Percuté de plein fouet par l’affaire Vivès l’an dernier, le Festival international de la bande dessinée (FIBD) d’Angoulême se munit de toutes les précautions pour sa 51e édition dotée comme toujours d’une solide programmation d’expos. Petit tour subjectif des festivités (certifiées « inclusives ») qui entendent apporter un « regard sur le monde ».

Année après année, rassembler toute la petite famille de la bande dessinée tient lieu de plus en plus d’un exploit pour le FIBD. Obligé d’user de circonvolutions diplomatiques pour se conformer à la démagogie ambiante, le grand rendez-vous œcuménique et festif annuel se retrouve régulièrement sous le feu croisé de critiques et tend désormais à montrer patte blanche, histoire de se prémunir contre toute attaque réelle ou fantasmée concernant ses choix ou partis pris.

Programmation nappée de probité candide

Au-delà du cas spécifique Vivès de l’an dernier (dont l’exposition a été prestement annulée pour raisons de sécurité), l’affolante manie à user de trigger warning n’est sans doute pas le meilleur moyen de rendre hommage aux auteurs invités, à l’exemple du malheureux Ryoichi Ikegami, maître du manga de yakuza, victime l’an dernier de de cette démonstration de politiquement correct qui ne semble même plus faire ciller un otaku.

C’est donc sous une programmation nappée de probité candide, de lin blanc et d’écriture inclusive que se présente le raout bédéphile de fin janvier. Doté d’un espace « Nouvelle création » en lieu et place du « Pavillon Jeunes Talents », le festival s’offre par ailleurs un léger lifting avec un « Future Off » qui vient remplacer, on l’espère, avantageusement l’anecdotique Spin Off, incarnation de cette tendance à l’embourgeoisement propret de la BD alternative qui nous rend presque nostalgiques des fanzineux punks-à-chien des 90s. Un léger décapage donc, pour une édition condamnée au consensuel ?

Président Sattouf

Pas si sûr, à l’image du gros morceau dédié à « l’œuvre monde » de Riad Sattouf, L’Arabe du futur. Scrutateur implacable de l’adolescence et de la jeunesse (La Vie secrète des jeunes, Ma vie au collège, Les Cahiers d’Esther…), observateur acide du jeu amoureux et de l’ultra-virilité (Pascal Brutal), le dernier Grand Prix d’Angoulême a su éviter les pièges de l’autobiographie complaisante et geignarde dans sa saga familiale sur sa jeunesse ballottée entre France et Syrie au cours des années 1980 et 1990.

Exposée sur les cimaises du Vaisseau Moebius, une large sélection de planches mise en perspective par les témoignages d’historiens, romanciers ou amis viendra démontrer en quoi ce récit désormais classique se double d’une rare perspicacité pour mettre au jour les fractures culturelles, idéologiques et religieuses qui résident et persistent aujourd’hui entre Orient et Occident.

Guerrilla Girl

Direction ensuite l’hôtel Saint-Simon pour découvrir les coulisses des albums de l’autrice-réalisatrice Nine Antico dont le dernier ouvrage au titre eustachien Madones et putains est en lice dans la sélection officielle.

Ouvrant ses carnets de dessins, l’artiste branchée rock indé, et aimant à raconter l’envers salace de la sexploitation (Betty Page, Linda Lovelace…), viendra dévoiler son univers très Riot Grrrl mâtiné de porno rigolo (deux BD-cul à son actif) où s’ébattent et se débattent des jeunes filles en fleur qui singent les garçons en jurant comme des charretières tout en parlant crûment de sexe. Pour pubis averti donc.

Tabernacle !

Transition toute trouvée pour découvrir un large panorama de la BD canadienne qui a vu l’un de ses plus grands maîtres disparaître l’été dernier, l’immense Joe Matt, prototype de l’artiste branleur dans tous les sens du terme à qui l’on doit deux chefs-d’œuvre de confession onaniste Peep Show et le sinistrement hilarant Épuisé.

Le compagnon de Seth et Chester Brown n’est pourtant que l’un des nombreux talents à avoir émergé du pays des caribous et du sirop d’érable, lequel a vu naître des auteurs aussi fondamentaux que John Byrne, Kaare Andrews, Dave « Cerebus » Sims pour la partie comics, sans parler de la vitalité de la BDQ (la BD québécoise) portée entre autres par le Grand Prix 2022 Julie Doucet, mais aussi Jimmy Beaulieu, Michel Rabagliati ou la regrettée Geneviève Castrée. Voilà qui est tiguidou.

Manga Zone

Comme à l’habitude, la partie dédiée à la création nippone reste le temps fort du festival. Cette fois, c’est le flamboyant Hiroaki Samura, mangaka apparu en France au mitan des années 1990 au même moment qu’un certain Jirô Taniguchi, qui aura enfin l’honneur d’une exposition. Son Habitant de l’infini, fort de 30 tomes, relatant l’impossible rédemption d’un samouraï immortel a su dynamiter le récit typé chanbara grâce à sa plume aiguisée comme une lame.

Sur le versant plus patrimonial, la mise en lumière du travail de Moto Hagio est assurément l’événement incontournable de cette édition. Fer de lance des Fleurs de l’an 24 — ce groupe informel de créatrices qui ont révolutionné thématiquement et esthétiquement le manga pour jeunes filles dans les années 1970 —, Moto Hagio s’est démultipliée entre récits de science-fiction, fantastique et épopées au romantisme tragique pour mieux dépeindre les amours impossibles d’adolescents pris dans la tourmente confuse de leurs sentiments.

Peu éditée en France, hormis un recueil anthologique de récits courts et Le Cœur de Thomas — son chef-d’œuvre — auquel s’ajoute la sortie récente du vampirique Clan des Poe, l’autrice fascinée par le lyrisme des écrits de Hermann Hesse a développé une forme narrative bien à elle faite de découpages elliptiques et d’idées graphiques audacieuses ; des innovations au service d’une recomposition des genres (à tous les niveaux) qui ont participé au renouvellement du manga grand public en l’éloignant de l’ombre parfois encombrante du Dieu du manga Tezuka.

Vive le sport

Année olympique oblige, on ira ensuite se dégourdir les jambes et les yeux, pour découvrir au musée de la ville une centaine de dessins du maître de la couleur Lorenzo Mattotti accompagnés des textes de l’écrivaine Maria Pourchet dans une évocation de la course vue autant comme activité physique que comme signe de fuite. S’il nous reste du souffle, on prendra la peine de rejoindre la «Ligne de départ [pour] rien ne sert de courir », un projet collectif performatif rassemblant les auteurs en vogue Lisa Blumen, Nina Chartier, Chloé Wary, Jeremy Perrodeau.

Se refaire La Cerise

En marge des festivités officielles et des nombreux débats et rencontres annoncés, on n’oubliera pas de faire un tour vers tous les à-côtés qui pullulent au moment de la manifestation, ainsi l’exposition venant clôturer l’année de célébration des 20 ans de La Cerise.

La maison bordelaise présentera un large échantillon de sa production dans un petit espace mis en valeur par le Géo Trouvetou des scénographes Samuel Stento. L’occasion de voir de près le travail d’orfèvre du Gustave Doré de la BD Jeremy Bastian qui dessine ses albums comme des gravures grâce à un pinceau à un poil !

Nicolas Trespallé

Informations pratiques

Festival international de la bande dessinée d’Angoulême,
du jeudi 25 au dimanche 28 janvier, Angoulême (16).

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