RACHEL CORDIER Directrice générale d’ALCA – l’agence livre, cinéma et audiovisuel en Nouvelle-Aquitaine – depuis le 1er septembre, cette figure bordelaise, très engagée dans le développement de l’économie sociale et solidaire, déroule un impressionnant CV. De Reims à Paris, d’Orléans à Poitiers, de La Cartonnerie à L’Astrolabe, du Confort Moderne au CAPC, elle a également dirigé AGEC&CO, groupement d’employeurs de la culture et de l’économie créative de Nouvelle-Aquitaine, occupé la présidence de la Chambre régionale de l’économie sociale et solidaire (Cress) de Nouvelle-Aquitaine entre 2018 et 2019. Ancienne trésorière d’ALCA, entre 2017 et 2019, son profil ne pouvait que séduire l’agence pour affronter les turbulences d’une décennie pleine d’incertitudes.

Propos recueillis par Marc A. Bertin

Je souhaiterais revenir sur votre parcours…

… j’ai suivi, à la fin des années 1990, des études de gestion en ingénierie culturelle, même si le terme était alors peu répandu, à l’université d’Aix- Marseille. J’ai fait partie de la deuxième promotion de cette filière quelque peu embryonnaire. Il s’agissait d’une vocation ; pur produit des années 1980, cela n’a rien de surprenant. Mais je suis aussi un pur produit de l’éducation artistique et culturelle : j’ai rencontré l’œuvre grâce à l’école. Ainsi a germé mon envie. Entre les documentaires visionnés au cinéma Le Français, ma première visite au CAPC, puis, lycéenne, ma fréquentation assidue du centre Jean Vigo, un terreau favorable s’est constitué. Aussi me suis-je dit que travailler avec des artistes semblait pouvoir remplir aisément une vie.

Rachel Cordier - Directrice générale d’ALCA – l’agence livre, cinéma et audiovisuel en Nouvelle-Aquitaine
Rachel Cordier – Directrice générale d’ALCA – L’agence livre, cinéma et audiovisuel en Nouvelle-Aquitaine

On vous retrouve en 2004, à Reims, à La Cartonnerie

Avant d’arriver en Champagne, j’avais participé à la très grande exposition « An 2000 en France », à Avignon. Ensuite, j’ai rejoint Paris, où j’ai travaillé dans différentes structures. Amatrice de musique, j’ai postulé dans plusieurs établissements et suis arrivée à Reims. C’était un an avant l’ouverture officielle de La Cartonnerie, qui appartenait à la troisième génération des SMAC [Scènes de musiques actuelles, NDLR]. J’y ai occupé le poste de directrice administratrice et financière, mais également porté de nombreux projets d’accompagnement pour les résidences d’artistes.

La musique occupe une place importante puisque vous partez ensuite pour L’Astrolabe, à Orléans

Avec d’abord un détour par l’humanitaire. Dès ma prise de poste à Reims, je me suis investie dans des collectifs mais aussi des syndicats ; j’avais à cœur de travailler à la structuration d’un secteur, de défendre des droits, des spécificités, des reconnaissances. J’étais aussi engagée dans des fédérations, élue dans des comités d’administration. J’ai toujours ressenti le besoin de participer à la représentation collective de nos métiers. Je suis une fervente supportrice de la culture de la concertation. Quant à L’Astrolabe, c’était une salle avec une histoire et un territoire bien différent de Reims.

L'Astrolabe, lieu de diffusion et création de spectacles de Musiques Actuelles et Amplifiés (label SMAC)
L’Astrolabe est un lieu de diffusion et création de spectacles de Musiques Actuelles et Amplifiés (label SMAC)

En 2010, vous prenez la direction du Confort Moderne, à Poitiers

Une forme d’évidence. En tant que Bordelaise, c’était un mythe : la plus ancienne friche culturelle en activité, un ailleurs permanent avec d’autres manières de faire et de montrer. Mon arrivée coïncide avec un dossier majeur : la réhabilitation du site. Donc la nécessité du soutien politique car ce genre d’accompagnement ne peut s’envisager uniquement sous l’aspect financier. Et, à Poitiers, les collectivités ont tenu parole. Durant quatre ans, j’ai mis beaucoup de passion avec toute l’équipe. Certes, j’avais connu différents types de structuration, mais l’expérience du Confort Moderne m’a confirmé toute la difficulté à diriger un équipement culturel requérant beaucoup de compétences. Les batailles au quotidien étaient nombreuses, on souffrait encore de l’opposition culture du faubourg versus hypercentre. Mon seul regret, le manque de temps pour questionner la qualité de vie au travail de toute mon équipe.

Pour les gourmands, vous pouvez lire notre article sur le restaurant du Confort Moderne. On s’est régalés.

De retour à Bordeaux, vous rejoignez l’AGEC (Aquitaine Groupement d’Employeurs Culturels)

J’ai postulé car cela répondait à toutes mes attentes. J’y ai consacré six années. Cette structure, fondée en 2006, se concentre uniquement sur la question de l’emploi dans la culture mais aussi la qualité de l’emploi et la qualité du travail. Elle s’est ensuite ouverte à la problématique de l’économie sociale et solidaire.

Nouvelle décennie, nouvelle position : directrice adjointe du CAPC…

… et quelle fierté d’avoir pu intégrer un lieu ayant profondément marqué mon enfance ! J’y ai retrouvé un peu des problématiques que j’avais alors au Confort Moderne. Parallèlement, je faisais face à une certaine incompréhension de la part de personnes portant des jugements quelque peu hâtifs mais ne fréquentant plus le musée. Néanmoins, j’en garde le souvenir d’un établissement passionnant et magnifique, portée par une directrice, Sandra Patron, qui n’a pas craint de s’emparer à la fois d’un musée et d’un centre d’art en région dans un système au budget mis à mal.

Photo de l'exposition Barbe à Papa à découvrir au CAPC, à Bordeaux
Photo de l’exposition Barbe à Papa à découvrir au CAPC, à Bordeaux

Entre-temps, vous avez présidé la Chambre régionale de l’économie sociale et solidaire (Cress) de Nouvelle-Aquitaine

Il s’agissait d’un mandat électif au titre d’une représentation. La Chambre régionale de l’économie sociale et solidaire est une chambre consulaire donc officielle. Aujourd’hui, concrètement, ce sont plusieurs chargés de mission déployés dans toute la région Nouvelle-Aquitaine qui représentent, accompagnent, mais aussi exercent une veille prospective dans le champ de cette économie différente. L’économie sociale et solidaire, ce sont aussi bien les fondations que les coopératives ou les associations portant des valeurs autres que purement capitalistiques.

Et, enfin, vous prenez la tête d’ALCA

J’étais familière de l’agence car, entre 2017 et 2019, j’en étais la trésorière. ALCA est une nouvelle agence territoriale, née à la suite de la fusion des anciennes régions Limousin, Aquitaine et Poitou-Charentes. On m’a sollicitée en tant que personnalité qualifiée. En effet, au sein de l’AGEC, j’avais l’habitude de travailler avec des agences comme l’Agence A ou l’IDDAC en Gironde. Et, comme professionnelle, j’ai souvent été accompagnée par des agences. En outre, revenir dans une structure comme le CAPC m’a fait toucher du doigt l’absolue nécessité de faire ensemble, de co-construire collectivement. On fera toujours mieux et plus qu’individuellement. Or, seules les agences possèdent ce pouvoir. Je suis modestement « l’interface » entre la politique culturelle affirmée de la Région Nouvelle-Aquitaine et les professionnels ; une interface d’accompagnement.

« Nous sommes un opérateur, un instrument, il ne faut jamais l’oublier. Certains secteurs ont besoin de la flexibilité d’une agence et non de la technostructure. »

Une agence paradoxalement méconnue…

…être méconnu du grand public, c’est normal car nous ne nous adressons qu’à des filières professionnelles. ALCA, ce sont 3 entrées :

  • L’accompagnement des artistes et des créateurs ;
  • L’accompagnement des œuvres ;
  • L’accompagnement des entreprises.

Paradoxalement, les bénéficiaires sont nombreux comme le jeune public, les scolaires. Nous allons à la rencontre de beaucoup de personnes grâce au système de médiation — même si je trouve ce terme quelque peu vertical. Concrètement, ALCA ne fait rien toute seule, mais toujours en partenariat. Certes, nous portons des dispositifs, mais ils sont co-animés, co-organisés, co-construits. Une agence régionale est à l’endroit de l’accompagnement des politiques publiques qu’elle n’a ni décidées ni actées, pour autant elle doit participer à une veille active. En Nouvelle-Aquitaine, s’exprime le souhait profond d’une politique de co-construction publique. Nous sommes un opérateur, un instrument, il ne faut jamais l’oublier. Certains secteurs ont besoin de la flexibilité d’une agence et non de la technostructure. L’efficacité est meilleure si elle est sectorielle et dédiée.

Livre et cinéma rencontrent-ils les mêmes difficultés ?

Si la révolution et les défis du numérique sont partagés, les problèmes sont différents. Nous ne faisons pas de ponts artificiels, c’est transversal quand ça fait sens. Toutefois, nous devons favoriser l’interprofessionnel.

Qui vient frapper à votre porte ?

ALCA n’est ni un guichet de la Région Nouvelle-Aquitaine, ni de l’État. Les sommes engagées tant pour le cinéma que pour le livre, ce sont uniquement les collectivités qui les distribuent. Pour la filière cinéma, il existe un fonds de soutien. Néanmoins, si nous recevons des dossiers, que nous instruisons scrupuleusement, nous n’allouons aucun fonds. Nous sommes l’expertise voire les moyens de l’expertise, qui se construit à plusieurs et pas uniquement par le truchement de spécialistes car il y a une nécessité à se frotter au réel. Nous aidons, nous accompagnons, de l’origine de l’œuvre jusqu’à sa réalisation et après. Pour la filière livre, nous soutenons librairies, maisons d’édition, auteurs et même diffuseurs comme les manifestations littéraires. On prend en compte un temps de la filière peu envisagé, celui de l’écriture. Par ailleurs, nous avons un rapport à l’éducation artistique et culturelle et en soutenons les activités. Dernier point et non des moindres, quelquefois le marché, très concurrentiel, fragilise certaines œuvres et les politiques publiques sont là pour les faire exister.

Au regard de la taille de la Nouvelle-Aquitaine, le déploiement sur le terrain est une nécessité

La Méca, bureaux du siège social d’ALCA à Bordeaux

Mon travail, celui de toute l’agence c’est évidemment d’aller à la rencontre. ALCA, ce sont aussi les sites d’Angoulême, de Limoges et de Poitiers ; il n’y a pas que le siège bordelais à la MÉCA. Notre devoir, c’est résoudre l’équation d’un accompagnement le plus respectueux de chaque territoire, de chaque histoire, de chaque projet. On doit non seulement entendre mais aussi comprendre que des choses se font ou se pensent différemment selon le territoire où elles naissent. C’est une forme d’agilité. On ne sait pas mieux que les personnes sur les territoires. La pertinence c’est toujours de travailler au plus près de chacun. Il y a une humilité nécessaire dans notre travail. On ne produit pas forcément mieux mais nous sommes un maillon dans un écosystème.

Quels sont les défis de demain ?

Le numérique, bien sûr, comme le rappelle l’actualité avec le récent appel à des états généraux du cinéma. Autre enjeu : la contraction budgétaire des politiques publiques. Comment faire si d’aventure nous avons moins dans un contexte généralisé d’inflation ? Diversifier les financements n’est pas franchement toujours possible. La nécessité d’une ingénierie de financement, voici un sacré défi.

Vous êtes tout de même ravie de cette nouvelle mission ?

ALCA est une agence passionnante, avec des qualités humaines et professionnelles forçant le respect. L’ensemble des compétences est d’une grande richesse. Nous ne sommes pas détachés du quotidien, nous ne vivons pas dans une tour d’ivoire. Nous exerçons de hautes responsabilités. Et, soutenir un tissu créatif ne dispensera jamais de réfléchir au contexte. Ni au monde.

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