La galerie et le musée des Beaux-Arts de Bordeaux accueillent une exposition monographique d’envergure consacrée à Valerie Belin, artiste plasticienne, couvrant les différentes périodes de son œuvre et se concluant par une série inédite.
Qu’est-ce qui a motivé ce choix fondateur de la photographie ?
J’ai opté pour la photographie alors que j’étais étudiante dans une école d’art et qu’elle était une des options possibles. Je l’ai choisie parce qu’elle m’apparaissait comme un moyen actuel d’expression plastique (comme la vidéo, le cinéma, etc.) et qu’en tant que processus elle me paraissait relever d’une certaine forme de minimalisme, un courant qui était à l’époque l’une de mes références artistiques.
Vous avez débuté dans les années 1990 et traversé à la fois des mutations technologiques et des évolutions dans votre approche de la représentation. Pouvez-vous revenir sur les étapes marquantes de votre parcours ?
Les photographies que j’ai présentées pour mon diplôme relevaient d’une démarche essentiellement conceptuelle. Ensuite, j’ai compris assez rapidement qu’on ne pouvait pas faire totalement abstraction du sujet. J’ai commencé à photographier des objets en vitrine ou des univers qui se présentaient comme des fantasmagories (objets en verre, miroirs, voitures accidentées, etc.) dans un esprit assez baroque.
Puis j’ai photographié des personnes vivantes (bodybuilders, modèles, sosies, etc.) ou des mannequins de vitrine de la même manière. Au fil du temps, j’ai commencé à fabriquer mes propres natures mortes en studio et à construire mes propres scènes avec des figures qui sont des personnages de fiction. D’une certaine manière, mes centres d’intérêt se sont déplacés de la photographie à l’image.
Dans le même temps, il y a eu effectivement des mutations technologiques qui m’ont amenée à passer du noir et blanc à la couleur et de l’argentique au numérique, ces deux choses étant liées dans mon cas. Ces mutations ont eu pour effet de contribuer à la définition d’une nouvelle ontologie de la photographie et donc à une évolution de mon cadre de référence.
Vous procédez par séries. Quels sont les critères, les désirs ou les interrogations qui déterminent les sujets retenus ?
Je procède par séries parce qu’il s’agit d’une certaine manière d’une « nécessité de calendrier », comme il en existe pour toute production. Le point de départ d’une nouvelle série est souvent une image qui a retenu mon attention, dans un magazine, dans un livre ou ailleurs. Il y a une part d’arbitraire dans le choix de départ et tout se joue au moment de la réalisation. Il y a aussi la nécessité de la nouveauté et en même temps d’une certaine continuité, ce qui est assez contradictoire.
L’objet comme corps. Le corps comme objet. Entre réalité et artifice. Pouvez-vous parler de ces récurrences ?
Dans son traité de peinture, Alberti ne parle que de la représentation des surfaces et le métier du peintre est selon lui de les représenter « telles qu’elles se présentent à la vue ». De ce point de vue, un objet est équivalent à un corps et c’est sans doute la raison pour laquelle je les photographie de la même manière. Pour ce qui concerne le rapport entre réalité et artifice, la photographie, comme la peinture, repose sur un procédé illusionniste qui peut être sujet à toutes sortes de manipulations. Il y a donc une part de doute dans toute photographie, et ce doute est pour moi une partie du sujet.
Dans votre processus d’élaboration comme dans les genres abordés (portrait et nature morte), vous avez une relation forte, constante avec la peinture. Pouvez-vous la définir ?
La photographie est issue de la peinture et donc pour moi l’histoire de la photographie commence avec celle de la peinture. C’est la raison pour laquelle mes références sont souvent « picturales ». Par ailleurs, je suis d’une génération où, à partir du début des années 1980, on ne fait plus de différence entre « peinture » et « photographie » dans le champ de l’art.
La photographie est un moyen comme un autre pour produire des images. Le portrait et la nature morte sont effectivement des genres académiques de la peinture, mais on peut aussi les voir comme des genres universels.
Pouvez-vous présenter les grandes lignes et les enjeux de votre exposition au musée des Beaux-Arts de Bordeaux ?
Il s’agit de ma deuxième exposition de cette envergure dans un musée des Beaux-Arts [la première ayant eu lieu l’année dernière au musée des Beaux-Arts de Tourcoing, ndlr] donc dans un lieu qui n’est pas par nature exclusivement consacré à la photographie ou à l’art contemporain. Étant donné la surface d’exposition, il s’agit inévitablement d’une exposition à caractère rétrospectif, qui présente mon travail réalisé durant ces trente dernières années, y compris ma dernière série réalisée en 2023.
L’exposition principale occupe les trois étages de la galerie des Beaux-Arts. Pour l’accrochage, j’ai privilégié un regroupement par « familles » plutôt qu’une présentation strictement chronologique. Il y a aussi une partie intitulée « Correspondances », qu’on peut voir dans les galeries du musée. Il s’agit d’une sélection de onze photographies présentées chacune en relation avec une œuvre de la collection. Il y a aussi le catalogue de l’exposition qui est une création spécifique avec des textes inédits.
Propos recueillis par Didier Arnaudet
Informations pratiques
« Les visions silencieuses », Valérie Belin,
du mercredi 24 avril au lundi 28 octobre,
galerie et musée des Beaux-Arts, Bordeaux (33).
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