Le château ducal de Cadillac, imposante bâtisse érigée par le duc d’Épernon, cache dans ses combles un passé bien plus sombre… Plongée dans un monument, aux multiples vies, racontant en creux une partie de l’histoire de France.

Parfois les décors racontent une histoire plus parlante que les intrigues qui s’y jouent. Preuve en est au sud de la Gironde, à Cadillac. Ici, face à l’église Saint-Blaise-et- Saint-Martin, se tient un mastodonte prêt à livrer ses secrets pour qui franchit ses douves et remparts : le château ducal de Cadillac.

Les rêves de grandeur d’un demi-roi

Un récit qui commence avec… un duc, comme le mentionne le nom de la demeure. Militaire d’origine, qui se noue très vite d’amitié avec le futur roi Henri III (1574-1589), Jean-Louis de Nogaret de La Valette (1554-1642) va devenir l’une des personnes les plus importantes de son temps.

Favori du roi, pair de France, anobli en 1581, il est un personnage central au point d’être vite considéré comme un « demi-roi ». Statut qu’il conservera pendant près d’un demi-siècle en se rendant indispensable malgré les soubresauts de l’Histoire. Pour affirmer son rang, le Duc, au caractère intrépide et à l’orgueil exacerbé, ordonne la construction, en 1599, d’un lieu actant son importance. Il décide de l’édifier à Cadillac-sur-Garonne, non sans avoir préalablement détruit le vieux château féodal et prévu de s’étaler sur près d’un tiers de la bastide.

En résulte un château hors norme constituant l’un des premiers exemples d’architecture dite « à la française », tiret esthétique entre la Renaissance et l’architecture classique. Sur un plan massé autour de la cour centrale, il comporte 60 chambres, 20 cheminées de marbre, un parc gigantesque que le duc a dessiné lui-même et bien d’autres atouts. Une splendeur aux murs et planchers richement peints, décorés avec les drapés les plus fins et les plus courus du moment…

Immersion au XVIIe siècle

Un apparat qui se devine grâce aux magnifiques cheminées ornées qui trônent encore dans certaines pièces ou les décors subsistant aux plafonds et sur les volets. Autre bonheur visuel, au deuxième étage, dans la grande salle du roi, se déploie  la dernière des 27 teintures d’origine racontant la vie d’Henri III que le duc d’Épernon avait commandées pour rendre hommage à son protecteur et ami assassiné en 1589. Elle est aujourd’hui complétée par près de 40 tapisseries historiques. Si de nombreux outils numériques, dont un diorama, peuvent permettre de se représenter le faste des lieux à l’époque, il est aussi possible de se laisser guider dans les couloirs de l’histoire par le duc d’Épernon lui-même lors de visites théâtralisées hautes en couleur !

Assurées par la compagnie Le Chien perché, elles replongent les visiteurs dans la vie au XVIIe au gré de l’exploration du château. De la salle d’armes voûtée en sous-sol où le duc s’entraînait aux cuisines, laissant entrevoir des traditions tout sauf compatibles avec un régime végétarien, en passant par la visite des appartements royaux pour y apprendre notamment les pas de la bourrée, danse en vue de l’époque.

Une excursion pleine de vie permettant de mieux comprendre le destin du singulier duc d’Épernon ; considéré comme le père des Mousquetaires, il finira pourtant sa vie en résidence surveillée après avoir été marginalisé par le cardinal de Richelieu.

Première prison pour femmes de France

Le grand homme, rayé des manuels d’Histoire par crainte qu’il inspire d’autres seigneurs, s’éteint en 1642 à l’âge de 88 ans. Son fils, lui, rend son dernier souffle en 1661. Un moment correspondant au début du démantèlement partiel du château.

Gouffre financier, celui-ci est en effet décortiqué par les générations suivantes. Les pavillons d’angle par exemple sont démontés et les pierres vendues au fil des ans. La Révolution française n’épargne pas l’édifice, pillé en 1793. Les armoiries et symboles de la royauté sont détruits. L’ensemble est revendu à l’État en 1818, puis converti à une sinistre fonction : celle de première prison pour femmes de France.

Il accueille, à partir de 1822, des femmes ayant à purger des peines de plus d’un an. Vers 1865, au comble de l’activité de la prison, elles sont environ 400 détenues entassées aux étages du château. « Durant la période prison, les conditions de détention sont extrêmement dures avec une mortalité assez effrayante », détaille Anne Duprez, conférencière au château ducal de Cadillac. Plus de 10 000 détenues s’y succéderont jusqu’en 1891. La prison est transformée en 1905 en « école de préservation pour jeunes filles mineures », c’est-à-dire en maison de correction.

Si les dortoirs laissent place à des cages à poules individualisées, les conditions de vie sont toujours terrifiantes, ne s’améliorant relativement qu’en 1945 avec une réforme apportant un côté plus pédagogique aux maisons de correction. Cela n’empêchera pas le suicide de deux pupilles de la maison de correction, précipitant sa fermeture par l’administration centrale en 1952. De cette terrible période, ne subsistent que des traces dans les combles avec les cages à poules qui ont accueilli les pensionnaires mais aussi des archives photos disséminées un peu partout dans les salles.

Dialogues contemporains

Pont entre les époques, s’affiche au mur la photo d’une prisonnière prise par Bettina Rheims, issue de sa série Détenues, réalisée en 2014. Elle n’a pas été incarcérée à Cadillac, mais sa présence photographique donne du corps à la sombre histoire du lieu. Un alliage entre arts et patrimoine qui naît d’une vraie volonté de faire revivre le bâtiment.

Rouvert dans les années 1990, après une grande campagne de restauration, qui continue au coup par coup, le château accueille depuis une dizaine d’années des expositions temporaires impliquant des artistes contemporains. Dernier exemple en date, Xavier Veilhan, qui fait stationner en 2025 son Carrosse (2009) dans la cour centrale. Ce mélange des genres inattendu entre un vaisseau futuriste violacé et un bâtiment classé au titre des monuments historiques  semble montrer que l’histoire du château peut aussi se conjuguer au futur, ce que le public semble apprécier puisque la fréquentation de l’endroit aujourd’hui gérée par le centre des monuments nationaux a doublé en 10 ans avec près de 25 000 visiteurs annuels.

Guillaume Fournier 

Informations pratiques

Château ducal de Cadillac,
4, place de la Libération
Cadillac-sur-Garonne (33).
Ouvert toute l’année. Horaires variables en fonction des dates.