L’immense photographe belge, Harry Gruyaert, membre de l’agence Magnum, est à l’honneur, à Pau, au Parvis, avec le second volet de sa fascinante et désormais légendaire série Rivages.

Des Rivages sont visibles jusqu’au 17 juin au Parvis à Pau. Et il ne s’agit pas de n’importe quel trait de côte, mais ceux choisis par le photographe belge de renom Harry Gruyaert. Faisons d’abord connaissance avec le bonhomme.

« Je me sens beaucoup plus proche d’une démarche photographique américaine que de la photographie humaniste française. (…) Faire une photo, c’est à la fois chercher un contact et le refuser, être en même temps le plus là et le moins là. »

Première rétrospective à la maison européenne de la Photographie en 2015

Si la valeur n’attend pas le nombre des années, le public français aura tout de même dû patienter jusqu’en 2015 pour prendre enfin toute la mesure du travail d’Harry Gruyaert, à la faveur de sa première rétrospective à la Maison européenne de la Photographie. Loué soit ici François Hébel, actuel directeur de la Fondation Henri Cartier-Bresson, et commissaire de cette mémorable exposition. Certes, l’évidence ici fait sens, mais à croire que nous n’étions pas prêts…

Après des études à l’école du cinéma et de photographie de Bruxelles, au début des années 1960, ce natif d’Anvers travaille pour des documentaires de télévision, mais les visions de Richard Avedon et d’Irving Penn l’incitent à devenir photographe de mode. 1962, direction Paris où trois rencontres s’avèrent déterminantes. D’abord, Peter Knapp lui commande des photos pour le magazine Elle, dont il est le directeur artistique.

Si l’intéressé éprouve alors un certain plaisir à « vivre parmi les mannequins », il admet rapidement que « tout cela manque singulièrement d’ouverture au monde ». Puis Robert Delpire, qu’il admire pour la qualité de ses livres autant que de son agence de publicité, lui fait réaliser des photos de voiture. Enfin, Philippe Hartley lui demande de documenter une croisière Paquet, au Maroc.

Harry Gruyaert, made in Belgium

Cette destination agit comme une révélation — « c’est le Moyen Âge et Brueghel à la fois » — et une source d’inspiration ; et l’occasion de deux livres. Le voyage façon maïeutique, d’une expression personnelle, d’une sensibilité. Parallèlement, s’il se montre méfiant vis-à-vis du travail pour la presse, il comprend néanmoins que le prix de son indépendance passera par les commandes alimentaires.

Le fleuve Niger à Mopti en 1988 – crédit : Harry Gruyaert / Magnum Photos

Reconnaissant les influences conjuguées de la peinture et du cinéma (Antonioni), Gruyaert se lie avec les sculpteurs Richard Nonas ou Gordon Matta-Clark, s’installe à Londres en 1972, où il réalise la série « TV Shots » en déréglant un poste de télévision. De retour au pays, il publie l’étonnant Made in Belgium.

Contemporain des géants américains de la couleur — Saul Leiter, Joel Meyerowitz, Stephen Shore —, il est conforté dans sa démarche lors de l’exposition de William Eggleston au musée d’art moderne de New York, en 1976, qui lui fait comprendre « qu’une photographie existe lorsqu’elle prend corps par le tirage ». Cette même année, il reçoit le prix Kodak de la critique photographique.

Rivages, un corpus amoureux des côtes

Pionnier du genre sur le Vieux Continent, sa conception offre une dimension purement créative. Une perception émotive, non narrative et radicalement graphique du monde. « La couleur est plus physique que le noir et blanc, plus intellectuel et abstrait. Devant une photo en noir et blanc, on a davantage envie de comprendre ce qui se passe entre les personnages. Avec la couleur on doit être immédiatement affecté par les différents tons qui expriment une situation. »

« Rivages » constitue un corpus amoureux des côtes (baie de Somme, mer du Nord, Irlande, Inde, Espagne, France, Égypte) frappant par sa singulière unité, entre fulgurance instantanée et émerveillement poétique. Fruit d’un regard attentif, somme de vues dénuées de tout pittoresque au profit de lignes d’horizons brouillées dans lesquelles la présence humaine souvent s’efface.

Longtemps loué pour son usage savant du procédé Kodachrome, cet adepte du Cibachrome [procédé de tirage photographique couleur depuis un film inversible, NDLA] aux couleurs saturées et aux noirs profonds a sauté à pieds joints dans la révolution numérique. Une pratique qui, si elle perd en rigueur, donne « accès à de nouvelles lumières et permet de prendre plus de risques », mais la démarche demeure. Et son enthousiasme pour les paysages marins semble inépuisable.

Marc A. Bertin

Informations Pratiques

« Rivages 2 », Harry Gruyaert,
jusqu’au samedi 17 juin, Le Parvis, Pau (64).

www.parvisespaceculturel.com