À la tête du théâtre Femina, depuis le 1er juillet, Jérémy Ferrari, humoriste et chef d’entreprise dévoile les contours de son projet pour la salle bordelaise ainsi que pour son futur comedy club qui doit voir le jour en 2026.
Pourquoi avoir pris les rênes du Femina ? Et pourquoi s’implanter à Bordeaux ?
Ce n’est pas un choix, mais une opportunité ! Nous faisons de la gestion de lieu avec ma société Dark Smile Productions. Je connaissais déjà très bien le Femina, un endroit incontournable durant une tournée. Ici, l’écrin est sublime, on voit bien partout et il y a 1 200 personnes qui sont dans votre main. Cette proximité est extraordinaire. Bordeaux fait partie de mes meilleurs souvenirs quand j’ai démarré.
J’aime beaucoup la ville, c’est un petit Paris sans les inconvénients, j’ai aussi des amis ici et j’apprécie la région ; j’ai essayé de surfer, je me suis fait prendre dans une baïne, j’ai failli crever mais, bon, je suis toujours là !
À force de venir, j’ai sympathisé avec Jean-Pierre Gil, le propriétaire du lieu. En rigolant, un jour, je lui ai dit que s’il voulait me donner les rênes du théâtre, ça serait avec plaisir. Il m’a dit qu’il y allait avoir un nouvel appel à candidatures à la fin du bail de Fimalac.
Nous avons tenté notre chance avec notre petit groupe. Il se trouve que notre dossier avec les travaux, le côté humain et artistique, a plu à Jean-Pierre qui a préféré passer la main à un artiste, un artisan. Nous nous sommes engagés pour presque 10 ans.
Qu’est-ce qui vous a plu dans ce projet ?
Je n’ai pas pris le Femina pour un péage. Le théâtre marche très bien tout seul, tout le monde veut venir. Donc, tu peux t’asseoir, encaisser, et basta. Or, ce n’est pas ma vision. Mon premier souhait était d’effectuer des travaux, notamment pour enlever l’avancée de scène, un proscenium sur lequel on ne pouvait pas jouer et qui mettait une distance avec le public.
Ensuite, nous avons mis en place un endroit qui soit une vraie régie. Tout ça nous fait gagner des rangs, donc de potentiels billets et plus d’argent pour d’ultérieurs travaux. Nous voulons refaire les loges et passer un coup de frais dans la salle. Nous ne sommes pas sur un voyage à Leroy Merlin en Clio pour aller chercher la peinture et le tour est joué… c’est monumental avec des échafaudages et tout le reste !
Il faut bien le réfléchir et le faire petit à petit. En outre, nous avons discuté avec les équipes pour savoir ce qu’ils auraient voulu faire et n’ont pu mettre en place. Nous avons parlé de musique électronique ou, qui sait, mettre en place un festival.
Quid de la programmation ? Y aura-t-il plus d’humour ?
Nous voulons préserver l’éclectisme de la programmation et essayer de mettre en place des projets originaux. Il n’y aura pas plus d’humour car je viens de ce milieu-là. Il y en a déjà beaucoup et nous voulons préserver la diversité. Si le théâtre fonctionne bien, nous voudrions aussi l’ouvrir à des artistes qui ne pensent pas forcément pouvoir le remplir ou qui n’ont pas une équipe structurée derrière eux. Je ne dis pas que je vais faire 150 dates à perte par an, je ne suis pas suicidaire, enfin je ne le suis plus !
Vous avez exprimé votre volonté de travailler avec les acteurs locaux, comment cela se concrétisera-t-il ?
C’est déjà assurer aux gens travaillant ici que personne ne va être viré. Idem pour les prestataires avec lesquels le Femina collabore. Nous allons regarder, renégocier s’il le faut, mais ça s’arrête là. Nous voulons également développer des événements sur le territoire. Que le Femina soit associé au Brunch Electronik, c’est typiquement notre ADN, le genre de choses que nous voulons multiplier pour passer les portes du théâtre.
Autre exemple, le projet d’implantation d’un comedy club en centre-ville, au Mada, qui devrait ouvrir en 2026. Il sera couplé avec un lieu où l’on peut manger, boire un coup, et danser si les gens veulent. Un projet qui va faire travailler du local en termes d’entreprises et d’humoristes. Et surtout, une réponse à des demandes d’acteurs locaux dans ce secteur. Cela permettra aussi de faire communiquer les deux lieux.
Ouvrir un comedy club ne peut-il pas être perçu comme un acte de défiance par les autres acteurs locaux déjà présents sur ce créneau ?
Pour l’instant, ce n’est pas le cas. Nous ne sommes pas forcément sur les mêmes formats ni la même récurrence. Et puis, au départ, nous allons jauger notre proposition en fonction du bassin d’humoristes présents sur place aussi. C’est pour ça que cela sera aussi un bar/restaurant pour avoir une certaine viabilité.
Bordeaux est une ville de plus en plus dynamique de manière générale. L’ensemble des secteurs d’activités fonctionne plutôt bien, ce qui donne l’envie à des gens d’y tenter des choses. Depuis le Covid, l’humour marche fort, il y a une augmentation entre 20 et 30% des billets vendus. Moi, j’arrive à Bordeaux via le Femina ; on me dit : « il n’y a pas de comedy club dans le centre » ; il y a une logique à ce que je m’implique dans ce projet et ce n’est pas pour enlever du travail à quiconque.
Je ne me vois pas comme un concurrent. Je vais rentrer en contact avec les autres car si je fais descendre quelqu’un de Paris autant qu’il passe à deux endroits différents. Je ne vais jamais dire à un humoriste : « Tu joues chez moi et pas chez les autres ! » Le but, c’est de travailler ensemble. Je fais partie des gens qui pensent qu’il y a de la place pour tout le monde. Ce que j’essaye de faire, c’est de créer une plateforme solide. Je prends un risque financier en le faisant, mais je trouve dommage que Bordeaux n’ait pas quelque chose de récurrent chaque semaine.
À titre personnel, le côté entrepreneur déteint-il sur le côté artistique ?
Pas du tout. S’il faut que je parte dix mois en tournée, tourner un film ou autre chose, je pars dix mois car je sais que je suis accompagné par des équipes formidables qui vont assurer. Je suis avant tout un artiste, c’est ce que je préfère au monde ; sans ça, je meurs !
Je me suis lancé dans l’entrepreneuriat pour préserver ma liberté d’expression et pour être sûr que le rendu final corresponde à mon idée de départ. Quand nous avons commencé à monter les boîtes avec Mickaël Dion, mon associé, nous nous sommes juré une chose : que jamais les boîtes ne devraient empiéter sur l’artistique. À ce jour, pas de soucis, puisque depuis 10 ans que j’ai des boîtes, je n’ai jamais été aussi présent artistiquement.
Votre prochain spectacle sera-t-il consacré à l’entrepreneuriat ?
Non sur l’écologie, ça va encore concerner les Bordelais !
Propos recueillis par Guillaume Fournier