Réunissant plus de 160 originaux,  assortis d’archives familiales et de documents rares, la superbe exposition Signé Bretécher salue la grande dame de la BD française, définie dans les années 1970 comme « la sociologue la plus importante de son temps » par le comique Roland Barthes.

À peine entré dans la salle, on est cueilli par une photo d’elle prise à ses débuts qui semble déjà tout nous dire. Sage comme une image, en apparence, mais regard revolver un peu tombant, on devine sans peine la petite fille modèle qu’elle a dû être, apprenant à masquer sous un glacis de lassitude ce bouillonnement intérieur, assurément peu en phase avec le milieu étriqué dans lequel elle grandit.

Les édifiantes BD de La Semaine de Suzette seront pour la petite Nantaise la planche de salut, un temps d’évasion dans un quotidien morose qu’elle illumine, entre deux devoirs, en dessinant des histoires de fillettes détectives à la grande joie de ses camarades de classe. Fuyant à Paris, à 19 ans, elle enseigne un temps le dessin et fait feu de tout bois pour placer ses premiers projets dans la presse.

La naissance d’un style

On l’aperçoit dans Tintin, Spirou, Record, où elle rencontre Gotlib, Mandryka et Goscinny, avec qui elle signe bientôt Facteur Rhésus pour L’Os à moelle, le journal du génial Pierre Dac. Rapidement, les collaborations et projets personnels fusent, son style graphique entre Jules Feiffer et Johnny Hart (bizarrement oublié ici) s’établit et son humour se peaufine jouant de l’anachronisme, du non-sens, de l’absurde et de la parodie.

Après Des navets dans le cosmos et Les Gnangnan, elle imagine son inénarrable anti-héroïne Cellulite. Profitant du virage plus adulte de Pilote, elle s’exerce à un humour plus sarcastique, dans les pages actualités, où elle commence à croquer un certain microcosme intellectuel libéral aisé et blasé.

Salades de saison préfigure en cela sa série emblématique Les Frustrés, portrait générationnel au vitriol d’une bourgeoisie post-soixante-huitarde snob embourbée dans ses contradictions et qui fait les délices du lectorat du Nouvel Obs visiblement peu susceptible d’être ainsi mis en case.

Loin de la sphère des petits Mickey

Désormais propulsée loin de la sphère des petits Mickey, figure médiatique, la co-fondatrice de L’Écho des savanes (dont elle signe la couverture du numéro 1) révèle tout son talent dans ses BD qui, semaine après semaine, puisent dans ses dons d’observatrice et dans les grands sujets sociétaux la matière de son inspiration.

L’IVG, le suicide, la solitude urbaine, le choc des générations, les nouveaux rapports entre les sexes, et bien sûr, la condition de la femme passent sous son impitoyable tamis. Un placard pub de l’Obs résume : « Les femmes de Claire, elles ont la vue basse, des règles douloureuses et elles essaient de maigrir pendant que leurs jules biberonnent. »

L’art de la précision

Outre qu’elle retrace la prodigieuse carrière de l’artiste, l’expo dévoile l’efficacité d’un dessin qui n’a rien d’un trait jeté mais résulte d’un lent processus de recherches pour capter la bonne posture, la bonne expression. Son art de la punchline (le texte précédant toujours le dessin chez elle) n’a pas échappé à la jeune troupe du Splendid qui l’adaptera un temps sur scène et que l’expo nous donne à réécouter.

Farouchement indépendante (elle a tenté l’aventure de l’autoédition), l’artiste s’est adonnée aussi à la peinture et à des autoportraits où elle semble s’amuser à déformer son incontestable beauté. Exécrant tout militantisme et esprit de sérieux (contrairement à pas mal de ses disciples autoproclamés), se contentant d’être, cette misanthrope multi-consacrée est restée une vigie implacable et enjouée sur le monde. Autant dire qu’elle nous manque.

Nicolas Trespallé

Informations pratiques

« Signé Bretécher »,
jusqu’au dimanche 8 mars,
Cité de la BD, Angoulême (16).