PRIMEURS 2021 – En cette fin du mois d’avril, Bordeaux la viticole, à peine sortie des méchantes gelées, s’adonnait à cet exercice étrange consistant à mettre en bouteilles des vins encore impropres à la consommation — non livrables — pour les proposer aux professionnels de la profession et à quelques journalistes. Un réel moment pour jauger de la qualité potentielle d’un vin ou un concours de maquillage éhonté pour hypocrites consentants ? Nous sommes allés chercher quelques réponses chez des œnologues et consultants invitant pour l’événement.
Un millésime de cracks ?
On ne se bouscule plus et la cohorte des journalistes du vin se fait désormais plus mince… mais les primeurs restent ce moment « majeur » pour une portion congrue de la filière viticole. Cannes, plutôt que Sundance, l’événement attire principalement négociants, courtiers et journalistes pour mirer de concert en haruspices (autoproclamés) les entrailles des jouvenceaux et déterminer qualité, buvabilité et, de fait, la valeur intrinsèque d’un millésime avec son palais parfois, aux doigts mouillés souvent.
On aurait bien entendu pu s’entendre sur une trame tacite et universelle pour ces analyses de vins en cours d’élevage mais tout de même (très) apprêtés pour l’occasion. Les journalistes s’entendent pour dire ce qu’on est en droit d’entendre d’eux, victimes à leur tour de ce guet-apens qui veut que moins dupes ou plus retors, ils se scieraient la branche sur laquelle ils sont confortablement assis. Qui en effet pour s’étonner de vins (trop) préparés ? Qui pour dire qu’on camoufle les jus trop malingres derrière oripeaux et copeaux pour exister ? C’est aussi la fête des œnologues et autres artificiers des chais. 2021, le dernier millésime dégusté pour la grand messe de cette fin d’avril n’est pas immense. La faute à une météo abjecte, des déficits de concentration, les visites répétées de monsieur Chaptal, des élevages imprécis — s’entend des durées de confrontation trop longues entre des jus sans densité et des bois trop marquants. On peut attendre d’une année difficile qu’elle révèle les cracks. L’adage s’applique au 2021.
Diamantaire
Chez Derenoncourt où on fignole habituellement les vins comme un diamantaire, les extractions sont plus mesurées et les vins plus graciles que musclés. Ce qui permet d’entrevoir une production qui, si elle ne gomme pas une certaine fluidité chez les merlots, des acidités tartriques et des thiols chez les blancs, donna l’occasion de goûter des vins sapides selon la formule consacrée mais souvent bien faits. Chez les conseillers et conseillères vitivinicoles d’Enosens, la chose est à noter, on accompagna souvent les vigneronnes et les vignerons à s’émanciper pour jouer une partition moins classique, mais plus charmeuse. Le millésime le permettait. Bordeaux propose ainsi, c’est incroyable, une face buvable moins puissante que subtile. Il en va ainsi du Château Ferrière, de Claire Villars-Lurton, qui propose des tannins soyeux et un jus tout à fait exquis déjà.
Diplomatie syldavienne
Un exercice où on aura vu, tenez-vous bien, viticultrices et viticulteurs raconter la petitesse d’un millésime et bien souvent contredire quelques journalistes encore empêtrés dans les rideaux pourpres d’une diplomatie syldavienne (inutile) et qui voulaient voir dans les entrailles du 21 un millésime aussi beau et frais qu’eux ! 2013, annus horribilis s’il en fut, donna déjà lieu à de belles danses du ventre. À la vérité, on mesurera ce 2021, qu’on le veuille ou non, à la doublette magique 2019 et 2020 et puis nous sommes loin d’avoir eu une vision d’ensemble, certains ne se prêtent pas à l’exercice de présentation qui concerne majoritairement les grands noms.
Plutôt James Stewart que Stallone
Concernant les blancs, dont on dira qu’ils sont frais et vifs, nous retiendrons chez Enosens, le Clos des Moines, élevé sur lies fines, un 100 % sauvignon blanc terriblement juteux et tout en fraîcheur qui ne s’encombre pas de thiols et de végétal ou encore la cuvée Wilson Silla de Château Charreau, un assemblage sémillon-sauvignon pour un bordeaux blanc charnu et presque suave. Chez Derenoncourt, nous jetterons notre dévolu sur les blancs de Jean Faux, d’une parfaite acidité, sous-tendue par des notes de silex. Paul Barre parle ici d’une verticalité qui s’installe. Les œnologues d’Œnolab donnèrent à goûter une véritable bombe avec le Château Plain-Point, un bordeaux blanc de Fronsac. Un vin juteux et fin, d’un gras parfaitement emballant.
Les rouges qui tirent leur épingle du jeu seront plus James Stewart que Stallone[F1] . On s’arrêtera chez Derenoncourt sur le jus précis, floral, délicat et gracile, issu des sols argileux de Jean Faux (décidément), on s’éternisera encore sur le Château Malescasse à la bouche immense, aux tannins magiques, d’une délicate profondeur. Château Branas Grand Poujeaux, en Moulis suivi par Œnolab d’Hubert de Boüard, est une belle réussite qui présente une structure d’une jolie finesse. Un bordeaux tendu qui présente un épatant milieu de bouche. Chez Enosens, on s’étendra sur le Maine Gazin cuvée Prestige et 100 % petit verdot, en bio, qui affiche de tendres notes de pruneaux, d’épices et une belle concentration. De la belle ouvrage en somme. On retient globalement que les cabernets francs et sauvignons s’en sortent bien souvent… En règle générale, s’en sortent aussi les gens qui auront respecté le millésime et leur terroir.
Henry Clemens
Enosens
www.enosens.fr
Œnolab
www.oeno-lab.com
Derenoncourt
www.derenoncourtconsultants.com
Château Ferrière
ferriere.com
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