Festival International de la Bande Dessinée (FIBD) & MAX CABANES – De Goscinny à Gotlib en passant par Forest, il a croisé les plus grandes signatures du 9e art au cours de sa riche carrière débutée à l’orée des années 1970. Auteur d’une œuvre protéiforme et créateur d’une des séries les plus hallucinantes et hallucinées de la BD francophone, Dans les villages, l’artiste fait partie de ces monuments discrets du médium, malgré un Grand Prix d’Angoulême remporté en 1990. Entre deux planches de sa prochaine adaptation de J.-P. Manchette, l’auteur déroule quelques souvenirs pour le moins contrastés sur ses expériences angoumoisines.

✍️ Propos recueillis par Nicolas Trespallé

Vous attendiez-vous à recevoir le Grand Prix d’Angoulême en 1990 ?

Pas du tout. Je ne sais pas si ça se passe encore comme ça aujourd’hui, mais, à l’époque, il y avait toujours des bruits qui circulaient. Les auteurs montaient au moins une fois par mois à Paris pour faire photograver leurs originaux. C’était l’occasion de discuter avec l’éditeur et de croiser des collègues. Personne ne me disait « ça va être toi », alors que d’autres noms revenaient fréquemment. Je venais de sortir mon album autobiographique Colin-Maillard.

Une semaine avant le festival, je me rappelle qu’il y a eu un article assez exhaustif autour de la bande dessinée dans Libération où des célébrités interviewées, comme les Rita Mitsouko, partageaient leurs coups de cœur. Jamais je n’étais cité ! Rien ne concourait. Au festival, dix minutes avant l’annonce, l’attachée de presse de Casterman m’a fait venir dans les coulisses, je n’imaginais toujours pas que ce serait moi, je pensais juste faire partie des nommés. Quand j’ai été désigné, mes collègues sont tombés des nues, c’étaient des amis, on jouait au foot ensemble (rires) !  

Quel a été l’impact du Grand Prix sur votre carrière ?

C’est agréable et important de savoir que des confères trouvent votre travail intéressant. Mon éditeur d’alors avait misé sur deux autres auteurs pensant qu’un d’eux remporterait le Grand Prix cette année-là. Une grosse campagne d’affichage avait même été amorcée pour eux, ce dont je n’ai jamais bénéficié. Trois mois après le prix, je passais au BHV pour acheter des outils, et par curiosité je suis monté au niveau de la librairie pour voir la mise en place de mes albums, et là j’ai eu un mal de chien à les trouver ! J’ai demandé au chef de rayon qui ne me connaissait pas et à force de fouiller, il a fini par trouver difficilement 2 ou 3 exemplaires. Ce n’est pas mon genre de faire ça, mais j’ai appelé Casterman et l’éditeur Jean-Paul Mougin pour qu’il fasse quelque chose, mettre au moins des bandeaux, il a considéré que j’avais la grosse tête !

Comment votre nom est-il finalement sorti du chapeau ?

Je ne sais toujours pas. Je ne cours pas après les honneurs. La seule chose que j’ai faite pour ma carrière, c’est quand je suis monté au BHV ! Je ne suis pas fait pour ça, c’est une grosse perte d’énergie. Faire mon métier, c’est suffisant.

Il n’y a donc pas eu d’effet Angoulême ?

Je suis passé sur les trois grands journaux TV nationaux, il y a même un reportage sur mon travail, mais mon livre Colin-Maillard a continué à s’écouler tranquillement. J’en ai vendu 18 000 exemplaires. Ma copine, Florence Cestac marchait déjà bien, mais avoir le prix n’a pas fait augmenter significativement ses ventes. Je me suis dit que le lectorat de bande dessinée était finalement plus critique que le lectorat de littérature générale, car il ne se faisait pas avoir par les prix !

Quelle était l’ambiance dans l’académie ?

Autour des jurys, il y a toujours des rumeurs, des clans, c’est fatal. Mais il n’y a jamais eu de choses malhonnêtes, j’en suis sûr. L’éthique de l’académie était de remettre le Grand Prix à un auteur qui, par son travail, avait prouvé qu’il avait fait avancer le domaine. Parfois j’avais l’impression que c’était oublié au profit de considérations extérieures, du genre « lui c’est un con, lui, une tête de lard » ! Cela me mettait hors de moi. Il y a des noms que je proposais année après année, de vrais génies comme Goossens, dont on me disait qu’il ne parlait pas au grand public. Cela me gênait tout ça, mais peu à peu ces auteurs ont fini par être récompensés, et généralement cela tombait bien.

Photographie de l’auteur de BD Daniel Goossens

La désignation de Crumb en 1999 a provoqué une diatribe de Greg ;bizarrement, vous l’avez soutenu…

Plus on est jeune et plus on a l’impression que le passé est lointain. On a une perception biaisée du temps, Crumb c’est un mythe vivant, une célébrité, on a l’impression qu’il a toujours existé, pour moi c’était comme les grottes de Lascaux. À l’époque, je pensais qu’il y avait un côté absurde à lui donner ce prix… dont il n’avait pas besoin et dont il ne voulait pas, alors que d’autres auteurs sont voués à être effacés par le temps, hélas !

Comment avez-vous perçu le changement de désignation du Grand Prix ?

J’étais pour. Certains pestaient… y compris des gens qui auraient dû être en accord avec quelque chose qui allait vers plus de démocratie.

Selon vous, qui mériterait d’avoir le prochain Grand Prix ?

Il y en a beaucoup… Jean-Marc Rochette est un vrai génie, c’est inimaginable qu’il ne l’ait pas encore eu. Pour moi, c’est le ratage total !

Vous avez toujours plaisir à vous rendre au FIBD ?

Oui, même si j’ai refusé d’y aller pendant les années Jean-Marc Thévenet [directeur du festival 1998-2006, ndlr]. Il se vantait d’engranger des bénéfices, comme un oligarque se pâme d’être de plus en plus riche, avec ses 200 000 entrées payantes. Dans le même temps, le festival faisait payer les emplacements de plus en plus chers, ne souhaitait pas retourner au système d’entrée gratuite et avait supprimé le chéquier qui permettait aux auteurs d’accéder au restaurant…

Pour les 50 ans, on imaginait une expo ou un événement rétrospectif célébrant tous les anciens lauréats, il semble que ceux qui, comme vous, ont fait l’histoire du festival sont un peu oubliés…

C’est à mettre dans le passif des « 200 000 entrées payantes », cela traduit la manière dont on nous traite…

informations pratiques

En dédicace au Monde des Bulles, stand Dupuis.
À paraître Dans les villages, intégrale (Humanoïdes Associés), le 8 mars

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