Classé au titre des monuments historiques en 2022, l’ancien siège de la Caisse d’Épargne, bâtiment iconique du quartier Mériadeck, à Bordeaux, ancien siège régional de la banque au logo d’écureuil, poursuit sa discrète mais profonde métamorphose.

Chef-d’œuvre, ovni, verrue… Quel que soit le regard que l’on porte sur lui, on ne reste pas de marbre devant l’ancien siège de la Caisse d’Épargne Aquitaine Poitou-Charentes.

Construite en béton armé avec une ossature métallique et recouverte de milliers de pierres du Brésil sur sa surface extérieure, la « Caisse », comme le lieu est surnommé par les intimes, est un incontournable du quartier Mériadeck, à Bordeaux. Le point de bascule entre l’utopie architecturale de ce quartier présenté comme futuriste et le centre-ville historique de Bordeaux. Moins de 50 ans après son inauguration officielle, cet exemple flamboyant de l’architecture brutaliste a déjà connu plusieurs vies et continue, sans bruit, à se réinventer.

Méli-mélo d’étages, d’escaliers et de formes arrondies

Le jour de son inauguration, le 27 juin 1980, les plus de 8 200 m2, sans compter les immenses terrasses, sont dévolus à l’activité bancaire de l’antenne régionale de la Caisse d’Épargne à l’ancien logo en forme d’écureuil. Un animal qui donnerait sa forme au bâtiment. Sur maquette ou en scrutant des vues aériennes de l’édifice, difficile de confirmer cette légende urbanistique.

Au zénith de son activité, 250 salariés fourmillent dans ce bâtiment à l’intérieur époustouflant. Organisé autour d’un atrium central, l’espace est un méli-mélo d’étages, d’escaliers, de formes arrondies qui subjuguent. Les jeux de lumières évoluant au fil de la journée éblouissent. Une prouesse conçue par trois architectes, Pierre Layré-Cassou, Pierre Dugravier et surtout Edmond Lay, grand prix de l’architecture en 1984.  

Trésors bien gardés…

Jouant sur les niveaux, les courbes et les matériaux, la Caisse d’Épargne est une boîte de Pandore architecturale, sans mur porteur, comprenant de nombreux trésors… dont certains bien gardés ! Ainsi, ce n’est qu’après avoir franchi la porte blindée large de près de 40 centimètres qu’il est possible de pénétrer dans la mythique salle des coffres.

Située en sous-sol, elle abrite toujours 5 000 coffres-forts personnels de tailles différentes. De minces espaces où se sont entassés secrets enfouis, ressources insoupçonnées, et économies d’une vie de labeur. Avec le départ de la banque début 2017, tout cela a disparu pour laisser place aux souvenirs évanescents et aux cliquetis entêtants des systèmes de verrouillage des serrures liés à des horaires programmés. Faute de réponse des propriétaires, certaines serrures ont dû être forcées par la banque avant de quitter les lieux.

Porte blindée et saint des saints

Moquette dorée ayant subit le passage du temps, combinés téléphoniques à cadran rotatif aux murs, la salle est restée dans son jus, comme le saint des saints bancaire de l’époque qui se situe juste à côté, la salle du trésor. Soit l’endroit où arrivaient les espèces déposées au guichet par les particuliers, juste en haut grâce à un tube pneumatique.

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Une technologie tombée en désuétude qui illustre l’une des raisons du départ de l’Écureuil. Le siège de Mériadeck était devenu quelque peu obsolète et trop petit pour la société qui voulait regrouper tous ses services à une même adresse. Décision est prise en 2012 de quitter le bâtiment pour un nouveau, construit dans le quartier Euratlantique, non loin de la gare Saint-Jean. Les derniers cartons sont enlevés en 2017 ; l’âme du lieu, elle, est restée. 

Passé révolu et futur à dessiner

Neuf ans plus tard, la fonction première du lieu continue de transpirer des murs en béton armé. Se promener au rez-de-chaussée ou au premier étage revient à s’offrir un voyage temporel. Logo sur les murs, moquettes d’époque, chaises et mobilier que tout fan de design aimerait chaparder, le lieu est habité d’une aura flottant à mi-chemin entre un passé révolu et un futur à dessiner

Dans l’auditorium de 300 places au 3e étage, splendeur intacte qui ne demande qu’à être activée, dévoilent le nouveau propriétaire des lieux depuis 2015, Norbert Fradin. Amoureux du patrimoine et de la culture, il possède d’autres joyaux dans la région, du château du Prince Noir à Lormont au château de Villandraut en passant par le Musée Mer Marine qu’il a fait bâtir dans le quartier des Bassins à flot. Tombé sous le charme de l’architecture organique du lieu, il y a installé une partie de ses bureaux et de sa grande collection d’œuvres d’art au 2e étage.

Similitude avec le musée Guggenheim de New York

L’impression de se balader dans un musée est renforcée par les nombreuses similitudes existant entre le jeu de courbes et contre-courbes du monument et celle du musée Guggenheim de New York. Rien d’illogique à ça, l’architecte du musée américain, le légendaire Frank Lloyd Wright, est une source d’inspiration majeure d’Edmond Lay. Dans l’utilisation du béton armé, la place primordiale donnée à l’arrondi ou l’agencement intérieur, une autre influence indéniable se dégage : le Brésilien Oscar Niemeyer et en particulier, le siège du Parti communiste français à Paris que ce dernier a conçu dans les années 1970.

Labyrinthes de possibilités, la « Caisse » est toujours en transformation. La preuve au 4e étage, auparavant cafétéria du groupe et désormais espace de coworking, W’in. Depuis 2021, 46 entreprises et 130 employés se répartissent 1 600 m2 aménagés à la dernière mode des espaces partagés fleurissant aux quatre coins d’un monde plus très rond. 

Décor de film

Un changement d’atmosphère brutal et une magnifique découverte : la terrasse de 600 m2, réservée aux locataires du coworking offrant une vue panoramique surplombant Bordeaux. Une carte postale encore plus imposante au cinquième et dernier étage, celui du conseil d’administration. Un lieu préservé de la marche du temps.

Assis dans l’un des canapés en cuir toujours en place dans le bureau du directeur du conseil d’administration devant une table en bois de palissandre, il ne serait pas choquant de voir les décideurs de la Caisse d’Épargne passer la porte du bureau pour venir tenir une dernière réunion.

Décor de film par excellence, l’endroit a accueilli de nombreux tournages dont Free Fall réalisé par Emmanuel Tenenbaum, sorti en 2021, un court métrage multi-récompensé et même nommé aux Oscars.

Pour autant, le lieu ne devrait pas rester éternellement figé, la création d’un établissement à vocation artistique est dans les tuyaux. En attendant, quelques privilégiés ont parfois la chance de participer à des visites privées du bâtiment, classé au titre des monuments historiques en 2022, et d’apprécier ce joyau architectural en mutation.

Guillaume Fournier

Informations pratiques

Caisse d’Épargne,
61, rue du Château-d’Eau, Bordeaux (33)