Du cambriolage qui a sidéré le monde feutré des musées à son ambitieuse exposition, « Les énergies de la terre » — envisageant les « forces en action » qui poussent l’humanité, depuis l’origine, à produire, transmettre et valoriser des objets en céramique —, en passant par ses missions, le directeur du Musée national Adrien Dubouché, Jean-Charles Hameau, à Limoges, nous en dit plus.
Pourrait-on évoquer ce qui a fait récemment la triste actualité de l’établissement, à savoir le vol de 9,5M€ de porcelaines chinoises ?
Le 4 septembre 2025, dans nos murs, 3 porcelaines chinoises, datant du XIVe, du XVe et du XIXe siècle, ont été dérobées lors d’une opération menée à l’allure de l’éclair. Opération extrêmement minutieuse, préparée par des professionnels, qui a mis en déroute nos outils de sécurité (alarme, vidéosurveillance, gardiennage). Nous ne savons rien de l’identité des présumés auteurs, mais il existe des vols de même nature dans d’autres établissements européens.
Concernant ce genre de collection, la demande est très forte, notamment chez les collectionneurs et sur le marché de l’art, par conséquent, le marché noir augmente en proportion égale… On suppose une équipe rompue à l’exercice ayant effectué un repérage préalable ; ce n’est pas un vol d’opportunité. La plus ancienne pièce, datant du XIVe siècle, sous la dynastie Huan, vaut une fortune.
Ces trésors sont des pièces référencées, inventoriées, appartenant aux collections nationales donc, par définition, invendables. Elles ne le seront pas sur le circuit légal. Outre leur valeur, elles portent l’histoire du musée : des acquisitions d’Adrien Dubouché, qui les a léguées au musée. Elles reflètent notre collection.
- À lire aussi : Jane Harris en majesté à Limoges au Frac Arthotèque
Comment vous sentez-vous depuis votre arrivée au poste de directeur il y a plus d’un an ?
J’ai pris mes fonctions en juillet 2024, mais travaille ici depuis 2014. J’ai été successivement conservateur, chef de collection, puis directeur. J’y suis très attaché car ce musée possède tellement de richesses, à commencer par son bâtiment, classé au titre des monuments historiques, avec une histoire forte, liée à celle des arts décoratifs.
En effet, ici, en 1900, non seulement on inaugure un musée national mais aussi une école nationale des arts décoratifs — un outil de formation — car il fallait à l’époque que les manufactures de Limoges ne soient pas que dotées de parfaits techniciens mais aussi de créateurs.
Nous n’avons peut-être pas les moyens de grands établissements nationaux, mais nous réalisons de très belles choses. La collection du Musée national Adrien Dubouché fait indéniablement référence sur la céramique.
Quelles sont vos priorités ?
Bien réfléchir à la rotation des œuvres au sein du parcours permanent car nous possédons 18 000 artefacts ! Il faut donc répondre à un propos, mais, également, maintenir, entretenir et actualiser ce parcours permanent présentant une histoire de la céramique et de la porcelaine, notamment celles de Limoges.
Aujourd’hui, il faut créer des échos avec la société pour comprendre ce qui se joue maintenant, et, très certainement, demain. Un vrai défi pour un projet tout à la fois scientifique et culturel auquel il faut accorder une égale vigilance sur toutes les époques, avec une attention marquée sur le secteur de la céramique, un intérêt pour les métiers d’art, et l’art contemporain. Un service de table en dira beaucoup plus qu’on ne le pense tant sur la gastronomie que sur la sociologie d’une époque…
Pourriez-vous lever un coin du voile sur « Les énergies de la terre », votre première exposition en tant que directeur. Que cache son titre très ésotérique ?
Une exposition temporaire doit traiter du quotidien, de la société, et de son fonctionnement en abordant des sujets d’actualité comme celui du vivant avec « Formes vivantes » en 2019. La question de l’énergie, elle, se décline aujourd’hui dans toute une série de problématiques.
Pour l’univers de la céramique, elle est vitale. En 2022, la crise du gaz crée un séisme chez les porcelainiers de Limoges, et devient aussi un problème crucial pour les petits artisans. Pour autant, le traitement ne saurait se résumer au simple angle environnemental, puisque nous partons depuis le début, des énergies astrales, de la chaleur de la Terre, du travail sur la matière.
Le parcours se décline du Big Bang à nos jours et comme l’énergie est une question très vaste nous commençons par une première partie — Voyage au centre de la Terre — consacrée aux matières terrestres et à tout un imaginaire (volcan, séismes, métamorphisme).
« Une exposition temporaire doit traiter du quotidien, de la société, et de son fonctionnement en abordant des sujets d’actualité. »
Ensuite, une deuxième partie — Aventures technologiques — interroge l’utilisation, à commencer par l’extraction de la matière première, des cendres végétales aux carrières. De la force humaine à la force animale, en passant par les outils, du tour à la vapeur, jusqu’à la reconnaissance et l’appréciation des qualités physiques de la céramique.
Enfin, Objets passeurs d’énergies, pour dépasser l’acception purement scientifique du terme. En effet, l’homme prête souvent des vertus affectives ou esthétiques, spirituelles ou occultes à la céramique. Pensons aux objets funéraires accompagnant dans l’au-delà tels les oushebtis égyptiens, les statuettes mingqi chinoises. Il est aussi question de la notion d’attachement, des relations nouées à l’instar du kintsugi japonais qui sublime et théâtralise ce rapport.
Aujourd’hui, de nombreux artistes recyclent des objets pour leur redonner une énergie artistique. On pense rarement que les objets font aussi les humains, or ils nous modèlent par leur fascination esthétique. Le rayonnement d’un objet stupéfie jusqu’à sa capacité de transmission.
Et, pour répondre sur l’aspect « ésotérique », ici, en Limousin, il y a beaucoup de croyances populaires reliées à la sorcellerie et aux superstitions — les Bonnes Fontaines dans le plateau des Millevaches, les gens qui enlèvent le feu — sans oublier les baguettes de sourcier que l’on retrouve notamment dans les créations signées Guy Meynard et Michel Paysant, qui, à l’instar de nombreux artistes contemporains, adoptent une démarche d’ethnologue et font revivre ces croyances.
Ne verra-t-on que de la céramique ?
Loin de là ! 300 pièces, dont des objets techniques, des œuvres d’artistes, des gravures, une peinture du Louvre… soit une diversité de médiums, mais aussi des travaux de designers, de porcelainiers, des tuiles, des films, des documentaires vidéo ainsi qu’une œuvre, Altus-Fluit, commandée à Anaïs Lelièvre, qui a collaboré avec les équipes du CRAFT. Ce parcours se doit d’être beau et se doit de faire sens avec une scénographie soignée. « Les énergies de la terre » questionne aussi le rôle des musées, qui sont les passeurs des énergies de ces objets ; un enjeu politique important : soutenir la connaissance du monde par cet engagement de la culture.
Propos recueillis par Marc A. Bertin
Informations pratiques
« Les énergies de la terre »,
Du vendredi 12 décembre au lundi 25 mai 2026,
Musée national Adrien Dubouché,
Limoges (87).
Inauguration, Jeudi 11 décembre, 18h30.
Vernissage enfants, dimanche 14 décembre, 10h30.