Jusqu’au 21 décembre, le Confort Moderne, à Poitiers, ouvre la totalité de son espace d’exposition au plasticien Romuald Jandolo qui propose « Pardon pour la lumière ». Surnaturelle et grotesque, angoissante et hypnotique, triviale et sacrée, une proposition d’une richesse insoupçonnée.
De prime abord, il serait aisé de ne s’en tenir qu’à ce que le regard embrasse. Déluge de sequins, ballots de foin, copeaux de bois, cage aux fauves, salle de classe, et une centaine de spectres, dont une bonne moitié en version derviches tourneurs, mais au ralenti. Ce qui, avouons-le, constitue déjà une expérience de taille, inattendue, avant d’avoir franchi l’étincelant rideau d’entrée.
Hormis deux yeux aussi noirs que vides, cette compagnie de créatures muettes se distingue d’emblée par ses insensés couvre-chefs coniques, évoquant pêle-mêle le Judenhut de l’Inquisition, le hennin bourguignon du XVe siècle, le capirote arboré durant la Semaine Sainte par les pénitents espagnols du XIIIe siècle, le Klu Klux Klan, sans omettre le chapeau pointu cher à la confrérie de la sorcellerie, de Gandalf le gris à Megg. Brillant de mille feux, dans un silence à peine troublé par la bande-son expérimentale du film In the Land (2019), ces matassins, selon les propres termes de Romuald Jandolo, semblent à la fois ailleurs et terriblement oppressants.
Bourreaux ? Enchanteurs ? Fantômes ?
Surprenant d’ailleurs que d’utiliser ce terme définissant jadis les bouffons moquant les danses guerrières car, ici, rien de cocasse. Au contraire, hiératiques, majoritairement dans les airs — rendant hommage au mythique Vol des sorcières (1798) de Francisco Goya —, ils intiment par leur seule présence un sentiment d’effroi et de respect. Même mis en scène dans une allégorie de la Nativité, l’attraction le dispute à la répulsion, l’attirance à la crainte. Bourreaux ? Enchanteurs ? Fantômes ? Sommes-nous assistant au Sabbat ou bien plongés dans un des 7 niveaux du Purgatoire ?
Bien malin d’y répondre tant Jandolo use du symbolique. Diplômé de l’école supérieure d’arts et médias de Caen, le Lillois se surpasse dans la mise en scène. Enfant de la balle, né dans une famille de circassiens d’ascendance rom, il a connu les feux de la rampe, et reproduit la piste aux étoiles, où triomphent ces si séduisants spectres.
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Lune noire
Ambivalence toujours au cœur d’une salle de classe reconstituée. Nul élève, mais un bestiaire (rat, bouc, corbeau, chauve-souris, canard, hibou) digne d’Ésope, placé sous une autorité invisible dont seules les mains, en verre translucide, affirment sur un bureau le rapport pédagogique. Bonnets d’âne ou bonnets phrygiens ?
Blouses d’écoliers ou brandebourgs de Monsieur Loyal ? Tout ici concourt à mystifier les souvenirs, l’héritage familial, l’imaginaire forain et, in fine, une espèce de quête d’identité plus personnelle ; la sculpturale Marianne aux seins nus n’étant autre que la mère du plasticien. Passé le temps de la mascarade, on touche enfin à l’intimité.
On rêverait de rejoindre nuitamment cette assemblée, évidemment lors d’une lune noire, pour tenter de percer à jour ce mystère ou perdre la raison…
Marc A. Bertin
Informations pratiques
« Pardon pour la lumière », Romuald Jandolo,
jusqu’au dimanche 21 décembre,
Le Confort Moderne, Poitiers (86).