FABCARO Après des années à errer dans les recoins obscurs de l’underground, Fabrice Caro s’est transformé presque du jour au lendemain en mastodonte de l’édition hexagonale depuis le succès aussi incroyable qu’inattendu de Zaï zaï zaï zaï. BD, romans et même roman-photo, ainsi qu’une multitude d’adaptations radio, ciné ou théâtrales, ont permis à l’hyperactif self made Mad de populariser son humour absurde existentiel glorifiant la lose du quotidien tout en pointant, sur le mode lol- mdr-wtf, l’incommunicabilité dans nos sociétés. Nouvelle consécration pour cet Antonioni rigolo, une imposante exposition rétrospective lui est dédiée pendant plus de huit mois au musée de la BD d’Angoulême. Malgré un agenda plus chargé qu’un auteur en soirée au FIBD, le roi Midas de la blague a trouvé le temps de nous accorder quelques mots en nous donnant rendez-vous là-haut sur la colline (où nous l’attendions avec un bouquet d’églantines) pour parler humour et faire juste une mise au point sur les plus belles images de sa vie.
Propos recueillis par Nicolas “Guacamole Vaudou” Trespallé

Qu’est-ce que cela fait de vous voir ainsi « muséifié » ?

Ça m’inspire un sentiment partagé ! D’un côté, ça fait plaisir, ça veut dire que des gens s’intéressent à mon travail. Mais de l’autre, c’est angoissant, ça fait un peu rétrospective, fin de vie, un peu comme ces César d’honneur qu’on donne aux vieux acteurs ! C’est un gros truc, l’exposition dure longtemps. J’ai toujours un peu de mal à être au centre de l’attention, ça ne correspond pas à ma nature !

Qu’y verra-t-on ?

On m’a demandé des planches originales extraites de mes albums, des objets, des choses qui m’influencent – photos, dessins, vinyles. Il y a aussi des participations de personnes avec lesquelles je travaille…

Des choses inédites ?

Il y en a pas mal. Des débuts de projets qui n’ont pas vu le jour ou des chutes que je n’ai pas gardées, ou des petits dessins qu’on me demandait à droite à gauche et pas forcément repris en album.

Vous aviez déjà près d’une dizaine d’années de carrière quand vous avez sorti Zaï zaï zaï zaï en 2015. Comment avec le recul expliquez- vous ce phénomène éditorial ?

Je n’y arrive toujours pas et j’aime l’idée de ne pas savoir l’expliquer ! Pourtant, ce n’était pas un livre facile. Je partais sur un style graphique figé, semi-réaliste, que je n’avais jamais pratiqué avant. Quand j’ai attaqué, je me suis dit qu’il n’y aurait que mes trois lecteurs hardcore qui allaient me suivre dans ce livre si particulier. J’avais fait pas mal de choses avant Zaï zaï zaï zaï et connu pas mal d’années de lose ; cela m’a permis de garder de la distance !

En parallèle de la bande dessinée, vous signez aussi, dès 2006, des romans. Que vous apporte l’écriture romanesque par rapport à la BD?

J’ai toujours fait les deux. Depuis tout gamin, j’écris des petites histoires et je dessine. Je n’ai pas souvenir d’avoir fait l’un avant l’autre ni d’avoir une préférence. Il se trouve que j’ai fait plus de bande dessinée, toutefois, les deux me sont nécessaires. Je n’ai jamais arrêté. J’ai pris un rythme plus régulier maintenant, je publie un roman tous les deux ans à peu près. J’en ai besoin pour m’aérer.

Pour y exprimer des choses plus intimes ?

Oui, ce n’est pas du tout la même approche. Ce n’est pas pour rien que je signe différemment, mes BD et mes romans. C’est une manière de prévenir mes lecteurs, de leur dire de ne pas y chercher forcément ce qu’ils trouvent dans mes BD. Dans les romans, je m’autorise des choses plus sentimentales et mélancoliques.

Justement, dans votre dernier roman, Samouraï, vous racontez comment un écrivain tente d’écrire un livre sérieux pour être pris au sérieux, cela vient-il d’une réflexion que vous avez subie ?

On a dû me le dire, pas forcément sur le ton d’un reproche. Depuis que j’ai commencé, j’ai toujours fait de l’humour. Pour moi, l’humour est quelque chose de sérieux. Par pudeur, je ne pourrais pas écrire tout ce que j’écris, si je ne passais pas par ce filtre. C’est plus un outil qu’une fin en soi. Mais c’est vrai que quand on fait dans l’humour, on souffre toujours d’un déficit de crédibilité. Pour moi, c’est un genre noble.

Vous vous emparez d’ailleurs d’un autre genre déconsidéré avec Guacamole vaudou, le roman-photo.

Ce projet est né à l’initiative de l’éditrice du Seuil qui lançait une collection autour du roman-photo. Elle a eu l’idée de nous réunir avec Éric Judor. On ne se connaissait pas mais on aimait chacun nos boulots respectifs. Éric m’a dit qu’il aimerait bien une histoire de vaudou. J’ai scénarisé comme je le fais habituellement, on a ajusté 2/3 trucs par-ci par-là, mais finalement on ne s’est pas beaucoup éloigné de la première mouture. C’est l’éditrice qui a géré le reste, le casting – près d’une cinquantaine de participants –, les perruques, les costumes. Par rapport à la BD, c’est plus lourd, il y a une grosse semaine de shooting photo. Tout ça avec un budget de livres, pas de cinéma ! C’était super chouette à faire !

Dans la plupart de vos livres, vous vous amusez du culte de la réussite et de la performance à tout crin, on peut presque y déceler un message politique…

J’aime l’absurde pour l’absurde, le non-sens pour le non-sens, mais j’aime aussi les sous-couches, les deuxièmes lectures. Je ne sais pas si je suis politique, c’est un grand mot, mais j’aime raconter des choses sur la société…

Quand vos personnages se parlent, personne ne s’écoute vraiment, ça dit beaucoup de notre époque, de ses fractures…

C’est une marotte que l’on retrouve dans mes livres. Comment on fait pour communiquer entre différentes couches sociales et de manière générale, comment on fait pour vivre avec l’autre. Ce sujet me passionne. Mes livres ne racontent pas des choses épiques, de grandes aventures, ils sont centrés sur les relations humaines ; un sujet qui me fascine.

« Mes livres ne racontent pas des choses épiques, de grandes aventures, ils sont centrés sur les relations humaines ; un sujet qui me fascine. »

Votre humour se base beaucoup sur les jeux de langage. On peut passer d’un parler publicitaire, à une langue technocratique hyperfroide, à une chanson populaire, comment travaillez-vous ce jeu sur la langue ?

Je ne le travaille pas. Ma seule contrainte quand je suis devant ma feuille, c’est de m’amuser. Je pars en improvisation. Je fais tourner les dialogues jusqu’à ce que quelque chose m’accroche, me fasse sourire ou rire – bon, je ne ris pas forcément aux éclats ! Je n’ai pas de recettes. En général, plus c’est absurde, plus ça me fait marrer, il faut juste trouver la bonne idée. Je croise les doigts après pour que cela amuse les autres !

Vous aimez partir d’un détail infime, de l’anodin pour lui donner une ampleur délirante…

C’est souvent ça. Mes histoires tiennent sur un Post-it®, et encore ! Il me faut juste un point de départ, même très mince et cerner dans quel esprit va partir le projet. C’est juste un alibi, comme une personne qui oublie sa carte de magasin…

La difficulté dans l’absurde, c’est de savoir où s’arrêter, comment dosez-vous pour éviter le gag de trop ?

Dans le roman, je fais gaffe à ça, Je ne veux pas faire du comique trop ouvertement comique. Il y a pas mal de passages que j’écris qui m’amusent, mais en les relisant, si c’est trop, je les enlève. Dans les BD, je n’ai pas de limites, au contraire. C’est pour cela que j’aime ce type d’humour. On peut toujours trouver plus absurde que l’absurde, et aller encore plus loin !

Même si on vous retrouve chez de gros éditeurs, vous n’avez pas abandonné vos premiers éditeurs La Cafetière et Six pieds sous terre.

Ce sont des amis. J’ai ce truc de fidélité pour ceux qui m’ont tendu la main à l’époque où tout le monde se foutait de ce que je faisais. Quand je publie chez eux, je dis toujours que je reviens au bercail.

Quand même, ce n’est pas compliqué aujourd’hui de raconter des histoires de perdant alors que vous êtes à fond dans la win ?

(Rires) C’est clair qu’à une époque j’adorais raconter mes séances de dédicaces où je n’avais personne. Je ne pourrais plus faire ça. C’est pour cela que je me suis éloigné de l’autobio. Cela ne marche pas trop mal pour moi, c’est chouette, mais c’est moins intéressant à raconter. Mais quand on a beaucoup losé comme moi, j’arrive toujours à trouver de la matière !

Ça y est, vous avez pris votre revanche sur la jolie fille de 4e qui ne voulait pas vous parler ?

(Rires) C’est ça, c’est ma revanche sur la vie !

Quand Gotlib arrivait dans une soirée, il y avait toujours quelqu’un pour lancer « Voilà Gotlib, on va se fendre la poire ! » et lui était tétanisé. Souffrez-vous du même syndrome ?

J’ignorais cette anecdote ! Moi c’est exactement pareil. Comme je fais des BD d’humour, certains se disent que je dois être aussi drôle dans la vie, ce que je ne suis pas spécialement. Au contraire, je suis plutôt spectateur et pas du genre à raconter des blagues. Il y a ce petit décalage, les gens doivent se dire « En fait, il n’est pas marrant ! » (Rires).

« Fabcaro sur la colline Zaï zaï zaï zaï »
Du samedi 13 juillet au 20 février 2023, musée de la Bande dessinée d’Angoulême (16)
Vernissage le 12 juillet (avec du vin blanc ou de la bière ?) www.citebd.org

SamouraïFabrice Caro (Sygne/Gallimard) Guacamole vaudouÉric Judor & Fabcaro, (Seuil)