Dédales de Charles Burns, The Nice House on The Lake de James Tynion IV et Alvaro Martinez et Le Mystère Paul Cuvelier de Philippe Goddin et Martine Mergeay, voici les 3 sorties BD à ne pas louper en cette fin octobre.

La fin de la trilogie Dédales de Charles Burns

Entamée en 2019, la trilogie Dédales s’achève donc cet automne. 5 ans durant, nous aurons vécu au rythme singulier de l’impossible amour entre Brian Milner et Laurie Dunn.

Dans ce troisième tome, accompagnés par Jimmy, Dana, James et Tina, les deux ados partent randonner en montagne et tourner, au bord d’un lac idyllique, les derniers plans de leur film amateur en Super 8. Les émois de l’un vont-ils enfin parvenir à séduire l’autre pour qui une tierce, elle aussi, se consume ?

Il serait loisible de ne retenir que cette lecture naïve d’une fiction sentimentale avec passage à l’âge adulte en toile de fond. C’est d’ailleurs l’une des réussites du récit depuis l’origine, mais, avec Charles Burns, tout relève du millefeuille cérébral où la distinction entre rêve et réalité s’atténue un peu plus à chaque case.

Fuir la réalité, imaginer une invasion extraterrestre, fantasmer son existence à l’aune d’un storyboard, se perdre dans un monologue intérieur ininterrompu… Dédales n’est qu’une douloureuse errance, celle d’un anti-héros, incarnation idoine de tant de destins. Un conte de la solitude qu’aurait pu mettre en musique Brian Wilson à son plus fragile. Il est signé Charles Burns. Génie pour génie, nous ne perdons pas au change.

  • Dédales, tome 3, Charles Burns,, Traduction & adaptation de l’anglais (États-Unis), David Langlet,, Cornélius, collection Solange

James Tynion IV nouvelle coqueluche de la BD US

Nouvelle coqueluche de la scène BD US, lauréat du prix Eisner du meilleur scénariste, James Tynion IV alterne, comme ses prestigieux prédécesseurs (Alan Moore, Bryan K. Vaughan, Ed Brubaker…) récits super-héroïques et récits de genre, à ceci près qu’il semble s’être fait le spécialiste des fictions puisant dans l’atmosphère paranoïaque contemporaine.

La mini-série The Nice House on the Lake, elle, s’empare de la terreur collapsologique à travers l’enfermement d’une dizaine de personnages dans une villa paradisiaque alors que frappe un grand effondrement planétaire soudain.

Les rescapés, qui ne se connaissaient pas forcément avant, ont tous en commun d’être des amis proches de Walter, l’organisateur providentiel de cette rencontre collective, le prototype du mec sympa et inoffensif croisé par les survivants à différentes étapes de leur adolescence ou de leur vie de jeunes adultes.

Qui est réellement Walter ? Pourquoi ont-ils été choisis eux et pas d’autres ? Voilà les quelques enjeux d’une histoire tirant vers l’horreur et la science-fiction, mais qui se montre la plus intéressante dans ce qu’elle dit de l’attitude du gros des « élus » qui, passé le choc, semblent se satisfaire d’une frénésie matérialiste dans cette maison pourvoyant à tous leurs besoins, même les plus loufoques, telle une Arche de Noé du consumérisme.

Grâce aux possibilités du digital, l’Espagnol Álvaro Martínez Bueno donne vie à ce huis clos malin, mais qui n’ose pourtant pas aller au-delà de son pitch de série B, car il ne s’agirait pas d’abîmer trop ces spécimens de la moyenne bourgeoisie intellectuelle et arty. Dommage, James Tynion IV n’a pas le cran d’un Buñuel, mais cela facilitera sans aucun doute une prochaine adaptation du comics sur une quelconque plateforme de streaming en mal de série « événement »…

  • The Nice House on The Lake (2t, en cours), James Tynion IV (scénario) & Álvaro Martínez Bueno (dessin), Traduction (espagnol), Maxime Le Dain, Urban Comics, collection DC Black Label

Les liaisons dangereuses de Paul Cuvelier

S’il n’était pas à proprement parlé un dessinateur maudit puisque son nom brille à jamais en haut du panthéon de la BD belge classique, la carrière de Paul Cuvelier pâtit d’un goût singulier d’inachevé, tant s’y mêlent les regrets, les occasions manquées, les frustrations, comme si l’artiste avait su dès ses brillants débuts que l’attendait une destinée malheureuse et solitaire.

Parmi l’école de Bruxelles fédérée autour du Journal de Tintin et du maître Hergé, il était pourtant celui dont le style réaliste raphaëlien d’une étonnante sensualité bluffait même le père de Tintin pourtant bien connu pour être avare de compliments. En vain. Le dessinateur surdoué n’avait cure de la bande dessinée et de la « besogne Tintin » pour lequel il créa le moussaillon Corentin avant de s’essayer dans les années 1960 à l’érotisme soft avec Epoxy.

Éminent hergéologue, Philippe Goddin a eu accès aux lettres intimes de Paul Cuvelier destinées au grand amour de sa vie Ta Huynh-Yen, une Vietnamienne émancipée, rencontrée à la fin des années 1940, avec laquelle il mena une relation libre, intense et tortueuse, qui basculera en amitié, avant la rupture définitive.

Si les missives de Huynh-Yen ont disparu, il nous reste l’incroyable héritage épistolaire de Cuvelier portant le témoignage précieux de cette passion doloriste, plus encore de sa vie intérieure et créative chaotique. Un long monologue écrit dans une langue sublime et bouleversante qui, soit dit en passant, montre que l’on a quand même un peu perdu au change avec Tinder en matière d’échanges amoureux.

  • Le Mystère Paul Cuvelier, Philippe Goddin et Martine Mergeay, Les Impressions nouvelles

Marc A. Bertin et Nicolas Trespallé

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