À la tête depuis le 1er septembre du Muséum de Bordeaux et du Jardin botanique, Lucile Guittienne, l’ancienne directrice du Muséum-Aquarium et du Féru des sciences, à Nancy, revendique le musée comme lieu de plaisir, souhaitant rendre le discours scientifique accessible et non l’asséner, tout en plaçant le citoyen au centre de son action.
L’accueil du Muséum de Bordeaux vibrionne de familles. L’été offrirait-il une précieuse parenthèse pour découvrir l’établissement nimbé de lumière ? Le soleil est si généreux au-dessus du Jardin public à Bordeaux que pousser les portes de l’institution offre en plus du savoir une fraîcheur bienvenue.
Du bâtiment voisin, elle vient à notre rencontre, qui ne se tiendra pas dans le cadre solennel de son bureau, mais dans un salon quiet, au premier étage, avec vue apaisante sur les magnolias. La tenue en lin et les sandales trahissent un parfum de vacances, « studieuses car j’en profite pour faire connaissance avec toutes les équipes ». Ses yeux d’un bleu apaisant contraste avec son verbe rapide. On la devine volubile et enjouée.
« Comprendre le vivant »
Native de Dijon, capitale de la moutarde et du pain d’épice, Lucile Guittienne passe une enfance heureuse en Côte-d’or, partageant le goût pour les jeux de société en compagnie de son père et de son frère cadet — « qui adore le rugby, c’est plutôt bien vu dans le Sud-Ouest, non ? » — et nourrissant un fort intérêt pour les reportages animaliers.
Pour autant, nulle épiphanie. Cette tête bien faite, au profil scientifique, appréciant par ailleurs la littérature, se passionne tôt pour la zoologie, « comprendre le vivant, notre environnement, les liens, que l’homme n’est qu’un animal parmi d’autres ».
Bac S en poche, ses humanités en écologie évolutive la conduiront jusqu’à Lille, toutefois, sa première expérience professionnelle en médiation sera à Autun, en Saône-et-Loire ; la Bourgogne, on y revient… pour mieux la quitter, en 2004, et devenir responsable des collections d’histoire naturelle du Muséum-Aquarium de Nancy. En Lorraine, la carrière ira bon train : directrice-adjointe (2010-2019) ; directrice-déléguée du Muséum-Aquarium et Féru des sciences (2019-2022) ; et, enfin, directrice du Muséum-Aquarium et du Féru des sciences (2022-2025).
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Sélection sexuelle chez les paons
Au passage, l’inculte journaliste aura eu droit à un passionnant cours sur la sélection sexuelle chez les paons, retenant grossièrement que sa discipline, l’écologie évolutive, donc, consiste à comprendre comment se diffusent les caractéristiques. Autre exemple, pourquoi le brame du cerf provoque-t-il l’ovulation chez les femelles ?
Elle commence par s’occuper des collections, puis monte des expositions dans un établissement longtemps fermé, connu pour ses poissons dont étaient amateurs ses prédécesseurs dans les années 1960. « Je suis arrivée jeune, mais pas impressionnée. C’était une petite structure. Rapidement, je me suis posée plein de questions. Qu’est-ce qu’une collection d’histoire naturelle ? Comment acquérir ? Comme dresser un inventaire ? Et, comme je désirais de plus grandes responsabilités, j’ai postulé pour avancer. »
Sa programmation — « Homme-femme : de quel sexe êtes-vous ? », « Ces animaux qu’on mange », « Moches », « Poils », « Attraction », « Mort », entre autres — ose le parti pris de sujets sérieux mais avec un pas de côté. « J’aime les mots explicites, cependant, chaque thématique repose sur un argument scientifique irréfutable, une expertise solide. » Et ça marche ! Le public, les publics populaires sont au rendez-vous. « Ce qui me plaît, c’est de raconter des histoires. Mes parents m’ont bercée de mythologie grecque. Je ne suis pas une spécialiste, plus dans la médiation. Je veux rendre le savoir accessible. »
« S’enrichir des pratiques des autres »
Parallèlement, elle s’investit au sein des réseaux professionnels (commission des acquisitions du Muséum national d’Histoire naturelle ; représentante de la Conférence Permanente des Muséums de France ; membre du comité de l’Association des musées et centres pour le développement de la culture scientifique, technique et industrielle, dont elle rejoint le conseil d’administration). « Prendre du recul est nécessaire pour se demander à quoi l’on sert. En outre, voilà des espaces d’échanges fondamentaux, où l’on s’enrichit des pratiques des autres. »
Sinon, elle dispense aussi des cours à l’université. Ponctuellement. « Loin de l’enseignement magistral et du savoir descendant. On fait des jeux. Le contact des étudiants est stimulant comme celui des jeunes collègues. Il y a 20 ans, les gens n’appréciaient pas de travailler dans nos établissements. La professionnalisation a permis d’affiner les envies et les profils. »
Farouchement attachée aux droits culturels et à l’inclusion, elle pousse l’engagement à « accompagner le public dans une meilleure appréhension de l’actualité et compréhension de la démarche scientifique ». « Il y a deux façons de travailler, soit par l’intérêt pour les collections, soit par la médiation. Or, on doit questionner cette dernière comme l’a fait ici, avant moi, Nathalie Mémoire en mettant des médiateurs dans les salles. Je prône avant tout l’entente de l’autre. Co-concevoir signifie attirer le public et mettre ensemble des systèmes de prises de décision égalitaire. Le musée n’est pas au-dessus des gens. On doit être là pour être utile au public et pourvoir à ses besoins. »
Complexité et triste signal
Au nombre de ses convictions, l’attachement à la notion de service public afin de servir et le respect d’une certaine neutralité qui ne saurait empêcher d’exprimer des points de vue affirmés, « on n’est pas forcément plat ». Et l’époque qui met à mal le discours scientifique ? « Si l’on comprend comment fonctionne la science, cela redonne confiance. Le Printemps de l’esprit critique, initié en 2022 par Universcience, est une initiative salutaire tandis que la non-réouverture du Palais de la Découverte envoie un très triste signal. Quant à l’érosion de la biodiversité, cela fait des décennies que l’on en parle… Néanmoins, je suis portée par l’optimisme. Il n’existe ni bonne, ni mauvaise réponse tant les sujets sont complexes. Or, mettre en avant cette complexité permet une meilleure compréhension. Il faut essayer de changer le monde à sa mesure. »
Bordeaux ? « Un choix tout sauf neutre. Je suis surprise par la place dévolue au vélo et la présence de la Garonne me passionne. Le Jardin botanique, lui, incarne à merveille le sens des actions à mener sans faire de morale. Il interroge l’alimentation, le rôle d’une ville verte. On en revient à la médiation. La science sait également expliquer le sens des politiques publiques. » Si les souvenirs des lycéens nancéiens se donnant d’amoureux rendez-vous dans son ancien terrain de jeu l’émeuvent encore, cette mère de deux adolescents fait montre d’une grande faculté d’adaptation. « J’ai acheté des chapeaux, question de climat. »
Marc A. Bertin