soliste et un ensemble.
Concerto romantique à Pau
« J’ai composé un tout petit concerto pour piano avec un joli petit scherzo », écrivait en 1881 Johannes Brahms (1833-1897) à Clara Schumann (1819-1896) au sujet de son second Concerto pour piano. Il était évidemment ironique : il venait de passer trois années à donner un successeur à son Concerto n° 1, de 22 ans antérieur ; un successeur aux propositions monumentales, dont les quatre mouvements totalisent près de 45 minutes de musique !
Puissamment inspiré, ce chef-d’œuvre de la maturité requiert du pianiste des moyens exceptionnels. Pourtant, sa virtuosité n’est jamais spectaculaire ni tape-à-l’œil : Brahms privilégie les climats chambristes, le dialogue avec tous les pupitres de l’orchestre…
Il fallait bien une soliste de la trempe de Lise de la Salle pour donner la réplique, dans ce monument du romantisme, à l’Orchestre de Pau Pays de Béarn de Fayçal Karoui. En seconde partie de cette soirée placée sous le signe du « clair-obscur » et des élans romantiques, la Symphonie n° 2 de Robert Schumann (1810-1856) — le maître et l’ami qui contribua à lancer la carrière du jeune Brahms — déploiera des climats plus ombrageux. Il est vrai que cette partition fut composée par Schumann en 1845, au sortir d’une première manifestation de la maladie nerveuse — les spécialistes penchent aujourd’hui pour un trouble bipolaire — qui, dix ans plus tard, allait avoir raison de lui…
- Le concert : Clair-obscur, Lise de la Salle, piano, Fayçal Karoui, direction, orchestre de Pau Pays de Béarn, jeudi 6 novembre, 20h, vendredi 7 novembre, 20h, samedi 8 novembre, 18h, Le Foirail, Pau (64).
Concerto pas classique à Saint-Jean-de-Luz
Brahms n’aurait sans doute pu imaginer ce que 140 ans plus tard, un quatuor d’artistes téméraire ferait subir à la forme concertante. Aux commandes de ce Concerto contre orchestre, présenté fin novembre, à Bayonne, par le mystérieux Orchestre La Sourde : la pianiste Ève Risser et le metteur en scène (et trompettiste) Samuel Achache.
La première, dont on a pu voir l’ébouriffant solo pour piano préparé et le non moins détonant duo avec la chanteuse/griote malienne Naïny Diabaté, n’en finit pas d’étonner ; et d’envoûter. Le second, éminent mélomane, s’est employé depuis 20 ans à discrètement réinventer le théâtre musical, d’abord au sein de la compagnie La Vie Brève qu’il a cofondée avec Jeanne Candel.
Avec Antonin-Tri Hoang et Florent Hubert, compositeurs-souffleurs (clarinette et saxophone) polyvalents et multi-talents, ils ont orchestré un face-à-face entre une pianiste et un ensemble de 16 musiciens autour du Concerto pour clavier en ut mineur de Carl Philipp Emanuel Bach (1714-1788) ; fils de qui vous savez. Un face-à-face qui lorsque l’improvisation s’en mêle, dérape fatalement… et heureusement ! Jubilatoire est en effet ce concert-spectacle porté par un viscéral amour de la musique, qui détricote avec brio les codes du concert classique.
- Le concert : Concerto contre piano et orchestre, Orchestre La Sourde, Cie ReVeR, vendredi 28 novembre, Tanka-centre culturel Peyuco Duhart, Saint-Jean-de-Luz (64).
Folies d’aujourd’hui au délicieux festival MÀD
Comme chaque automne, depuis maintenant 6 ans, l’ensemble Proxima Centauri vient faire souffler un vent de folie sur Bordeaux et sa métropole avec son festival MÀD. L’acronyme désigne ces « musiques à découvrir » que sont les musiques de création, dont on ne répétera jamais assez qu’elles se dégustent avant tout en live : par les défis qu’elles lancent souvent aux instrumentistes, elles sont le gage de moments spectaculaires et mémorables. Space, la performance — entre concert immersif, installation sonore et séance de méditation — que proposent en ouverture les six accordéonistes des Espaces XAMP en est une parfaite illustration (22/11).
Poursuivant leur ouverture géographique et esthétique, 10 soirées nous entraîneront du Théâtre des Quatre Saisons de Gradignan (QG historique de la manifestation) à L’Inconnue, la singulière « scène curieuse de musique » de Talence, qui accueillera la conférence consacrée au non moins singulier Moondog par Amaury Cornut, fin connaisseur du « Viking de la 6e Avenue » (26/11). Une mise en bouche idoine pour le programme « 100% US » (de Morton Feldman à Meredith Monk) que le fabuleux Quatuor Béla donnera le lendemain au Musée Mer Marine (27/11).
Placée sous le signe de la jeunesse, cette édition 2025 fait également la part belle aux femmes, à commencer par la compositrice argentine Rocío Cano Valiño et sa collègue catalane Núria Giménez-Comas. Toutes deux seront à l’honneur d’une plantureuse soirée de clôture où se croiseront Proxima Centauri, L’Itinéraire et l’ensemble MÀD — une vingtaine de musiciens néo-aquitains placés sous la direction de Guillaume Bourgogne.
Une soirée dont la « vedette » sera Adélaïde Ferrière : première percussionniste nommée aux Victoires de la musique, celle-ci fait partie de ces artistes qui, à l’instar d’une Vassilena Serafimova, ont contribué ces dernières années à redonner ses lettres de noblesse à la famille des percussions. Ne reste plus qu’à souhaiter au Festival MÀD un succès fou !
- Le festival : Festival MÀD, du samedi 22 au samedi 29 novembre, Bordeaux, Cenon, Gradignan et Talence (33)
David Sanson