Jusqu’au 26 avril 2026, le Capc musée d’art contemporain de Bordeaux propose une rétrospective autour du travail de cette légendaire et pourtant méconnue figure de l’art new-yorkais des années 1980 : « Rammellzee Alphabeta Sigma (Face B) »
L’artiste préféré de ton artiste préféré. Voilà comment résumer en peu de mots le statut d’un homme longtemps oublié : Rammellzee (1960-2010). Celui-ci prend aujourd’hui un peu de la lumière qu’il mérite grâce aux travaux conjoints du Palais de Tokyo à Paris et du Capc à Bordeaux, à l’origine du projet « Rammellzee Alphabeta Sigma (Face B) ».
Après la face A, déployée dans l’institution parisienne, c’est au CAPC de jouer la face B de cette présentation concoctée par les commissaires Cédric Fauq pour le CAPC et Hugo Vitrani au Palais de Tokyo.
Autodidacte à l’influence immense
Né à Far-Rockaway, au fin fond du Queens, à New York, celui qui prend officiellement le nom de Rammellzee, même sur ses papiers officiels, est un autodidacte à l’influence immense. À 19 ans, il publie un manifeste dans lequel il énonce plusieurs concepts dont le Gothic Futurism. Il y établit un pont entre les enluminures dans les livres du Moyen-Âge et les graffitis que lui et ses compagnons d’alors comme Phase 2 ou Dondi White réalisent sur le métro new-yorkais.
Un lien palpable avec l’astucieuse scénographie mise en place puisque des incunables aux magnifiques illustrations, issus des fonds des archives de la bibliothèque municipale de Bordeaux, se retrouvent entourés d’œuvres de graffeurs pour prendre une résonance évidente.
Andy Warhol, Madonna ou Jean-Michel Basquiat
Écrivain de la ville plus que graffeur, il désigne dans ce texte son combat : celui du langage et sa volonté de s’extirper en ornementant, en réarmant les lettres pour se réapproprier le réel. Base de son travail, ce manifeste accueille les visiteurs au rez-de-chaussée où chacune de ses pages est tapissée dans une sorte d’antichambre.
Ni chronologique ni vraiment thématique, le parcours est une immersion dans l’univers et l’époque de cet artiste dont l’influence ne fait que croître dans les années 1980 dans l’ombre des Andy Warhol ou Madonna. Au point que des noms qui parlent à toutes et tous, comme le cinéaste Jim Jarmusch, qui le fait apparaître dans son film Stranger Than Paradise, ou Jean-Michel Basquiat, qui lui consacre un court métrage et des portraits dont le minimaliste Rammellzee datant de 1981 présenté ici, le côtoient fréquemment.
Quand l’art déborde du cadre
Point de rencontre et de bascule entre plusieurs mondes, l’homme est un artiste qui se veut total. Aussi à l’aise dans le domaine de l’acrylique, la sculpture, la performance que dans l’art du costume. Preuve en est, au deuxième étage, avec la suite de l’exposition plongée dans une lumière noire faisant ressortir le fluorescent des taches d’aérosol sur les tableaux et les vêtements.
Un espace conçu avec un centre de gravité, le chef-d’œuvre de l’artiste, Gasholear. Un improbable exosquelette de près de 150 kilos comprenant des systèmes pyrotechniques, sonores ou encore des lumières stroboscopiques, le tout opérationnel. Une machine démoniaque que l’on peut voir en action dans l’une des nombreuses projections vidéo émaillant la visite.
Intransigeant dans ses pensées, rejeté par une grande partie du marché de l’art, l’homme a créé un univers d’une singularité totale, un monde à lui dans lequel les visiteurs déambulent grâce à la foisonnante sélection de plus de 150 pièces.
Équation aux multiples inconnues, Rammellzee est décédé dans un anonymat relatif en 2010. Son art cryptique fascine à nouveau, consacrant celui qui fut l’un des derniers vrais chevaliers des arts et des lettres.
Guillaume Fournier
Informations pratiques
« Rammellzee Alphabeta Sigma (Face B) »,
Jusqu’au dimanche 26 avril 2026,
Capc musée d’art contemporain de Bordeaux (33).