Maître de l’implicite, le défunt Michel Crespin fait confiance à son dessin et à son lecteur dans son œuvre composite Marseil- Armalite 16 publiée chez Les Humanoïdes Associés.

Si le post-apo semble être devenu la tarte à la crème d’auteurs en mal d’inspiration, il reste des pionniers du genre qui méritent d’être redécouverts, ne serait-ce que par leur approche iconoclaste d’un domaine qui restait somme toute exotique dans la BD franco-belge du moins jusque dans les années 1960/1970 et l’apparition du très redfordien Simon du Fleuve.

Vue de loin, l’œuvre composite d’Armalite 16 entamée avec Marseil, rééditée par les Humanoïdes Associés, pourrait passer d’ailleurs comme un vague artefact de l’œuvre de Michel Auclair, mais quelques pages lues suffisent à révéler l’univers singulier de l’insaisissable Michel Crespin. Un bédéaste inclassable vivant niché au cœur des montagnes du Champsaur et dont l’esprit post baba-cool a réussi par on ne sait quelle bizarrerie à s’immiscer au sommaire des pages très punks et énervées du Métal hurlant historique de Moebius, Chaland et autres Corben.

Le monde d’après de Michel Crespin

Anti-spectaculaire au possible, son histoire filandreuse de soldats et de déserteurs, de collabos et résistants conte un monde d’après frappé par une catastrophe jamais nommée. Si des luttes de pouvoir se font jour, Crespin n’a que faire de tisser une intrigue à suspense et à multiples rebondissements, délayant sa narration en autant de points de vue et de temporalités, comme si l’ensemble des volumes composaient une ballade mélancolique et écolo où le chaos apparent porte l’espoir d’une utopie en germe.

Maître de l’implicite, Michel Crespin fait confiance à son dessin et à son lecteur pour se risquer à des pages contemplatives anticipant les maîtres japonais à la Taniguchi, des scènes en apparence gratuites, guidées par le simple plaisir de dessiner la nature, son immensité, son mystère.

À l’aune des récits ultra-calibrés n’aspirant qu’à être adaptés sur écran, la lecture du chef-d’œuvre nonchalant du dessinateur montagnard (disparu en 2001) s’avère encore aujourd’hui tout aussi dépaysante qu’elle ne l’était à l’époque.

Nicolas Trespallé

Informations pratiques

Marseil-Armalite 16,
Michel Crespin,
Les Humanoïdes Associés (39,95 €)

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