Après plus de 10 ans de fermeture, la maison de Pierre Loti que le fantasque écrivain et officier de marine a façonnée toute sa vie, vient de rouvrir ses portes à Rochefort. Un kaléidoscope architectural extravagant et unique, à ne manquer sous aucun prétexte.
Pour un peu, on pourrait passer devant sans s’en apercevoir. À Rochefort, dans la rue Pierre-Loti, seule une devanture richement ornée attire le regard. Pourtant, comme un trompe-l’œil architectural, c’est en passant la porte de la maison juste à côté que les curieux pourront trouver un trésor insoupçonnable de l’extérieur : la maison de Pierre Loti.
Enfant terrible du pays, Julien Viaud (1840-1923), plus connu sous le nom de Pierre Loti, l’alias littéraire qu’il adopte au fil de sa carrière, est aujourd’hui de retour en pleine lumière. Fermée depuis 2012, sa maison, melting-pot esthétique unique, vient de rouvrir au public en juin 2025 au terme d’un chantier titanesque chiffré à plus de 13,5 millions d’euros, où plus de 150 personnes venant de 35 entreprises se sont relayées. « Le fil rouge de la restauration a été de remettre la maison dans son état de 1923, à la mort de Pierre Loti », détaille Elsa Ricaud, architecte du patrimoine sur le projet.
Un marin qui a changé de décor toute sa vie
Une fois passée la porte séparant l’espace d’accueil, entièrement repensé les visiteurs entrent dans « la maison d’un marin qui a changé de décor en permanence et qui va chercher à retranscrire les tableaux de sa vie dans sa demeure », comme l’explique avec entrain Benjamin le guide en nous faisant pénétrer dans le salon rouge. La première des plus de 20 salles à découvrir, où Pierre Loti met en scène son enfance et son adolescence.
Issu d’une famille bourgeoise déclassée socialement, l’homme sera sa vie durant un officier de marine accompli. Bercé par l’imaginaire des voyages de son frère Gustave, qui décède alors qu’il n’a que 16 ans, il sera aussi un éternel explorateur, insatiable de découvertes visitant près de 30 pays.
Globetrotteur enraciné à Rochefort
« Sa vie est une succession de triptyques, un voyage dans un pays ou une région du monde donnée, un roman écrit sur ce qu’il vient de visiter, et une pièce créée sur ce thème-là dans sa maison. Le voyage et le fait de ramener des collections à Rochefort vont être le moteur et la matière de son projet », détaille Elsa Ricaud.
Globetrotteur enraciné à Rochefort, il rachète la maison familiale à sa mère en 1870. Et débute son grand-œuvre, à partir de 1878, après un voyage l’ayant amené, entre autres, à Istanbul. De là naîtra son premier roman Aziyadé, publié en 1879, et l’aménagement de sa première pièce, modeste en taille mais riche en décor avec son plafond en stuc inspiré de l’Alhambra, ses sabres aux murs et ses tentures : le salon turc.
Un galop d’essai qui se transforme en réussite. De roman en roman, il écrira 61 livres au total, Loti gagne en assise littéraire et surtout économique lui donnant les moyens de réaliser ses folles envies.
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« Une maison de théâtre, le théâtre de sa propre vie »
Sans toucher à la structure, celui qui sera élu à l’Académie française à l’âge de 41 ans révolutionne l’intérieur de la demeure familiale. Dans la salle néo-gothique, c’est un déluge de détails, de la cheminée monumentale au bois travaillé en passant par les vitraux sans oublier les armoiries qu’il invente à sa famille. Rêvant de revanche sociale, Pierre Loti veut montrer son nouveau statut. « C’est une maison de théâtre, le théâtre de sa propre vie », explique le guide .
Un état qui se confirme dans la chambre du plus pur style Empire. Il l’aménage juste avant son mariage avec Blanche Franc de Ferrière. Symbole de l’empire napoléonien, les abeilles en stuc qui parsèment le plafond peuvent aussi se lire de manière ironique quand on apprend à quel point il a butiné ailleurs que dans le lit conjugal…
Dans cette ivresse de construction, un tournant. Loti rachète en 1895 et 1897 deux maisons mitoyennes au domicile familial. S’il n’avait pas touché aux murs de son enfance, il n’aura pas la même pudeur pour le reste. En témoigne ce qui est sûrement le joyau de ses 500 m2 de ravissement : la mosquée, qui possède son minaret.
C’est le quasi-effondrement du plafond de cette pièce, ramené en partie d’un palais oriental, qui avait suscité la venue du très médiatique Stéphane Bern dans le cadre de l’opération du loto du patrimoine en 2018. 500 000 euros plus tard, le plafond est resplendissant, comme tout le reste de ce lieu immense aux dimensions d’un immeuble domestique avec un travail de restauration remarquable, effectué à tous les niveaux, des parures aux mosaïques.
Autre salle hors norme un peu plus bas pour laquelle Pierre Loti a carrément démoli tout un étage de l’immeuble qu’il avait acheté, la salle Renaissance. Impressionnante, et conçue pour l’être, la pièce est un lieu d’apparat avec tapisserie aux murs, immense cheminée à la pierre richement ornée et, surtout, un monumental escalier descendant directement de sa chambre. Homme de contraste, sa chambre, justement, est un espace étonnant par son épure quasi monacale.
Dédale d’architectures
Le parcours scénographique est d’une légèreté bienvenue. Seules quelques installations sont disséminées pour donner des explications plus détaillées comme dans le cabinet de curiosités mettant en avant les objets ramenés par Pierre Loti ainsi que ses créations enfantines. Le reste est un dédale d’architectures, de civilisations, d’objets, de bizarreries, racontant toutes une histoire singulière. La maison est une splendeur déroutante, faisant traverser océans et pays en une porte.
Dernier arrêt, la salle chinoise, ultime projet, inauguré en 1902, lors d’une fête somptueuse ; une de plus. Dépouillée et sévèrement endommagée, elle a été reconstituée notamment grâce aux photos prises lors de cette soirée montrant une partie des décors. Le rendu est époustouflant même si moins fourni que le reste de la maison.
Dans le jardin pensé en partie comme un cloître, ne pas hésiter à lever les yeux pour admirer le travail porté sur les façades extérieures de chaque pièce, montrant son souci extrême du détail.
« Il viendra un temps où la Terre sera bien ennuyeuse à habiter quand on l’aura rendue pareille d’un bout à l’autre et qu’on ne pourra même plus essayer de voyager pour se distraire… », écrivait, prophétique, l’auteur décédé à 73 ans dans son ouvrage, Madame Chrysanthème, publié en 1888. En tout cas, dans cet environnement qu’il a aménagé à l’envi, aujourd’hui classé au titre des Monuments historiques, labellisé Maisons des Illustres et musée de France, le dépaysement est la règle et la fascination la norme. Jusqu’à un délicieux excès.
Guillaume Fournier
Informations pratiques
Maison de Pierre Loti
137, rue Pierre-Loti, Rochefort (17).
Du mardi au dimanche, 10h-19h, visite guidée, réservation obligatoire.
05 46 82 91 60