STÉPHANIE WALDT – Arrivée discrètement à la direction du théâtre Ducourneau, à Agen, en 2019, abandonnant au passage une partie d’elle-même et un métier-passion nourri depuis l’enfance, elle dévoile par fines touches la prochaine saison qu’elle a élaborée pour ce territoire singulier. Portrait en creux et en non-dits.
Ouvrir le rideau de fer sans aucune hésitation sur les boutons, pourtant nombreux, à actionner ; grimper en talons compensés dans les cintres, ces passerelles haut perchées au-dessus de la cage de scène ; manier le trousseau de clés du théâtre avec l’aisance d’un régisseur ou commenter l’architecture étonnante de ce lieu construit en béton amalgamé en 1907 : rien ne semble infaisable à Stéphanie Waldt quand elle fait visiter le théâtre Ducourneau dont elle assure aujourd’hui la direction.
La rencontre se fait dans un théâtre qui sent bon la peinture fraîche et le ravalement de façade, en l’occurrence les menuiseries, remplacées dans les règles de l’art, pour respecter ce bâtiment inscrit et protégé depuis 1986 au titre des monuments historiques. Exit la couleur saumonée des murs et la moquette défraîchie. La rénovation se fait en douceur, par étape, avec détermination. Pas de grande révolution mais un changement subtil : plus de clarté, plus de lumière, plus d’espaces…. Car tout l’enjeu est de rendre aux Agenais ce théâtre situé en plein centre-ville.
« Le cœur du projet c’est décloisonner. » Pour Stéphanie Waldt, l’ouverture est un objectif qui sous-tend toutes les actions qu’elle entreprend : organiser des expositions dans les coursives des étages, accueillir les tricoteuses sous les peintures rénovées à la serpe de la superbe rotonde, chercher le meilleur endroit pour installer une petite buvette cosy, partager la salle de training entre répétitions et ateliers pour les enfants ; chaque espace est une opportunité pour créer du lien entre artistes et habitants.
Même dehors, sur le parvis, entre le musée des Beaux-Arts, où elle a fait une grande partie de sa carrière, et ce théâtre à l’italienne, aux faux airs néoclassiques. Même au-delà de la place Esquirol, puisqu’elle programme des représentations qui se déplacent dans les établissements scolaires et les Epadh en général ou dans l’association d’insertion Le Creuset à Pont-du-Casse, l’église de Sauvagnas et les jardins partagés en particulier. Les résultats sont là : le public s’élargit peu à peu, aidés par des tarifs simples et accessibles qu’elle a défendus récemment. Dans son bureau, qui jouxte l’entrée des artistes, elle raconte le projet qu’elle porte pour la scène agenaise dont le ministère de la Culture a renouvelé le conventionnement, mais, cette fois, au titre des projets pour la jeunesse.
Sous la lampe, un petit bonze en albâtre semble insuffler calme et sagesse. Aux murs, deux dessins d’enfants, l’un rempli de cœurs et un autre où l’on devine la façade du théâtre coloriée au Stabilo®, racontent sans le dire la difficile conciliation entre vie professionnelle et vie familiale quand la garderie ou la cantine font défaut.
Ailleurs, des peintures de l’artiste-peintre Idoia Izumi, dont elle avait organisé en 2017 l’exposition au musée voisin, illustrent l’attachement aux arts visuels. À l’époque, responsable des actions culturelles pour la jeunesse du musée, la titulaire d’un DEA bordelais d’histoire de l’Art œuvrait depuis quinze ans à l’ouverture, à la rencontre, au lien. Déjà. Sur un tableau en grand format intitulé La Forêt bleue, on voit une enfant cachant son visage dans une manche de robe bleue trop grande pour elle. L’image donne le ton : nous ne saurons finalement pas grand-chose de Stéphanie Waldt dissimulée derrière le sens du service public qu’elle a chevillé au corps, derrière le projet qu’elle met en avant, derrière le théâtre, la Ville et la saison.
« Le cœur du projet c’est décloisonner. »
Une saison enfin « normale », après des programmations empêchées par la pandémie. Parler avec elle des artistes et des spectacles qu’elle défend et programme, c’est faire un voyage dans la confrérie des créateurs qui travaillent aussi à l’ouverture et à l’accessibilité des œuvres, avec poésie, humour et surtout, avec une infinie gentillesse. Comme le chorégraphe Marc Lacourt. Ou les metteurs en scène Thomas Visonneau et Julien Duval, artistes associés. De l’un, on pourra découvrir Léonce et Léna, nouvelle création, dont la première aura lieu à Agen. De l’autre, Candide ou l’optimisme, classique pop et enlevé. Le cabaret joyeux Le Grand Bancal du Petit Théâtre de Pain débutera en chanson une saison marquée par un temps fort destiné aux enfants et à la jeunesse pendant les vacances de la Toussaint « pour tester des choses ».
Y sera présenté Koré de la compagnie lot-et- garonnaise Le Bruit des Ombres, nouvelle troupe associée pour deux ou trois années, car Stéphanie Waldt reconnaît avoir « besoin de travailler avec les compagnies sur des temps longs, que les artistes soient présents dans nos murs et que les habitants échangent avec nous ». Ce temps long, si convoité, est la garantie de tenir sur la durée car l’enchaînement de 50 spectacles, répondant au difficile équilibre entre théâtre, danse et musique, propositions pour adultes et programmation pour enfants (des tous petits aux grands ados), étonne pour la taille de l’équipe (10 personnes) et le bassin de population.
La paire de talons compensés s’apprête à glisser dans la valise pour Avignon. À voir le programme de festivalière qu’elle a élaboré (trois pages d’un agenda serré où se succèdent plus de 40 spectacles), on devine la travailleuse acharnée et studieuse. Désormais, elle sait qu’un festival comme celui-là donne aux programmateurs qui voient trop de choses une vision biaisée par la fatigue. Désormais surtout, elle a gagné en assurance : « Je sais ce que je veux pour ce théâtre. » À commencer par découvrir la merveille signée Julien Fournet Amis il faut faire une pause, invitation à la pensée et la joie qu’elle procure sous forme de pièce enjouée dans laquelle on avance étape après étape, à la façon d’un conte initiatique. Une ode à la lenteur et à la détermination en somme.
On repart dans la douceur du jour finissant : la campagne ici ressemble parfois à la Toscane. Dans la vallée, à l’orée d’un champ, une biche hésite : traverser en pleine lumière le pré fraîchement coupé ou retourner à l’abri dans l’ombre du bois ? Discrète.
Henriette Peplez