Emblème de Bordeaux, le pont de Pierre celui qui fut pendant plus d’un siècle le seul élément de jonction entre les deux rives de la ville est aujourd’hui concerné par des travaux d’ampleur qui vont durer au moins jusqu’en 2028 pour assurer sa pérennité. En effet, chaque année, l’ouvrage s’enfonce de quelques millimètres dans la Garonne, de quoi déstabiliser à terme toute la structure. Pour comprendre la nécessité des 52 mois de travaux prévus (!) et les quelques 50 M€ du chantier, JUNKPAGE vous propose un voyage dans le temps en dix dates et une légende urbaine pour (re)découvrir un point névralgique de la ville fréquenté, avant les travaux, par près de 60 000 personnes par jour !
1808 : un pont pour Napoléon
Jusqu’au début du XIXe siècle, pour passer d’une rive à l’autre de Bordeaux et traverser la parfois tempétueuse mais toujours boueuse Garonne, il fallait prendre sa barque ! Si des projets sont évoqués à la fin du XVIIIe siècle, il faut attendre 1808 pour que la décision soit prise de construire un pont.
Elle émane de l’empereur, Napoléon Ier, qui souhaite faciliter le passage de son armée en route vers la conquête de la péninsule ibérique. Voulu d’abord en fer mais emporté par une crue, en faillite puis repris par des notables de la ville, l’ouvrage mettra douze ans pour être achevé.
1822 : une inauguration après un chantier dantesque
Par économie, l’architecte qui reprendra les travaux pour les finir, l’ingénieur Claude Deschamps, opte pour un pont en pierre pour les piles et les arches avec un remplissage en brique pour alléger la structure. Il est aussi doté d’un réseau de galeries en son sein permettant de contrôler en permanence l’état de l’édifice.
Un franchissement de 478 mètres de long, considéré comme une merveille d’ingénierie de l’époque, reposant en grande partie sur des pieux en bois s’enfonçant à plus de 15 mètres dans le sol.
1861 : abolition du péage pour les piétons
À son ouverture, pour pouvoir emprunter cette voie à l’aspect antique, il fallait passer d’abord à la caisse. En effet, en contrepartie de leur aide financière, les notables, dont Balguerie-Stuttenberg en tête, obtiendront la perception du péage pendant 99 ans. Jusqu’en 1861, il était payant, même pour les piétons, de franchir le pont. Les derniers péages pour les marchandises disparaîtront en 1928.
Années 1900 : début des travaux pour préserver l’édifice
Des doutes ont longtemps circulé sur le nom de l’édifice, parfois appelé pont Louis XVIII, en référence au roi en place à son inauguration, pont Napoléon, pont de Bordeaux ou, plus communément, pont de pierre. Cependant, une chose est sûre : il doit être surveillé en permanence.
Claude Deschamps avait insisté sur le fait de maintenir solidement les fondations dans le lit de la Garonne. Dès les années 1900, des travaux de renforcement sont effectués avec le corsetage des piles et des tonnes de rochers versées pour éviter l’enfoncement de l’ouvrage.
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Juin 1940 : un témoin de l’exode des Français face à l’agresseur nazi
Reflet de l’histoire de France et de celle de Bordeaux, le pont de pierre a connu de nombreux moments symboliques de l’histoire du pays. S’il ne fallait en retenir qu’un, difficile de ne pas mentionner le passage de l’immense cortège qui arrive dans le port de la Lune, en juin 1940, lors de l’ exode massif provoqué par la déconfiture de l’armée française face à l’agresseur nazi.
Près d’un 1,8 million de personnes aux destins brisés déferlent à Bordeaux. Une marée humaine passant par ce qui reste l’unique point d’enjambement de la Garonne, le pont de pierre.
1954 : s’élargir ou être détruit, telle est la question…
Victime de son succès, le pont de pierre est sans cesse soumis aux embouteillages. Pour remédier au problème, certains veulent le détruire et le remplacer ! Si les projets les plus fous circulent, en 1949, il est décidé de construire un autre franchissement, le pont Saint-Jean qui ne sera inauguré qu’en 1965.
Pour désengorger la ville, le pont de pierre est élargi en 1954. Conséquence de ce mouvement, les quatre pavillons de péage d’allure dorique qui cernent les entrées sont détruits au moment des travaux.
1992 : première étape du confortement de l’ouvrage
Vénérable monument s’il en est, le pont pâtit de nombreuses complications. Si les pieux en bois ont bien été plantés en deçà du lit de la Garonne, ils ne reposent pas sur un sol incompressible. Résultat, le pont s’affaisse chaque année de quelques millimètres par an ! De quoi mettre en péril toute la structure.
Autre défaillance, le manque d’étanchéité au niveau du tablier où l’eau s’infiltre, dégradant les maçonneries. Enfin, pour couronner le tout, la Garonne, au courant particulièrement fort à ce niveau, créée de l’érosion. Entre 1992 et 2002, les piles 1 à 6 vont être renforcées par l’État grâce à des micropieux bien plus profonds que ceux de d’origine pour consolider la structure.
2003 : un tramway nommé désir
Le début des années 2000 est synonyme de changements. En 2001, le pont de pierre, alors détenu par l’État, devient la propriété de la Communauté Urbaine de Bordeaux (CUB), ancêtre de Bordeaux Métropole. L’année suivante, le 17 décembre pour être précis, il est inscrit à l’inventaire des monuments historiques. Enfin, en 2003, est inauguré le passage du premier tramway, reliant la porte de Bourgogne à Stalingrad via le pont.
2025 : début des travaux de confortement
Celui qui a fêté ses 200 ans en 2022 commence à faire son âge et les problèmes déjà ciblés en 1992 se font chaque année plus inquiétants. Décision est prise de travaux d’ampleur sur plus de 52 mois pour stabiliser l’édifice et stopper son tassement.
Au programme : le forage et la pose de 160 micropieux en béton répartis sur les dix piles non traitées en 1992, mais aussi le cerclage et l’enrochement des piles contre l’érosion. À l’intérieur des galeries, les salles vont être rénovées avec la pose de joints à la chaux et le remplacement des pierres et autres éléments endommagés.
Fin 2028, la fin des travaux ?
D’un montant de 50 M€, le chantier est pris en charge par Bordeaux Métropole. Dans cette enveloppe, est comprise la somme de l’appel aux dons qui avait été lancé de longue date dont le montant n’a pas été dévoilé.
Le chantier prévoit aussi un travail d’étanchéité sur le tablier du pont. Celui-ci sera scalpé, mis à nu par étapes pour laisser place à un revêtement bien plus étanche. L’ensemble des travaux, qui couperont la circulation du tram au moins encore à l’été 2026 et 2027, devrait être complété fin 2028. Le pont sera alors de nouveau sur de bons rails pour 50 ans… voire plus !
17 : le pont de Bonaparte, une légende urbaine
17 arches pour 17 lettres… Voilà une coïncidence qui pourrait relever de l’hommage appuyé. Pourtant non, le nombre d’arches du pont de pierre n’est pas une référence à son commanditaire originel, Napoléon Bonaparte. Si cette légende urbaine court encore, elle ne tient pas face à certains faits historiques. Mentionnons ainsi que le projet d’origine devait comporter 19 et non 17 arches !
Guillaume Fournier