Frédéric Bernardaud, héritier d’une des plus illustres manufactures de porcelaine, fondée en 1863, directeur de la création de la Maison Bernardaud, président du Frac- Artothèque Nouvelle-Aquitaine, un pied dans la tradition, l’autre dans le futur, Limougeaud fier de sa ville, l’homme frappe par sa discrétion aux antipodes de ses responsabilités. Un gentleman, humble et courtois, qui accepte de lever un coin du voile.

Parlons de votre enfance, de vos études, de votre famille…

Je suis né à Limoges, où j’ai vécu jusqu’à la fin de mes études secondaires. Ensuite, je suis allé à Paris, où j’ai poursuivi mes études supérieures : une maîtrise de sciences économiques à Assas, suivie d’un troisième cycle en gestion financière et fiscalité à la Sorbonne. Je suis marié et père de trois enfants : Victoire, Arthur et Jules, et grand-père de huit petits-enfants. Je vis entre Paris et Limoges.

Porter un tel nom, que cela signifie-t-il ? Le poids de l’héritage est-il facile à porter ?

C’est un véritable avantage de porter le nom d’une entreprise emblématique, mais il ne faut pas se laisser emporter par toutes les propositions que cela peut susciter. J’essaie toujours d’agir dans le respect des valeurs transmises par ma famille.

Votre frère Michel est président du directoire, vous êtes directeur de la création. Seriez-vous le plus artiste des deux ?

Nous avons reçu la même éducation, et partageons de nombreux centres d’intérêt. Enfant, il jouait très bien du piano, tandis que j’allais à des cours de dessin. Nous ne sommes pas des artistes, mais nous savons tous les deux combien la création est essentielle à la réussite d’une maison qui cultive un savoir-faire d’exception. La création est très souvent à l’origine de l’innovation et contribue à enrichir nos compétences.

Dans une entreprise, chaque personne doit jouer un rôle complémentaire. Quand je suis arrivé dans la maison, je me suis occupé du marketing, jusqu’alors réparti entre plusieurs personnes. Le marketing est très lié à la création, qu’il sert souvent à orienter. Je me suis donc intéressé aux créateurs. Et grâce à la notoriété de notre maison, j’ai eu la chance de croiser les meilleurs : architectes, designers, décorateurs, artistes plasticiens, chefs cuisiniers…

La Maison Bernardaud en 2025, qu’est-ce ? Un symbole de l’excellence française ? Un ambassadeur de l’artisanat d’exception ? Un pilier pour Limoges ?

La Maison Bernardaud en 2025, c’est une entreprise familiale de plus de 700 collaborateurs, qui développe trois marques de porcelaine — l’ancienne Manufacture Royale, Haviland, et Bernardaud —, perpétuant l’histoire de la porcelaine de Limoges et contribuant à sa renommée dans le monde entier. Toute notre production est réalisée sur trois sites de fabrication situés à Limoges et dans ses environs.

C’est aussi un laboratoire de recherche et une imprimerie ultra-moderne, permettant la création de décors toujours plus sophistiqués. C’est enfin une entreprise engagée dans la vie locale, active dans plusieurs associations sportives et culturelles, comme l’USA Limoges [club de rugby basé à Limoges, NDLR] ou le Frac-Artothèque Nouvelle-Aquitaine.

Nous sommes également fortement impliqués dans l’IG1 Porcelaine de Limoges, présidée par mon frère, pour laquelle nous nous sommes battus de nombreuses années afin qu’elle voie le jour. Nous participons aussi à la rénovation du chœur de la chapelle des Clarisses, aux côtés de l’évêché de Limoges.

Quels sont les clichés encore associés à la porcelaine ?

La céramique est l’un des plus vieux métiers du monde. Elle témoigne de la culture de chaque pays à travers les époques. Il est donc normal qu’elle véhicule certains clichés.

La porcelaine au XXIe siècle se résume-t-elle encore aux arts de la table ?

La porcelaine est un matériau aux propriétés exceptionnelles : dureté, imputrescibilité, résistance au gel, insensibilité à la chaleur, au froid et au soleil. C’est une matière inerte, sans impact sur l’environnement, recyclable…

Dans un contexte où l’on cherche à réduire l’usage de matériaux polluants, la porcelaine a de nombreux atouts à faire valoir dans des domaines où elle était historiquement présente : contenants pour cosmétiques, parfums, spiritueux, éléments décoratifs en architecture, habillement, luminaires, isolants… La recherche et développement permet également d’envisager de nouveaux usages, y compris dans des domaines plus techniques.

Dès 1947, la Maison Bernardaud faisait appel à des artistes contemporains, comme Kees van Dongen, pour concevoir des collections. Pourquoi ?

Van Dongen n’est pas le premier artiste avec lequel notre maison a collaboré ; d’autres partenariats artistiques ont vu le jour bien avant lui. Ces projets sont essentiels pour des maisons comme la nôtre. Ils nous permettent de progresser, d’enrichir nos compétences, d’étoffer notre savoir-faire et d’élargir notre univers de légitimité.

L’artiste ne se fixe pas de limites. Et lorsqu’il en connaît, il cherche à les dépasser. C’est précisément ce qui donne du sens à ces collaborations : elles nous poussent à innover pour répondre à ses attentes.

Avez-vous des pièces préférées, des collections favorites, ou simplement un objet emblématique de la Maison ?

En général, c’est le dernier projet sur lequel nous travaillons… Néanmoins, j’éprouve toujours un grand plaisir à revoir les pièces que nous avons créées : chacune d’elles porte en elle de nombreux souvenirs.

Parlons de la Fondation. Quelle est son origine ? Quel est son but ? Quelles sont ses actions ?

La Fondation a été créée il y a 25 ans avec pour objectif de valoriser l’intelligence de la main et la diversité de la création artistique contemporaine en céramique à travers le monde.

Il nous semblait essentiel de montrer, ici à Limoges, terre de porcelaine, que la céramique, selon les pays, peut prendre des formes, des couleurs, des textures et des usages très différents. Certaines expositions organisées par la Fondation voyagent et ont fait le tour du monde.

Qu’est-ce qui vous a motivé à organiser le Championnat du monde du chou farci à Limoges ?

Aussi surprenant que cela puisse paraître, la porcelaine de Limoges est connue dans le monde entier, mais les Limougeauds n’en sont pas toujours très fiers. Longtemps délaissée par les autorités locales comme élément de valorisation de la ville, la reconnaissance progresse depuis une quinzaine d’années, mais il reste du chemin.

Avec le Championnat du monde du chou farci, nous souhaitons créer une fête populaire, autour d’un plat simple, traditionnel et commun à de nombreuses cultures, très apprécié ici. Et puisque la porcelaine de table est intimement liée à la gastronomie, ce concours (et ses épreuves de sélection organisées dans plusieurs pays) nous permet de renforcer nos liens avec les chefs. Nous espérons que les Limougeauds seront nombreux à assister à cette manifestation le 10 novembre 2025. Elle sera organisée tous les deux ans dans les Halles centrales de la ville, et un concours amateur sera également ouvert à tous.

Vous présidez le Frac-Artothèque Nouvelle-Aquitaine. Que signifie cet engagement ? Vos activités sont indissociables de la Haute-Vienne. Qu’est-ce que le Limousin pour vous ? Comment parleriez-vous de Limoges ?

Limoges, nommée Ville créative par l’UNESCO depuis 2017, ne disposait curieusement pas d’un lieu dédié à l’art contemporain. L’ouverture du Frac-Artothèque  Nouvelle-Aquitaine, en plein cœur de la ville, dans une ancienne imprimerie réhabilitée, renforce son attractivité autour de la création contemporaine, déjà très présente dans de nombreux lieux du Limousin.

Mon souhait est de faire de cet espace un lieu de médiation culturelle et de soutien à la création, un phare pour éclairer les nombreuses initiatives publiques et privées du territoire. Cet engagement rejoint aussi mes préoccupations professionnelles. En Limousin et en Nouvelle-Aquitaine, de nombreuses entreprises possèdent des savoir-faire d’exception : dans la chaussure, les gants, le tissage, la tapisserie, la pierre, le vitrail, les émaux, la céramique… où la création est source d’innovation.

C’est pourquoi le Frac a mis en place le programme « Artistes & savoir-faire », qui accompagne des artistes dans leur rencontre avec le monde des métiers manuels, pour engager un dialogue fécond. Limoges, c’est ce que j’inscris sur ma carte de visite quand je voyage et j’en suis fier.

  1. Indication Géographique Porcelaine de Limoges. Depuis près de trois siècles, la Porcelaine de Limoges est connue et reconnue mondialement. En s’adaptant aux nouveaux besoins de l’industrie tout en conservant un savoir-faire unique, elle est désormais synonyme de qualité et d’innovation.

Propos recueillis par Marc A. Bertin

Informations pratiques

Championnat du chou farci,
le 23 février 2026
Fondation d’entreprise Bernardaud,
Limoges (87).

« Odyssées », Omar Victor Diop,
jusqu’au vendredi 28 mars 2026,
Fondation d’entreprise Bernardaud,
Limoges (87).