De l’Amérique à la Russie, du Moyen-Âge à Broadway, du swing aux sacqueboutes et du chant à la danse, l’actualité « classique » de décembre promet quelques rendez-vous spectaculaires.

Opéra folk à l’opéra de Bordeaux

Fulgurante destinée que celle de George Gershwin (1898-1937), génie précoce fauché en pleine gloire, première grande figure de la musique américaine, faisant le trait d’union entre le monde de la musique « savante » européenne et les scènes de Broadway. Gershwin caressa longtemps le rêve de composer un « opéra populaire » mettant en scène des Afro-Américains : ce fut chose faite avec Porgy and Bess, créé à Boston, Massachussetts, en 1935.

Pour cet ouvrage, inspiré d’une histoire vraie survenue à Charleston, il ira jusqu’à s’installer en Caroline du Sud pour s’imprégner de l’atmosphère locale. Il cherche à combiner la dimension « folk » avec, dit-il, «le drame et l’histoire d’amour de Carmen et la beauté des Maîtres Chanteurs [de Wagner, NDLR] ». Pour lui, l’opéra de Bizet, dont il est vrai que presque chaque numéro est un tube, est ce qu’il appelle une « collection à succès ». Et, force est de reconnaître que Porgy and Bess, qui passe sans coup férir du comique au drame, aligne à son tour une impressionnante série de « hits » potentiels, à commencer par la berceuse Summertime, standard instantané.

L’opéra fut pourtant un échec à sa création, et mettra du temps à s’imposer au fronton des maisons d’art lyrique, essuyant les procès en authenticité d’une partie de la communauté noire… L’Opéra de Bordeaux nous en propose aujourd’hui une version, spécialement revisitée pour son Auditorium et pour son Chœur par Emmanuelle Bastet. Une version qui s’attache, justement, à mettre en valeur cette « collection à succès »,délaissant les bidonvilles de Charleston pour nous propulser dans un club de jazz new-yorkais des années 1950, où une galerie de personnages hauts en couleur va faire vivre le drame…

  • En bref : Porgy & Bess Jazz Club, livret de George Gershwin, adaptation Emmanuelle Bastet et Tim Northam, direction Salvatore Caputo, Chœur de l’Opéra national de Bordeaux, du jeudi 4 au samedi 6 décembre, 20h, Auditorium, Bordeaux (33).

Autant en emportent les vents à Poitiers

Les « Midis » sont une série de rendez-vous, gratuits, proposés aux habitants de Poitiers, à l’heure de la pause déjeuner, par leur Théâtre Auditorium préféré. Des rendez-vous faisant alterner cinéma, poésie ou, comme en décembre, musique — et, en l’occurrence, musique médiévale, avec l’excellent ensemble Into the Winds.

La spécificité de cet ensemble, fondé en 2017, est d’être, comme son nom l’indique, consacré aux vents, ce qui suffit à garantir une dimension spectaculaire. Chalemies, bombardes, busines, trompettes à coulisse, flûtes à bec et autres sacqueboutes sont en effet autant d’instruments qu’on n’a guère l’habitude de croiser sur scène.

Sans parler de les entendre :  on est alors instantanément transporté, par la grâce de ces alliages de sonorités étonnantes et toujours changeantes, plusieurs siècles en arrière. Conçu pour un quintette incluant un percussionniste, le programme « Le Parfaict danser » fait revivre l’époque où estampies, ductia, saltarelles et autres danses faisaient groover les cours de Bourgogne, de France ou d’Italie… Entrez dans la danse !

  • En bref : « Le Parfaict danser », Into the Winds, mardi 9 décembre, 12h30, grand foyer, Théâtre Auditorium de Poitiers, Poitiers (86).

Cinémascope à La Rochelle

Née en 1982, Caroline Shaw est elle aussi, à sa manière, fraîche et frondeuse, un trait d’union entre les mondes. Devenue à trente ans, en 2013, la plus jeune récipiendaire du prix Pulitzer, elle est également une chanteuse accomplie, au sein de l’ensemble vocal Roomful of Teeth comme aux côtés du groupe So Percussion.

Initialement écrite (en 2011) pour quatuor à cordes, sa pièce Entr’acte est un ingénieux autant que facétieux détournement des menuets des quatuors de l’Opus 77 de Joseph Haydn (1732-1809). Cette partition ouvrira en beauté le plantureux programme, proposé en décembre par l’Orchestre national de France, sous la baguette de l’Allemande Joana Mallwitz, à La Coursive de La Rochelle. Au centre de celui-ci, le Concerto n° 1 de Frédéric Chopin (1810-1849), avec en soliste le pianiste canadien Bruce Liu. Chronologiquement composée avant le Concerto n° 2, cette partition d’un musicien de 20 ans, virtuose de l’instrument, fut un triomphe à sa création.

On continue parfois de lui reprocher le simplisme de son orchestration, il est vrai pensée avant tout pour mettre en valeur une voix soliste magistralement inspirée… Tout aussi spectaculaires, les Danses symphoniques livrées en 1940 par Sergei Rachmaninov, alors en exil forcé aux États-Unis, déploient en Cinémascope la nostalgie de la Russie.

  • En bref : Orchestre national de France, direction Joana Mallwitz, piano Bruce Liu, vendredi 12 décembre, 20h30, La Coursive – scène nationale, La Rochelle (17).

David Sanson