À Limoges, jusqu’au 20 septembre, sous la houlette de son directeur historique, Yannick Miloux, le Frac‑Artothèque Nouvelle‑Aquitaine invite avec « Paysages recommencés » à partager les visions d’artistes sur une thématique ontologiquement fluctuante et sans cesse fascinante.
Au fond, qu’est-ce qu’un paysage ? Ce qui s’offre au regard est-t-il le fruit de la Nature ? D’une intervention divine ? De la main de l’homme ? Ou bien, comme le souligne Yannick Miloux, ancien directeur du Frac Limousin, ci-devant commissaire de l’exposition (avec la collaboration d’Hélène Dantic et d’Émilie Flory), « un point de vue avec des choses par essence différentes » ? Seule certitude, dans l’histoire des arts, la part consacrée au paysage est bien moindre que celle accordée, au hasard, au portrait ou au nu.
« Paysages recommencés » emprunte son titre à une formule d’André Raffray (1920-2010), responsable du service animation de la Gaumont, connu, entre autres, pour avoir signé le générique et les prologues de chaque épisode des Brigades du Tigre. Cet admirateur de Paul Cézanne, Piet Mondrian et Marcel Duchamp réalisa en 2004, à la demande du Frac Limousin, La Sédelle de Francis Picabia, reproduction hyperréaliste de Bords de la Sédelle (1909), peint par Francis Picabia, à Crozant, dans la Creuse.
Vaste déambulation
Capturé, réinterprété, sublimé, rêvé, dans le splendide écrin du Frac‑Artothèque Nouvelle‑Aquitaine, le paysage est ici envisagé de manière protéiforme, investissant atrium, coulisse, salle musée, galerie photo, grand mur, galerie peinture et balcon. Une vaste déambulation à la hauteur de « la notion de paysage intérieur monumental », longtemps mûrie par Yannick Miloux. Loin d’un parcours chronologique, cette proposition déploie époques et pratiques pour appréhender un sujet plus mouvant qu’il n’y paraît.
Des Tours de réfrigération (1965‑1991) et Tours d’extraction (1970‑1988) de Bernd & Hilla Becher à A Line in Lappland (1983) de Richard Long, sait-on établir quelque correspondance ? Sites industriels ou plaine lapone, tout ne serait-il qu’une affaire de perspective ? Et quand Tim Maul photographie un tableau au mur de sa chambre durant 40 ans, Sixteenth Street Pastoral (1978‑2017), avec toutes les variations induites par le cadrage et la lumière, mystifie-t-il notre perception ? Une démarche proche de Peter Hutchinson, qui, avec Looking from my Garden to Giverny and on to the French Alps (1991), compose un stupéfiant éden entre Alpes, Provincetown et le parc de la maison de Claude Monet. Hutchinson, botaniste de formation, avant de bifurquer à l’école des beaux-arts de l’université de l’Illinois, berne-t-il son audience ou pousse-t-il, non sans malice à porter une plus grande attention au vivant ?
Enchanteresses tapisseries d’Aubusson
Des correspondances aux dialogues, il n’y a qu’un pas. Aisément franchi en contemplant les enchanteresses tapisseries d’Aubusson. 7 œuvres foisonnantes, d’une Verdure à l’autruche de la seconde moitié du XVIIIe siècle aux magnifiques créations de Dom Robert, figure singulière s’il en est. Passé par le collège des Jésuites de Poitiers, puis l’école nationale des arts décoratifs de Paris, il devient modéliste pour la maison de soieries Ducharne avant d’être ordonné prêtre, en 1937. Dès 1941, il commence à tisser des tapisseries avec l’atelier Tabard à Aubusson. Son bestiaire, saisi dans un environnement au-delà de la luxuriance, incarne une beauté originelle, intacte, loin de tout fantasme de domestication. Un éblouissement…
L’idée d’une harmonie, incluant l’homme, le régional de l’étape Henri Cueco (1929-2017), natif d’Uzerche, en Corrèze, fondateur en 1979 de l’association Pays-Paysages en Limousin, en fit l’un de ses motifs de prédilection. Quatre lithographies — Chevaux, femme (1972), Vaches sur fond vert (1968), Paul et Virginie, La Pluie — exhalent un doux parfum d’utopie, écho certain à de réelles préoccupations environnementales, qui, au jeu des associations, trouve, a priori, une espèce de prolongement avec Atmosphère (2014) d’Éric Baudart.
420 litres d’huile de tournesol
Dans un aquarium, rempli de 420 litres d’huile de tournesol, des ventilateurs tournent au ralenti, mis à mal par la densité du liquide visqueux. Comment ne pas déceler dans ce paysage, oscillant entre poésie et post-apo, une métaphore de l’effondrement ? Lui-même, en presque miroir des sculptures de Piero Gilardi (1942-2023), recréant des morceaux de nature (tronc, pierres, roseaux) susceptibles de nous alerter sur la fragilité et l’impérieuse nécessité d’un lien vital plus que dénoué.
Alors, peut-être est-il temps de s’élever, de voir plus grand, vers l’infini, avec le Roden Crater Project de James Turrell ? Depuis 45 ans, ce passionné de lumière, récipiendaire d’un Guggenheim Fellowship, bâtit dans le Painted Desert d’Arizona, un observatoire, à 1 600 mètres d’altitude, dans le cratère d’un volcan éteint, fort de 21 espaces de visualisation et de 6 tunnels qui, à leur tour, répercuteront la lumière et l’image des astres au fil des heures de la journée. La contemplation en guise de salut.
Marc A. Bertin
Informations pratiques
« Paysages recommencés »,
jusqu’au 20 septembre,
Frac‑Artothèque Nouvelle‑Aquitaine, Limoges (87).