Pour leur unique concert en France de l’année 2024, Gojira ont choisi de jouer bénévolement au profit de l’Ocean Fest, à Biarritz, le vendredi 26 avril. Tous les bénéfices de l’événement seront reversés à des associations engagées dans la protection de la vie marine dans le Golfe de Gascogne et bien au-delà, sur toutes les mers du monde. De Ondres à Biarritz en passant par New-York, l’occasion de faire le point avec Joseph Duplantier, chanteur et guitariste de Gojira.

Quelles sont les raisons qui vous ont motivé à donner ce concert exclusif à Biarritz pour l’Ocean Fest ? Peut-être vous connaissiez-vous déjà avec Hugo Clément ?

On avait échangé deux ou trois fois par le passé avec lui, sur des projets qui n’avaient pas forcément abouti. On a conscience de qui il est. Mario et Hugo se sont vus avant le festival pour prendre le temps de bien en parler.

On est originaire de la région, l’événement est en faveur des océans, Paul Watson de Sea Shepherd, un ami de longue date, est un des participants, et il fallait qu’on se retrouve pour répéter… On est au beau milieu d’une grosse session d’écriture mais notre truc, c’est de faire des concerts. On nous appelle pour jouer et sauver des baleines : on vient jouer ! Ça fait sens.

Tu as grandi au bord de l’océan, et tu as souvent dit que tu avais été marqué par la pollution des plages par le goudron…

C’était horrible, tous ces bateaux qui pratiquaient le dégazage illégal, c’est-à-dire qui vidaient les résidus de leur cuve de carburant directement en mer. Je ne pense pas qu’il existe un seul déclic écologique, il y en a plusieurs. C’est une sensibilité globale. Une éducation, aussi. Mais ce goudron, c’était dingue. Pour un enfant, c’était à proprement parler alarmant. Dire qu’aujourd’hui, quand je suis ici, je n’ai même plus le temps d’aller à la plage…

D’un point de vue écologique, comment maîtriser le bilan carbone de Gojira, groupe au discours environnementaliste et aux tournées allant à la rencontre des fans dans le monde entier ?  Comment gérer une telle contradiction ?


Autant te dire que tout le monde me prend la tête avec ça avant que je ne puisse le faire moi-même ! J’habite aux Etats-Unis et je suis donc venu ici en avion. En tant que consommateur, je suis conscient de participer à une demande globale. C’est difficile pour nous, en tant que musiciens, de nous extraire d’un système dont on fait partie. Et ce système engendre de la pollution… La question que l’on s’est posée, à un moment donné, est : doit-on se retirer de ce système ? Cela voudrait dire arrêter complètement. Certains groupes ont fait ça. J’y pense.

Avec Gojira, on utilisait des flammes comme élément de scénographie sur nos concerts. On en a bouffé du “vous êtes écolo mais vous utilisez des flammes”. Je suis d’accord pour remplacer ces flammes par du tissu, car c’est important d’être cohérent avec son discours mais bon… Les émissions de CO2 du fait de notre pyrotechnie, ce n’est pas grand chose en comparaison de celles engendrées par les moyens de transport de tous ceux qui se sont déplacés pour assister au concert.

Mais je ne peux pas rester insensible à cette réflexion. Gojira n’est pas un groupe radical. On n’est pas une secte, on ne délivre pas un label. On invite à la réflexion, sans viser une perfection, ou vouloir être dans une pureté absolue, et surtout sans tomber dans la facilité du cynisme. Le groupe Gojira se pose toutes ces questions-là, et moi aussi.

J’essaie d’agir au niveau individuel. De végétarien, je suis devenu végétalien. Je ne porte plus de cuir. Il ne s’agit pas de se flageller mais d’essayer d’avoir conscience des choses. Qu’est-ce qu’on montre ? Qu’est-ce qu’on dit ? Le paradoxe est omniprésent, c’est sûr et certain.

Revenons sur cette “grosse session d’écriture” que tu as évoquée : êtes-vous réunis ici pour travailler ?

Oui, on est en train de composer un album. On a un lieu de travail ici en France. On a aussi un lieu aux Etats-Unis, mon studio que j’ai monté il y a un peu plus de dix ans à Brooklyn, où j’ai mon activité de producteur. On s’y retrouve parfois avant nos tournées ou entre deux dates.

Ici, on a toujours notre vieux local de répétition, chez papa, à Ondres. On a toujours continué à l’utiliser. Avant ce concert à l’Ocean Fest, on a répété deux journées en conditions réelles avec notre crew complet sur la scène de L’Atabal à Biarritz.

Mais avant cela, nous étions encore, pendant quasiment toute une semaine, dans notre tout premier local. C’est petit mais ça nous permet de nous reconnecter à d’anciennes énergies. La réalité, de manière générale, c’est qu’on s’est habitués à écrire partout ! Dans une simple loge, on travaille avec un casque, un ordinateur portable, et voilà… Cela fait donc un à deux ans qu’on collectionne les riffs et les idées. Ça se passe sur les routes, aux Etats-Unis, en France, partout, parfois même sur mon lit… A chaque moment propice.

Les confidences de Mario font état d’un prochain album qui serait plus heavy, peut-être dans la lignée de votre morceau “Our Time Is Now” que l’on retrouve sur la bande sonore du jeu vidéo NHL 2023

Je pense que ça va être encore plus lourd que ça ! On a comme un désir de retour aux sources, même si on reste un groupe avec une certaine ambition, et l’envie de continuer sur notre lancée. On travaille beaucoup en ce sens.

L’album devrait comporter des morceaux assez fédérateurs. Je l’espère, en tout cas ! C’est notre but, tout en ayant envie d’infuser beaucoup d’éléments old school. On bossait sur un morceau, l’autre jour, dans le local et je me suis dit : “mais attends, c’est quoi ce truc ? C’est Slayer en 1983 ou quoi ?!” [Rires] Bon, celui-là, je ne sais pas s’il va faire son chemin jusque sur l’album…

On a 80 ou 100 entités de morceaux. C’est la première fois que l’on travaille comme ça. On ne s’interdit rien en termes d’influences ou de composition, tout en sachant qu’il y a un certain nombre de choses à éviter, car il existe maintenant des “clichés Gojira”. On pourrait facilement se reposer sur nos gimmicks et nos sons, mais on n’a pas envie de “faire du Gojira”. Rien qu’en mettant bout à bout tous ces gimmicks qu’on a installés depuis le début, on pourrait composer un morceau entier ! [Imitation vocale très convaincante, et rires.] On essaye donc d’amener d’autres choses.

Qu’appelles-tu une “entité de morceau” ?

Parfois, c’est juste un riff, suffisamment fort pour donner naissance à un morceau, le genre de riff que les gens peuvent chanter. Parfois, c’est un riff un peu moins puissant, mais susceptible de constituer une bonne plateforme pour une ambiance ou un refrain. Avec Mario, on croit aux “trios gagnants” : quand il y a trois riffs qui marchent bien ensemble, on sait qu’on est en général assez proches de finaliser un morceau.

En ce qui concerne les musiques que vous aimez mais qui sont éloignées de la “sphère métal”, y a-t-il un artiste que tu nous recommanderais, quitte à nous surprendre… Par exemple, j’ai croisé l’autre jour Mario excité à l’idée d’aller voir Arthur H en concert…

Je peux être inspiré aussi bien par du jazz que de l’electro ou un drag show… Je suis très fan de concerts underground en ce moment. Par exemple, j’ai toujours été fasciné par les albums de Sleepytime Gorilla Museum, un groupe incroyable de San Francisco qui s’est reformé il n’y a pas très longtemps. Ils viennent de sortir un album après 17 ans d’absence, à vivre tous ensemble dans une ferme, presque comme une secte, avec leurs propres codes et leurs propres rituels. J’ai pu enfin aller les voir pour la première fois en concert à New-York. C’était une expérience incroyable.


En traversant les loges pour te rejoindre, j’ai croisé votre bassiste Jean-Michel, on a parlé un peu VTT, son occupation favorite en dehors de Gojira. As-tu, toi aussi, une passion similaire, hors de la musique ?

J’adore… faire du feu, dans la nature ou à la maison, à Ondres comme à New-York. Ce matin, étant donné les températures fraîches en ce moment, j’ai commencé la journée par le feu. Du feu et du café. Faire du feu me calme. J’ai sans doute une relation étrange au feu…  Je suis obnubilé par le feu.

Bon, dans un domaine plus classique, j’aime beaucoup dessiner. J’explique à mes enfants que c’est important de s’ennuyer, car la créativité naît de l’ennui, et elle est freinée par la stimulation permanente. L’ennui est précieux et raréfié du fait des téléphones et de notre connexion multimédia… Je pousse mes enfants à venir s’ennuyer avec moi autour d’une table. Je sors du papier et des crayons. Au début, ils font la gueule. Puis au bout d’un moment, on papote, on dessine, on écoute de la musique, et on crée ensemble, en mêlant nos inspirations.

On peut dire leur âge ?

Ouais, ils ont 12 ans et 9 ans et demi. Tu sais, la grande partie de mon temps personnel, je la consacre à ma vie de famille. C’est très important pour moi.

Tu me fournis la transition pour parler de ton père Dominique Duplantier, dont on a pu voir à Bayonne une remarquable exposition. Un exemple vivant d’abnégation et de vie dédiée à l’art…


Complètement. C’est un mec assez humble, qui n’a jamais trop dépensé d’énergie à se vendre. Son énergie, il la mettait dans la création. Il a une œuvre colossale et cette exposition était en effet la première rétrospective de tout son travail. Je suis très content qu’il ait fait ça à 79 ans, enfin ! Mon père a été un peu maladroit dans la façon de communiquer avec ses enfants, sans doute comme beaucoup d’hommes de sa génération, mais je dis souvent que l’éducation que nous ont donnée nos parents a été de l’éducation silencieuse, de l’éducation par l’exemple.

Il se levait tous les matins à quatre heures, il bossait toute la journée, jusqu’à l’écroulement. C’était presque trop, mais ça nous a inspirés et ça nous a nourris, car bien sûr, tout ce travail c’était de l’art ! Il nous a montré que tout est possible. Il faut juste le faire. Il faut bosser.

Propos recueillis par Guillaume Gwardeath, photos : Louis Derigon – Ocean Fest
Remerciements : Ocean Fest, L’Atabal Biarritz et Sandra (agence Panache)

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