Depuis plus d’un an, les étudiants bordelais peuvent profiter, grâce à l’association Minimum, de séances d’art-thérapie. L’occasion de prendre soin de sa santé mentale, au cœur d’une période de vie parfois difficile.

Des bouteilles de peinture de toutes les couleurs, des boîtes de pastels, des tubes de colle, des ciseaux, des éponges… On pourrait croire à un atelier d’artiste, mais il s’agit bien de l’ancienne piscine universitaire de Talence, dont l’une des salles, en ce mois de juin, est investie par l’association Minimum. Dirigée par Alexandra Delage et Sophie Lacheret, respectivement historienne de l’art et designer textile de formation, celle-ci offre plusieurs fois par an aux étudiants des séances d’art-thérapie. 

Tout a commencé en février 2024. Les deux femmes commencent alors à proposer des séances pour les étudiants internationaux, en situation d’isolement et de déracinement, en réponse à un appel à projet de lutte contre la précarité étudiante lancé par Bordeaux Métropole. L’expérience leur confirme le besoin d’une telle activité : Alexandra Delage et Sophie Lacheret lancent leur association en juillet de la même année. 

Tracer ses pensées au pinceau

Désormais, en synergie avec l’espace santé de l’Université de Bordeaux (UB), elles assurent quatre créneaux gratuits d’art-thérapie par semaine, composés de 10 séances de deux heures. Une heure pour créer, une heure pour discuter des œuvres réalisées. En début de séance, Alexandra Delage et Sophie Lacheret annoncent une consigne, contrainte libératoire qui guidera les étudiants dans leur réalisation. Certains se l’approprient, d’autres peuvent la refuser ; tandis que l’un décore l’intégralité de sa feuille, l’autre peut rendre une œuvre quasiment vide.

« Il n’y a pas de manière de remplir la consigne ça va dire quelque chose de vous de tout façon», insiste Alexandra Delage. Ces consignes aident également à ramener les étudiants dans le domaine du sensoriel, dans des périodes mentalement épuisantes comme les partiels. Découpant, déchirant, ficelant, éclaboussant, badigeonnant, tous s’affairent pour vider leur esprit sur les grandes feuilles blanches. 

Faire passer de l’inconscient au conscient

Pendant ce temps, les deux organisatrices sont attentives à chaque doute, chaque sourire, chaque crispation manifestés par les huit étudiants du groupe. Des indices pour mieux comprendre leurs tribulations intérieures, afin d’en tirer les consignes de la prochaine séance, et dessiner un parcours thérapeutique. Même si, les organisatrices le soulignent, elles ne sont pas psychologues, et les séances ne remplacent pas une thérapie dispensée par un spécialiste.

Une palette d’émotions en cours d’élaboration

Pour Thaïs*, la séance d’aujourd’hui était particulièrement riche en émotions. La consigne « Et si la feuille était votre peau ? » ne l’inspire pas beaucoup, mais lui évoque les tatouages, et les rencontres marquantes. Avec de la peinture dorée, elle pose ses empreintes de main sur le papier.

Au centre de la feuille, au posca noir, elle dessine une fleur, puis une abeille. Elle se retrouve alors plongée dans des pensées qu’elle écartait jusqu’alors de son esprit : aujourd’hui, c’est l’anniversaire de son amie décédée. « Elle s’appelait Mélina, et Mélina, miel… Avec nos amis, on veut se faire tatouer une abeille. Du coup, ça m’est revenu. » Comme pour Thaïs, les sessions permettent souvent de déterrer des émotions enfouies. Les étudiants sont libres de partager ou non ce cheminement lors du temps de discussion final, face à leurs œuvres affichées au mur. Un moment pour réaliser à la fois sa singularité, mais aussi ses sentiments communs avec le reste du groupe. 

« Casser le mur »

Qu’ils viennent de commencer les séances, ou qu’ils en bénéficient depuis plusieurs cycles, les participants constatent tous les nombreux bienfaits de l’art-thérapie. Pour certains, comme Léa*, cette discipline se présente comme un complément à la thérapie classique qu’ils suivent. « Il y a un côté un peu méditatif, apaisant, où l’expression par le corps permet un peu de vider l’esprit. » L’art-thérapie se présente également comme un moyen d’expression pour soi-même, là où la thérapie classique lui demande d’expliquer ses pensées à autrui.

Pour Delara*, qui en est à son troisième cycle de séances, l’art-thérapie a été une vraie libération. Arrivée d’Iran l’an passé, elle s’est retrouvée seule face aux difficultés de sa nouvelle vie en France, le poids de ses traumatismes passés sur ses épaules. Au début des séances, Delara a eu peur du regard des autres, de leur dévoiler ses idées noires, et de se découvrir. Au fil du temps, elle apprend à s’accepter et à s’exprimer librement. « J’ai réussi à casser le mur que j’avais construit entre moi et les autres », se réjouit-elle.

Des bienfaits reconnus par l’Organisation mondiale de la Santé (OMS) : dans un rapport publié en 2019, l’organisme soulignait notamment le potentiel de l’art-thérapie en termes de réduction de l’anxiété, du stress, et d’amélioration de la dépression. 

Mais selon Alexandra Delage et Sophie Lacheret, avant même ce type de progrès, la seule présence des étudiants est une victoire. « C’est énorme. Quand on les voit revenir, on se dit “C’est bon, c’est gagné” ». L’association, qui vient de recevoir le Prix des jeunes associations de la Ville de Bordeaux, compte bien poursuivre sur cette lancée. Des séances sont déjà prévues pour la rentrée, et risquent, comme cette année, d’afficher complet. Déjà soutenue par des fonds à l’instar de Capsule d’art, l’association Minimum cherche maintenant des financements supplémentaires pour ouvrir d’autres créneaux.

Texte et photos, Athéna Salhi

*Les prénoms ont été modifiés.