Crampons vissés aux pieds et maillot de foot ou de rugby fièrement exhibé, direction le parc Lescure, un symbole centenaire du sport à Bordeaux. JUNKPAGE vous propose un voyage dans le temps, jonglant entre patrimoine, hooliganisme et beau geste.  

Il en a entendu des foules hurlant ses plus belles injures, vu des larmes de détresse ou de joie, subit des envahissements de terrain. Théâtre d’émotions décuplées, lieu de toutes les passions, cette année c’est le Parc des sports devenu Parc Lescure, accueillant en son sein l’emblématique stade Chaban-Delmas, qui est célébré pour son centenaire. 

Un vénérable édifice toujours bien vivant puisque, depuis 2015, les fans de rugby s’époumonent tous les 15 jours pour encourager l’Union Bordeaux Bègles (UBB).

Du Rugby dans l’antre des Girondins de Bordeaux

Du rugby dans l’antre des Girondins de Bordeaux (FCGB) ? Certains Ultras ne s’en remettent toujours pas, surtout que le flambant Matmut Atlantique, nouveau stade du FCGB, sorti de terre en 2015, à Bordeaux-Lac, sonne un peu vide. Ses 42 000 places se remplissant rarement totalement… Pourtant, il s’agit juste d’un retour aux sources.

« Le Parc des sports a été construit pour accueillir du rugby et du cyclisme sur piste », détaille Sébastien Renault, président de l’association Préservons Lescure. Le 30 mars 1924, l’enceinte construite sur les plans des architectes Cyprien Alfred-Duprat et Robert Hüe (pas l’ancien Premier secrétaire du PCF) est d’ailleurs inaugurée par un match d’ovalie opposant le Stade bordelais et le CA béglais… deux ennemis qui fusionneront bien plus tard pour devenir l’UBB.

L’arche de l’entrée du stade – D.R.

Le terrain est alors la propriété de passionnés de sport rassemblés dans la Société anonyme du Parc des sports de Bordeaux-Lescure. Ils sauvent le lieu d’un projet de lotissement sur le site, le domaine de Lescure, pour en faire un endroit accueillant élites et amateurs. En 1930, la municipalité d’Adrien Marquet rachète l’ensemble. Malgré quelques tentations immobilières, la Ville de Bordeaux est depuis lors toujours propriétaire des lieux considérés par Pierre Hurmic, actuel premier édile de la Ville, comme le « cœur sportif de la ville et symbole de Bordeaux ».

Entrée fracassante du style Art déco

Bâti à l’origine à l’économie et plus vraiment aux normes, le lieu est reconstruit de fond en comble pour accueillir des matchs de la Coupe du monde de football de 1938. Un lifting complet signé par les architectes Raoul Jourde, Egidio Dabbeni et Jacques d’Welles.

Le style Art déco y fait une entrée fracassante. « Ce n’est pas qu’un stade, tout a été réfléchi et pensé pour être esthétique et pratique », confie Sébastien Renault. Une portée artistique qui se dégage dans les fresques, mosaïques et monuments qui deviendront sa signature.

C’est le cas de l’arche ou du Signal, immense tour de 42 mètres de haut siglée par trois anneaux. Pourquoi trois et pas cinq comme pour les Jeux olympiques ? Les conjectures vont bon train sans explication officielle…

Le stade, tout de béton armé vêtu, se voit orné de voûtains pour protéger les tribunes, sans pylônes porteurs pour entraver la vue des spectateurs, une première. La piste de cyclisme encercle toujours un pré vert qui accueillera ponctuellement les Girondins de Bordeaux à partir de 1938 avant d’en devenir la résidence officielle en 1949.

Agression du gardien de but du RC Lens

Une piste qui restera jusqu’en 1986, date d’une nouvelle remise à niveau en profondeur. L’architecte Guy Dupuis s’appuie sur l’existant pour faire passer la capacité du stade à 40 000 places. Une fosse est érigée pour séparer les gradins et la pelouse, ce qui n’empêche pas l’intrusion de certaines têtes brûlées.

Septembre 1994, feu Olivier Eckert, membre bien connu des groupes du supporters du club, saute sur la pelouse et lâche un violent coup de poing contre Guillaume Warmuz, gardien du RC Lens qui menait alors 2 à 0. Le club est sanctionné, le cogneur passe par la case prison.

LE TUNNEL, RECORD DU STADE CHABAN-DELMAS

Lors de son inauguration en 1938, le stade est équipé d’un long tunnel permettant aux joueurs de gagner la pelouse depuis les vestiaires, en passant sous le stade. Une bizarrerie consolidée lors de la rénovation en 1986.

Le tunnel ne débouche plus au niveau du virage sud, mais au milieu des tribunes présidentielles. Long de près de 120 mètres, un record mondial, il constitue une caractéristique essentielle de l’enceinte.

Le lieu aussi d’échanges parfois musclés entre deux équipes échauffées sur le terrain et devant encore partager cette marche ensemble… « Si le tunnel pouvait parler, il en raconterait des bonnes », glisse dans un sourire Alain Giresse, légende du FCGB qui le connaît forcément bien.

Alain Giresse, Marius Trésor, Zinédine Zidane…

Au fil des décennies, le stade si proche du centre-ville s’ancre dans l’âme de la ville de Bordeaux. Les gradins se lèvent quand les prodiges du ballon rond filent droit au but, encore plus contre l’éternel rival marseillais. Et les foules se déchaînent quand les filets finissent par trembler.

Alain Giresse, Marius Trésor, Zinédine Zidane, Bixente Lizarazu, Christophe Dugarry… Les noms de légende ayant revêtu la tunique marine et blanc peuvent s’égrener à l’envi. Ils seront d’ailleurs nombreux sur la pelouse pour le « Match des légendes », mardi 14 mai, organisé par le Variété Club de France en hommage au centenaire de ce stade. D’autres festivités comme une exposition photo, des conférences ou des visites guidées organisées par l’association Préservons Lescure auront aussi lieu en mai.

L’ensemble a vécu une dernière transformation majeure en 1998 pour la Coupe du monde de football. Michel Moga modernise les équipements du parc et du stade pour répondre aux demandes d’un événement à la portée mondiale sans dénaturer l’endroit.  

S’aventurer dans les arcanes de cet immense terrain de jeu permet de voir ce mille-feuille architectural, mémoire vivante d’un endroit unique rebaptisé stade Chaban-Delmas en 2001 en l’honneur du maire de la ville de 1947 à 1995. Classé sur la liste des monuments historiques en 2022, Lescure ou Chaban n’est pas figé dans la gloire de son passé. Le stade s’autorise juste un retour en arrière pour mieux embrasser son futur radieux, celui d’un réceptacle d’émotions fortes en devenir.

Guillaume Fournier  

Informations pratiques

Match des légendes,
mardi 14 mai, 19h,
stade Chaban-Delmas, Bordeaux (33).

Centenaire du Parc Lescure,

1 commentaire
  1. Pour moi qui voie le stade Lescure avec un œil d’historien de l’art il est très appréciable de l’appréhender par à la plume d’un journaliste. C’est complètement différent et – il faut bien le reconnaître – nettement plus plaisant. Bravo. Je transmets aux membres de MOLISA. JZ

Laisser un commentaire

Votre adresse e-mail ne sera pas publiée. Les champs obligatoires sont indiqués avec *