La nouvelle porte de l’Hôtel de Ville de Bordeaux est en cours d’installation et sera inaugurée vendredi 12 décembre, près de deux ans et demi après l’incendie criminel qui avait détruit l’ancienne. Une étape majeure d’un long chantier désormais sur le point de s’achever.

Pour espérer passer par la grande porte de la mairie de Bordeaux, il faudra patienter encore quelques jours. En ce mercredi gris de décembre, les journalistes venus assister à la conférence de presse organisée pour marquer le retour de la porte de l’Hôtel de Ville doivent emprunter un passage discret, située rue Montbazon. Dans la cour d’honneur du Palais Rohan, tout s’explique : les ouvriers, concentrés, s’affairent encore à la prochaine étape du chantier, celle qui doit permettre la mise en place des deux battants neufs après plus de 30 mois de travaux.

Juste derrière cette scène presque ordinaire de fin de chantier, se cache une histoire autrement plus marquante. Tout commence le 23 mars 2023, lors d’une soirée que beaucoup n’ont pas oubliée. Une « nuit pleine d’émotion », rappelle le maire Pierre Hurmic, en évoquant les flammes qui avaient embrasé l’ancienne porte de l’Hôtel de Ville. Un épisode qui avait aussitôt déclenché un chantier d’une ampleur inédite.

Recontextualisation

La porte précédente avait été détruite le 23 mars 2023, lors d’un incendie criminel qui avait, en outre, fortement endommagé l’entrée principale de l’Hôtel de Ville. Le feu avait ravagé le bois en profondeur et fait disparaître une grande partie des décors sculptés, rendant toute restauration impossible. L’épisode avait marqué les Bordelais et ouvert une longue période de travaux

Une reconstruction qui aura mobilisé une chaîne de métiers

La refabrication de la porte a nécessité la coordination d’un grand nombre d’acteurs : la DRAC Nouvelle-Aquitaine ; une architecte du patrimoine, Delphine Gramaglia, de l’agence Architecture Patrimoine ; les services techniques de Bordeaux Métropole ; la direction du mobilier ; les services juridiques et de commande publique ; les Compagnons de Saint-Jacques pour la pierre ; l’entreprise Les Métiers du Bois pour la fabrication ; les Ateliers de la Chapelle pour la sculpture ainsi que des ferronniers, métalliers, spécialistes du plomb et la Carsat, chargée de suivre les aspects sanitaires du chantier.
L’ensemble de ces corps de métiers a travaillé dans des délais serrés, parfois avec des contraintes techniques inhabituelles, pour permettre la renaissance de l’entrée de la mairie.

Comprendre la porte d’origine avant de la refaire

Avant toute reconstruction, les équipes ont dû étudier ce qu’avait été la porte du XVIIIe siècle. Le feu ayant dévoré le bois en profondeur, et les repeints bleus, appliqués après 1945, ayant masqué les détails, il a fallu mener de véritables recherches : analyses en laboratoire, scanner 3D, étude des fragments calcinés, consultation d’archives et recherches iconographiques. Ces études ont confirmé que la porte était autrefois laissée en chêne naturel, sa teinte d’origine. La DRAC a préconisé de retrouver cet aspect, jugé plus fidèle à l’histoire du bâtiment.

Les Bordelais associés aux décisions

La Ville a organisé une consultation publique, en octobre 2023, pour choisir entre une porte contemporaine ou une reproduction fidèle de l’originale. Les habitants ont largement tranché : 75,5 % des 13 820 votants ont choisi la reconstitution à l’identique.
Cette décision a orienté l’ensemble du chantier.

Restauration de la pierre, refabrication du bois

L’encadrement en pierre a été restauré par les Compagnons de Saint-Jacques, qui ont consolidé colonnes, sculptures et moulures. Seul le blason de Bordeaux, ajouté en 1965, constitue un élément plus récent, également restauré. La porte, elle, a été fabriquée par l’entreprise Les Métiers du Bois, installée dans la Vienne, à partir de chêne français labellisé « Bois de France – niveau or ». Les deux battants, de 500 kilos chacun, reprennent la forme et la structure de l’ancienne porte. Les Ateliers de la Chapelle (Maine-et-Loire) ont recréé frises, motifs floraux, moulures et les figures de Saint-Pierre et Saint-Paul. Au total, près de 1 400 heures de travail manuel ont été nécessaires pour la menuiserie, les ajustements techniques et la sculpture.

Une porte fidèle à l’ancienne, mais adaptée au XXI siècle

Bien que reproduite à l’identique dans son esthétique, la nouvelle porte intègre plusieurs adaptations modernes : automatisation, contrôle d’accès et ferronnerie renforcée. « Nous voulions qu’elle soit aussi solide que l’ancienne, qui a tenu 239 ans », souligne Delphine Jamet, adjointe à l’administration générale. Le bois a été traité pour résister aux champignons et au vieillissement, et la teinte naturelle permet désormais de mettre en valeur les sculptures, longtemps invisibles sous les couches de peinture.

Un coût important, en grande partie pris en charge

Le chantier représente 803 822 € TTC :

  • 116 000 € pour l’enlèvement de la porte brûlée ;
  • 311 000 € pour la restauration de la pierre ;
  • 376 000 € pour la nouvelle porte.

L’assurance, elle, couvre 628 557 €, même si deux devis restent encore en cours d’analyse.
Le reste, soit 175 265 €, est à la charge de la Ville.

Par ailleurs, une audience est prévue le 19 mars 2026 pour déterminer d’éventuels dommages et intérêts liés à l’incendie, les modalités et le montant éventuel n’étant pas encore arrêtés.

La mairie retrouve un symbole

Pour la Ville de Bordeaux, cette nouvelle porte marque la fin d’un long épisode. Elle est aussi le résultat de la mobilisation conjointe de nombreux professionnels et habitants.
Le maire Pierre Hurmic de citer Victor Hugo : « Embellissez la ville nouvelle et conservez la ville ancienne », même si préserver l’ancien demande parfois beaucoup plus d’efforts que de construire du neuf.

Salomé Menu