La figure de Madelaine Riffaud, grande figure de la résistance est mise en avant à la MÉCA, à Bordeaux avec l’exposition « Madeleine Riffaud, résistante(s)» basée sur la série en bande dessinée cosignée par Jean-David Morvan et le Dominique Bertail. Entretien avec les deux artistes.

De Paul Éluard à Vercors, de Picasso à Hô Chi Minh, de l’Occupation à l’Indochine, de l’Algérie aux hôpitaux de Paris, la presque centenaire Madeleine Riffaud a fait de l’engagement une immuable ligne de conduite jusque dans sa profession de reporter de guerre.

À la faveur de la commémoration des 80 ans de la Libération, la MÉCA, à Bordeaux, propose l’exposition thématique « Madeleine Riffaud, résistante(s)» basée sur la série en bande dessinée cosignée par le scénariste Jean-David Morvan (prix René Goscinny du meilleur scénario 2022) et le dessinateur Dominique Bertail. Le duo nous en dit plus sur ce destin hors du commun.

Comment avez-vous rencontré Madeleine Riffaud ?

Jean-David Morvan : À la suite de la diffusion, en 2015, du documentaire Résistantes de Pierre Hurel à la télévision. J’ai tout de suite eu envie de la rencontrer. Par l’intermédiaire d’un ami journaliste, j’obtenais son numéro de téléphone deux semaines plus tard. En outre, à l’époque, je travaillais sur une série consacrée à Irena Sendlerowa, travailleuse sociale polonaise, qui a sauvé 2 500 enfants juifs du ghetto de Varsovie. J’ai immédiatement eu envie de mettre en image son parcours et ce fut le début de six ans et demi de compagnonnage…

Dominique Bertail : Jean-David, que je connaissais de longue date, m’a très rapidement parlé de ce projet et proposé de rencontrer Madeleine. Lors de notre premier rendez-vous, elle m’a raconté par le menu les pires épisodes de sa vie de résistante. Devant cette femme aussi passionnée et vivante, c’était pour moi une évidence.

Face à une telle figure, quel écueil fallait-il éviter : l’hagiographie ou le biopic ?

J.-D. M. : Madeleine est une excellente scénariste. Je me contente uniquement de rentrer dans les détails. Avec elle, nous avons cherché, dès le départ, à être le plus proche du récit autobiographique. La bande dessinée permet la chronologie sans lasser le lecteur. Avec Dominique, on utilise nos « ficelles » de faiseurs de genre. De toute façon, le biopic, c’est souvent du Wikipédia étendu.

D.B. : Soit nous choisissions une approche thématique, une idée en appelant une autre ; c’était une première piste de travail. Soit nous déroulions un récit en fonction de « l’ordre » de sa mémoire remontant à la surface. Finalement, le récit chronologique l’a emporté car nous voulions toucher le plus grand nombre de lecteurs, surtout les plus jeunes, ainsi que les personnes rétives à la lecture de bandes dessinées pour les embarquer dans cette histoire. C’est un véritable travail immersif qui fait de Madeleine Riffaud un personnage de BD comme Tintin ou Akira, mais c’est aussi une geste initiatique.

J.-D. M. : Sachez qu’elle relit scrupuleusement tout, dans le moindre détail, parfois au-delà des délais d’impression imposés par l’éditeur !

Aviez-vous des modèles ?

J.-D. M. : Sans forfanterie je pense à la série Sillage que je réalise avec Philippe Buchet. Une saga de science-fiction dont l’héroïne, Nävis, préfigurait quelque part Madeleine Riffaud. J’ai compris après avoir vu le documentaire Résistantes que j’avais absolument besoin d’effectuer ce travail.

D.B. : Pour ma part, je cherchais une histoire avec une figure agissant selon ses convictions et progressant. Je rêvais de faire en quelque sorte mon Blueberry… et notre rencontre a agi comme un déclic. Qui plus est, je commençais à saturer de ces récits peuplés d’anti-héros ou régis par une forme de distanciation quelque peu cynique. Au bout du compte, Jean-David et moi avons trouvé chacun ce qu’il désirait au plus profond.

Pourquoi le choix du bleu ?

D.B. : Tout sauf évident au départ ! Nous voulions toucher le plus grand nombre et surtout pas tomber dans la facilité du sépia ou du gris neutre. Je ne voulais ni d’un traitement en couleur, allant ici à contresens du narratif, ni du noir et blanc. Ce bleu, lui, fait vibrer le blanc, le rend plus lumineux. Il est extrêmement agréable à l’œil, d’autant plus quand on s’y consacre 10 heures par jour.

J.-D. M. : Initier une série constitue toujours un pari voire un risque, surtout pour l’éditeur et la nôtre s’ouvre pendant l’Occupation ! Or, nous avons maintenu notre principe. Et, lors de la prépublication du premier tome en cahiers, les retours des premiers lecteurs se sont montrés très élogieux. De même que les commentaires des publications sur Instagram. Et nous avons tenu bon, maintenant ce principe jusque dans la couverture, qui est devenue en quelque sorte sa signature. Ce bleu a beaucoup plu à Madeleine, lui rappelant, qui sait, son amitié avec Picasso. Dorénavant, impossible de l’imaginer autrement qu’ainsi.

Qu’avez-vous appris avec ce travail ?

D.B. : Dès notre premier rendez-vous, elle m’a vraiment décillé les yeux, je n’avais aucune conscience de tout ça et me suis, peu à peu, retrouvé face à 50 ans d’imagerie de l’Histoire de France, de la Résistance glorieuse à la décolonisation. Une image française que j’essaie « d’esthétiser » mais à la manière de John Ford lorsqu’il s’empare du récit de Wyatt Earp.

J.-D. M. : Je prends des cours d’histoire quotidiennement. Elle m’a, par exemple, fait le récit intime des grandes grèves des mineurs français des années 1940. Grâce à elle, on vit par l’intime notre propre histoire.

Quel est le bon regard, quelle est la bonne distance face à un tel destin ?

D.B. : C’est toute la question. Comment montrer la violence sans tentation du glamour ? Notre proximité nous pousse à ne pas raconter de manière vulgaire, excessive ou voyeuriste, même si Madeleine veut que tout soit présent dans le récit. Elle a voulu tout raconter, y compris le pire de la torture. Ce travail est évidemment douloureux, nous ne sommes pas du tout dans le domaine du plaisir. Toutefois, notre empathie pour Madeleine nous donne l’énergie suffisante pour avancer.

J.-D. M. : C’est la personne la plus courageuse que je connaisse de ma vie.

N’y a-t-il pas un hiatus entre la volonté et le métier du scénariste face au récit d’une journaliste ?

J.-D. M. : Madeleine Riffaud sait raconter. Néanmoins, comme elle le répète en permanence, elle est avant tout poète et non journaliste. Elle a accepté, après avoir lu et donné son assentiment, certains épisodes que nous avons inventés, de purs écarts fictionnels, mais nous avons établi une connexion, une communauté d’esprits. Au bout du compte, je pense que ses souvenirs sont devenus les miens.

Qu’avez-vous appris de son histoire et de son récit de l’Histoire par rapport à vos propres histoires familiales sur cette deuxième moitié du XXe siècle ?

J.-D. M. : Elle me raconte le dos de l’histoire, notamment la complexité des mouvements de décolonisation. Elle dit souvent : « Mon anticolonialisme, c’est un patriotisme. » Le monde dont elle parlait faisait vraiment chier beaucoup de gens à l’époque, mais elle avait raison.

Qu’a-t-elle changé en vous ?

J.-D. M. : Ma voix ! En près de 7 ans de « vie commune », ma voix est devenue plus grave. Plus sérieusement elle a bouleversé ma vie. Et, elle est devenue mon copain.

D.B. : Mon dessin a changé. Avant, j’étais dans l’esbroufe. Avec Madeleine, c’est être au cœur du récit. Le dessin n’est plus qu’un outil.

Propos recueillis par Marc A. Bertin

Informations pratiques

« Madeleine Riffaud. Résitante(s) »,
jusqu’au vendredi 28 juin,
MÉCA, Bordeaux (33).

Madeleine, résistante, tome 1 — La Rose dégoupillée
Madeleine, résistante, Tome 2 — L’Édredon rouge
Dominique Bertail, Jean-David Morvan, Madeleine Riffaud,
Dupuis, collection aire libre

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