CADIOT-BADIE Fondée en 1826, la vénérable chocolaterie bordelaise n’usurpe en rien la mention d’institution. Ici, l’excellence est une préoccupation quotidienne, le respect des traditions, un sacerdoce, et l’ouverture, un devoir. Serge Michaud et sa fille Audrey se confient, Pâques oblige, sur leur dévorante passion commune.
Propos recueillis par Marc A. Bertin

Alors, le chocolat, atavisme ou gourmandise ?

Serge Michaud : Loin de là, plutôt un concours de circonstances. J’évoluais dans le secteur de la bureautique depuis une vingtaine d’années et, dans un cercle épicurien, j’ai rencontré un maître chocolatier, qui m’a parlé de Cadiot-Badie. Je connaissais de loin la maison et sa réputation car ma grand-mère m’y amenait de même qu’à la défunte pâtisserie Jegher, cours de Verdun ; d’ailleurs son propriétaire avait racheté Cadiot- Badie, et, des années plus tard, j’ai récupéré le comptoir de Jegher pour l’installer dans la boutique des allées de Tourny. Bref, j’ai donc cessé mon activité pour reprendre cette vénérable maison, en 1997, en véritable autodidacte, me formant aux côtés de ce maître chocolatier. En outre, j’étais trop jeune pour prendre ma retraite ! Certes, je suis gourmand, certes ma grand-mère avait son propre petit laboratoire, dont l’usage était destiné au cercle familial, mais je n’y étais nullement destiné. Depuis, nous avons déménagé le laboratoire de Bordeaux à Pessac, ouvert deux boutiques à Pessac et Gradignan. Nous avons tout remis en route en nous appuyant sur les recettes ancestrales de la maison. Contrairement aux anciens propriétaires, peu portés sur la communication, j’ai ouvert la maison sur le monde, je suis allé partout, surtout dans les châteaux. On a triplé la surface de production et cela ne cesse de grandir en diversifiant raisonnablement la gamme. Ce travail et la qualité ont payé. C’est motivant.

Une grande maison, est-ce le respect scrupuleux des traditions ou la nécessité de l’innovation permanente ?

S. M. : Nous nous considérons comme responsables si ce n’est redevables d’une histoire, d’un héritage.
Respecter une maison et ses traditions signifie également respecter celles de sa clientèle. Nous avons des recettes mais sommes sensibles aux demandes. Il y a 20 ans, je n’aurais jamais songé à confectionner des ganaches au gingembre ou au piment d’Espelette ! Je pensais que ce seraient des engouements éphémères. Nous sommes passés de 7 à 8 ganaches à trois fois plus aujourd’hui, mais il est impossible d’aller au-delà. Les traditions ne disparaîtront jamais : la Guignette ou le Diamant noir demeurent encore et toujours ce que désire notre clientèle.

Audrey Michaud : Il y a une nécessité de se réinventer, enfin de trouver la manière par la création de nouvelles pièces, de nouvelles présentations, de rester désirable, surtout à l’égard d’une jeune clientèle plus volage vis- à-vis d’authentiques maisons. Soit un défi permanent et stimulant. Parfois, il faut savoir habilement surfer sur une tendance, mais pas trop, comme le chocolat sans lactose. Ces dernières années, les tendances sont aux noix, aux chocolats moins sucrés. Il faut bien choisir mais sans faire le grand écart. Surtout ne pas se disperser.

« On vient chez nous car nos Orangettes, nos Guignettes sont des madeleines de Proust. »

Audrey Michaud

Pâques, est-ce forcément lapins, cloches et fritures ?

S. M. : L’aspect religieux a encore une importance fondamentale. L’œuf, c’est la base, le symbole, l’incontournable comme la cloche ou le lièvre. Les adultes y sont très sensibles et les enfants adorent

A. M. : Pâques, contrairement à Noël, c’est avant tout la fête pour les enfants, une fête joyeuse et colorée. L’an dernier, on avait mis l’œuf à l’honneur. Cette année, nous tentons un nouveau pari. Sans abandonner les sujets classiques, nous jouons avec le poisson devenu « poisson polisson ». On a créé un banc de poissons à l’image des fonds marins. Le laboratoire a su relever le défi, c’est assez fou car il y a des pièces assez cartoon et d’autres plus sérieuses. Nous relançons un jeu pour deviner au gramme près le poids exact d’un poisson géant, exposé en vitrine, et, qui sait ?, le remporter…

La clientèle est attachée à des valeurs sûres, à une qualité mais aussi à une éthique. Comment fait-on pour satisfaire ses attentes et se montrer respectueux des producteurs ?

A. M. : Visiter annuellement des plantations pour en saisir la réalité, apprendre la notion de grands crus, les provenances, les origines. C’est comme visiter un terroir pour le vin. Cette pédagogie est nécessaire, ne serait-ce que pour choisir au mieux nos producteurs. Une telle exigence s’applique également pour les boîtes et les coffrets afin d’éviter au mieux le gaspillage. De la matière première aux matières secondaires, tout a son importance.

Qu’est-ce qui vous fascine dans le cacao et donc dans votre métier ?

S. M. : La noblesse de la matière que je compare au vin. On peut établir un parallèle. Le chocolat, ce sont trois métiers bien distincts : le planteur, le broyeur- torréfacteur, le confiseur. C’est fou de penser en regardant un cacaoyer que l’on obtiendra des pralines ! Ce qui fascine, pour un gourmand comme moi, c’est de faire tant de produits délicieux. Quand arrive Noël puis Pâques, on retombe en enfance, on confectionne des figurines. Nos clients repartent toujours avec le sourire. Qu’ils soient seuls ou accompagnés, nos clients sont heureux car nous vendons du plaisir. Le chocolat détend l’atmosphère, voilà son côté féérique. Dès l’automne, le chocolat remplace les rayons du soleil. Manger du chocolat avant de prendre la parole en public, vous verrez immédiatement l’effet bénéfique…

A. M. : Il n’y a pas que le produit qui me fascine. Je passe beaucoup de temps dans les chocolateries. Les créations sont infinies tant pour les yeux que pour les papilles ; de la boîte à la dégustation, c’est tout un art. Il y aussi l’odeur, c’est immersif. Et quand on croque… J’adore également la brillance du chocolat. C’est précieux, compliqué à manipuler. La conservation est cruciale car cette matière souffre des chocs thermiques. Nos chocolats ne restent que deux semaines en boutique, un mois au laboratoire. La vie du chocolat est fascinante, plus précieuse qu’un diamant. En fait, tous les chocolats m’intéressent.

Votre jeune confrère, Xavier Lalère, passé dans votre maison, nous confiait que la noblesse du chocolat ne pouvait souffrir d’être accommodée à toutes les sauces. Partagez-vous ce point de vue ? 

S. M. : J’avais tenté, une année, d’associer cumin du Maroc et chocolat, eh bien, non, cela ne fonctionne pas. Laissez les épices en cuisine et utilisez avec parcimonie le chocolat comme liant dans une sauce par exemple. Je sais que c’est la grande mode de mélanger le chocolat avec tout et n’importe quoi, mais c’est une hérésie. Après, si vous en avez envie, essayez un fromage de brebis des Pyrénées bien sec avec un carré de chocolat, ça passe, mais un grand cru avec du chocolat, c’est catastrophique.

A. M. : Il y a bien sûr des limites. Déjà, le chocolat possède une saveur très prononcée, alors l’associer avec, au hasard, de la truffe nous fait doucement rire. Associer du vin, notamment rouge, avec du chocolat, c’est très dur. Un liquoreux à la limite. Nous avions essayé un mariage, plutôt réussi avec le cigare, mais nous avons dû faire face à un souci de conservation. De toute façon, ce n’est pas ce que recherche notre clientèle. Tout ce qui sort trop de notre ordinaire n’est pas Cadiot-Badie ! Au-delà de la gourmandise, il s’agit d’un rituel. On vient chez nous car nos Orangettes, nos Guignettes sont des madeleines de Proust. Nous n’avons pas le droit d’égarer notre clientèle.

Tout le monde fait désormais du chocolat, or qu’est-ce qui distingue une grande maison du reste ?

S. M. : Le chocolat, c’est très porteur, très tentant. Vous remarquerez que nombre de pâtissiers ajoutent sur leurs devantures la mention « chocolatier ». Après, ne nous méprenons pas, il n’y a que 3 maisons plus que centenaires qui ne font que ça à Bordeaux. Cadiot-Badie, c’est 26 tonnes de chocolats par an. Bien entendu, vous trouverez des pâtes de fruits, des marrons glacés, des pâtes d’amandes, mais 95 % de notre production ce n’est que du cacao.

A. M. : Une fidélité à ses recettes dans un respect hyper-scrupuleux car elles étaient là bien avant nous. Ici, le produit est roi. Aussi préfère-t-on arrêter un produit si nous ne trouvons plus l’un de ses ingrédients. Nous avons deux fournisseurs de cerises pour nos Créoles et nos Guignettes, la proximité est telle qu’ils nous préviennent pour la récolte. Alors, le laboratoire s’arrête et part cueillir et trier les fruits avant de confectionner.

Cadiot-Badie
26, allées de Tourny, 33000 Bordeaux
05 56 442 422
Du mardi au vendredi, 9h30-19h. Lundi et samedi : 10h-19h

Rue Eugène-Chevreul, Par Magellan, 33600 Pessac
05 56 362 415
Du lundi au vendredi, 8h30-17h30

181, cours du Général-de-Gaulle, 33170 Gradignan
05 57 953 100
Du mardi au samedi : 10h-19h

cadiot-badie.com