Jusqu’au 4 janvier 2026, le Frac Nouvelle-Aquitaine MÉCA célèbre le cri, inépuisable source de création pour les artistes du Maroc avec l’exposition « Aïta, fragments poétiques d’une scène marocaine »
En darija (dialecte marocain), aïta signifie aussi bien cri qu’appel. Ce choix de titre revient à Sonia Recasens, historienne de l’art et critique d’art, commissaire de cette fastueuse proposition, achevant un cycle inauguré en 2015 par l’ancienne directrice du Frac Nouvelle-Aquitaine MÉCA, Claire Jacquet, et dédié aux scènes artistiques du continent africain. Ce focus sur la scène marocaine, lui, semble évident car le premier artiste africain entré dans la collection de l’établissement, en 1993, était le photographe Touhami Ennadre, natif de Casablanca.
Langage populaire, poétique et politique
Toutefois, s’il fallait exactement démêler l’écheveau, alors faudrait-il, assurément, évoquer en guise de fil rouge, l’hommage à Hadda Al Ghaîtia dite Kharboucha, célèbre chanteuse marocaine engagée de la fin du XIXe siècle, devenue, malgré son analphabétisme, une figure de la résistance au pouvoir établi. Symbole puissant d’un art oratoire caractérisé par une forme d’improvisation dont les origines remontent à la dynastie almohade vers le XIIe siècle.
Langage populaire, poétique et politique, porteur d’une mémoire collective comme individuelle, témoin de son temps, l’aïta rassemble hommes et femmes à travers les siècles et les régions du Maroc, de la campagne à la ville. Et rassemble une trentaine d’artistes, des années 1930 à aujourd’hui, entre peintures, sculptures, vidéo, photographies et pratiques vernaculaires (chant, broderies, calligraphie).
Cartographie de l’intime
Monumentales toiles singulières, à la frontière de l’étrange, chez Amina Rezki ; émouvante somme photographique de Daoud Aoulad-Syad consacrée à l’art forain évanoui de la halka, place Jamaâ El Fna, à Marrakech ; mémoire des peaux tatouées au henné chez Khadija El Abyad, telle une cartographie de l’intime célébrant des moments de vie ou offrant une protection magique réprimée par l’Islam ; transe gutturale fascinante, saisie dans le désert, par la chorégraphe Bouchra Ouizguen ; abstraction hypnotisante selon la légendaire Malika Agueznay.
Mais aussi la précieuse relecture de l’art calligraphique par Abdellah El Hariri, fondateur de la mythique revue Souffles ; exploration de l’inconscient collectifchez Oumaima Abaraghe qui réactive l’histoire des famines de son pays pour mieux sonder l’« oralité affective » enjolivant les récits intergénérationnels ; merveilleux art naïf de l’autodidacte Fatima Hassan El Farouj ; corps féminins déformés brodés à la main sur des mouchoirs par Soukaina Joual ; cyanotypes relevés à l’aquarelle en formes de fragments de mémoire chez Aassmaa Akhannouch… cette exposition polyphonique, tout à la fois chant d’émancipation, élégie et éloge du féminin (la cheikha, poétesse et chanteuse), dévoile le foisonnement d’un pays si loin, si proche.
Marc A. Bertin
Informations pratiques
« Aïta, fragments poétiques d’une scène marocaine »,
jusqu’au dimanche 4 janvier 2026,
Frac Nouvelle-Aquitaine MÉCA, Bordeaux (33).