Composé d’une dizaine d’histoires, Creuser Voguer, la dernière bande dessinée de Delphine Panique publiée aux éditions Cornélius, dénude les forces implacables animant un monde menacé de submersion à tout niveau.
Ne pas se fier à la ligne serpentine et frêle, ni au dessin « blob » qui tient d’une juxtaposition de formes élémentaires tantôt géométriques tantôt gélatineuses, les bandes dessinées de Delphine Panique exhalent un parfum naïf d’enfance qui n’est qu’apparence, un moyen de distordre le réel pour l’embarquer vers un ailleurs à la fois grotesque et cruel.
Derrière l’exotisme des techniques de la « pêche au barbe », ou « l’affection pour les mognoles » (des plantes cultivées par une tendresse rationalisée), l’artiste montre toute la violence des échanges en milieu tempéré, ou devrait-on dire, en regard du changement climatique, en milieu extrême.
Les femmes, chevilles ouvrières indispensables
Composé d’une dizaine d’histoires, Creuser Voguer publié aux éditions Cornélius dénude les forces implacables animant un monde menacé de submersion à tout niveau. Chevilles ouvrières indispensables, les femmes sont les premiers de cordée anonymes d’un système où priment le rendement et la performance pour le confort de certains… forcément bien incertain.
Quand l’une se charge de convoyer un grand gori sur l’île de Javapa, une autre faussement privilégiée a la responsabilité d’élever des enfants-drôles en bord de mer. D’autres s’en vont creuser à la mine pour extraire une substance rare et nocive en échange d’un piteux salaire voire de leur vie.
Delphine Panique montre la face cachée du capitalisme cool
Premières victimes d’une violence sournoise généralisée, elles sont autant de spécimens de cette misère sociale invisibilisée, les aliénées d’un capitalisme cool aussi souriant en façade qu’il est intraitable en sous-main.
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En préface, l’artiste explique sa démarche après avoir planté une commande d’une énième bande dessinée reportage se disant incapable de raconter la réalité de la vie des migrants, et refusant le parti pris pédagogique qui essore le médium depuis plusieurs années.
Un ouvrage puissant d’une artiste majeure
Moquant le déluge informationnel de ces romans graphiques fabriqués, elle s’amuse d’ailleurs à détailler avec un apparent sérieux la technicité de tous les métiers farfelus qu’elle invente mais dont les équivalences ne sont pas à chercher bien loin, à l’image de ces pauvres livreurs en bibinettes interchangeables, chargés de leur étrange sac à dos cubique.
Un ouvrage puissant où le contemporain enveloppé sous un vernis poétique révèle l’hypersensibilité d’une artiste majeure qui fera l’objet d’une exposition lors du prochain festival Gribouillis à la rentrée.
Nicolas Trespallé
Informations pratiques
Creuser Voguer,
Delphine Panique
Cornélius, collection Pierre (24,50 €)