Disparu l’an dernier, Fawzi l’auteur caméléon, à la vie aussi cosmopolite que le style, capable de passer de la ligne réaliste franco-belge aux comics et à la caricature, est à l’honneur à la Cité internationale de la bande dessinée, à Angoulême. Une exposition rend hommage à cet artisan discret qui prouvait par son parcours que le dessin restait le langage universel par excellence.
Algérien, ayant grandi au Maroc dans les années 1960, l’autodidacte Fawzi Baghdadli comprend vite le pouvoir du dessin quand il devient la coqueluche de ses copains après avoir réalisé des croquis polissons sur les murs de l’école. À 16 ans à peine, il vit déjà de son talent, publiant ses BD dans les pages du premier magazine BD algérien M’Quidech, ou en s’essayant au dessin de presse, tout en travaillant pour des supports plus institutionnels.
Comprenant qu’il peut subvenir à ses besoins grâce à son pinceau, ce féru de Pilote et du Journal de Tintin file à Paris pour approcher les maîtres Gotlib et Giraud, deux de ses influences graphiques majeures. Mais l’artiste refuse de s’enfermer dans une école et se fond dans tous les styles autant par goût personnel que par souci de répondre au mieux à l’éventail des commandes ; une plasticité du trait qui lui permet de se couler dans la bohème artistique de la capitale, puis de capitales européennes à partir de 1976.
Friser le grand écart permanent
Passé par Berlin et Amsterdam, il multiplie les travaux divers et variés. Son CV s’étoffe et frise le grand écart permanent : illustrateur pour la fameuse collection « SF Opta », il est aussi conseiller artistique un temps pour l’INA. À l’aube des années 1980, il fait le grand saut pour les États-Unis, et se retrouve petite main pour le mythique Doctor Strange chez Marvel. Parcourant l’Amérique profonde, il se met à la couleur et tâte d’autres techniques jusqu’à devenir le peintre en lettres chouchou de Greenwich Village.
De retour en France, en 1989, à Nice, il intègre Babazouk, un journal satirique local, puis direction Nantes à l’aube du nouveau millénaire. Il y poursuit son activité de dessinateur mordant pour La Lettre à Lulu et se met à l’écriture pour une poignée de nouvelles remarquées, développe un jeu vidéo futuriste et se livre à l’exercice difficile du dessin de procès.
80 œuvres
Finalement, il pose ses valises à Angoulême où il rejoint l’atelier du Marquis aux côtés de Jean-Luc Loyer, non sans chercher à communiquer sa passion aux écoliers du coin. Et la BD dans tout ça ? Elle est toujours présente, mais de façon plus ou moins souterraine entre parutions pédagogiques (une histoire de la greffe du rein avec Pierre Christin au scénario) et participations à des collectifs ; une bibliographie disséminée rendant peu visible une carrière s’étalant sur plus d’un demi-siècle.
À travers 80 œuvres réparties entre planches, dessins, crayonnés, aquarelles, l’expo donne à découvrir la production riche d’un faiseur doué qui impressionnait nombre de ses collègues par sa gentillesse et par sa capacité à tout pouvoir dessiner. Comme une IA en somme, mais avec cette part d’humanité qui fait toute la différence.
Nicolas « Bouzid » Trespallé
Informations pratiques
« Fawzi, le routard du crayon »,
jusqu’au dimanche 22 juin,
Vaisseau Mœbius, Cité internationale de la bande dessinée, Angoulême (16).