Puisant dans sa prodigieuse collection d’originaux, et bénéficiant de prêts privés, la Cité de la bande dessinée, à Angoulême, propose un retour vers le futur et le no-future à travers un panorama de 150 créateurs avec « Plus loin. La nouvelle Science-fiction ».

Pan majeur dans l’histoire de la bande dessinée, la science-fiction n’avait bizarrement jamais fait l’objet d’une grande rétrospective spécifique en France, voilà qui est chose faite à la Cité de la BD à Angoulême. Les nombreuses festivités accompagnant le demi-siècle de Métal Hurlant, revue fondatrice de retour dans les kiosques après une longue phase de cryogénisation, ne sont sans doute pas pour rien dans cette mise en perspective tant le magazine de Jean-Pierre Dionnet a déclenché un big bang créatif à l’aura mondiale.

Constellation de créateurs

Derrière les Moebius, Druillet ou Caza, se dessine une vaste constellation de créateurs dont l’exposition restitue l’apport dans un parcours qui s’efforce de suivre un double cheminement chronologique et thématique. Créateur du tandem Valérian et Laureline avec Pierre Christin, Jean-Claude Mézières ouvre naturellement la visite en tant que père d’un space opera assez unique dont le charme tenait autant à son duo de voyageurs temporels qu’à un prosaïsme du quotidien où l’avenir de la galaxie pouvait se jouer autour de la dégustation d’une blanquette de veau.

Le temps d’une indispensable escale devant les somptueuses planches de Paul Gillon et du génial Jean-Claude “Barbarella” Forest, une imposante armure signée Druillet vient signaler la période féconde des années 1970 et 1980 voyant les effluves utopiques des 60s lentement se dissiper. Changement d’ambiance donc, et place aux visions anxiogènes d’un J.-M Nicollet, à l’anticipation engagée et clinique d’une Chantal Montellier, au nihilisme punk (ahurissant Tanino Liberatore), à l’hypertrophie graphique aux relents de sueur crasse (Don Lawrence, Serpieri) ou au glamour ostalgique de Bilal.

Imaginaire pessimiste

Dès les années 1990, l’imaginaire se charge d’un pessimisme pavant la voie à une esthétique post-apo et dystopique qui fera florès (Hermann) quand certains préfèrent se réfugier dans le charme d’un rétro-futur vernien (Schuiten, Alex Alice). D’autres puisent dans l’école réaliste franco-belge pour tendre vers le planet opera merveilleux qui cultive un folklore singulier s’exprimant dans le style besogneux de Bourgeon avec le Cycle de Cyan plus encore dans le tourisme spatial du « Léo-verse » dispatché autour des multiples satellites de sa saga Aldebaran.

Nourrie progressivement de comics, de manga, assistée d’outils numériques, la BDSF mute, s’hybride et des éditeurs comme Delcourt participent au renouveau du genre avec des séries comme Aquablue de Vatine et Cailleteau qui marquera les ados proto-geeks des années 1990… et sans doute les futurs scénaristes d’Avatar. Même s’il puise encore largement dans les codes de la série B (sans se départir parfois d’un propos ambitieux comme dans l’efficace UW3 de Denis Bajram), le genre se revitalise véritablement quand il imprègne peu à peu le champ de la BD alternative.

Au milieu des années 2010 des éditeurs comme 2024 révèlent des auteurs topographes tel Jeremy Perrodeau et offrent des écrins à la hauteur des images spectaculaires et fascinantes d’un Clément Vuillier. La science-fiction sait surtout se faire plus intime à l’exemple du Iron-Man domestique qui sert de mascotte au talentueux Ugo Bienvenu quand elle ne sert pas clairement de catharsis à notre hypermodernité hantée par le spectre de l’effondrement écologique et par l’omnipotence technologique ; autant de thèmes que l’on retrouve remixés dans les œuvres fourmillantes d’un Mathieu Bablet. Trajectoire inquiétante où la « machine à rêver » des années Métal a fait place à une implacable machine à cauchemarder.

Nico “Duran” Trespallé

Informations pratiques

« Plus loin. La nouvelle science-fiction »,
jusqu’au dimanche 16 novembre,
Musée de la bande dessinée, Angoulême (16).