Un concert érudit, un concert lettré, un concert dessiné : Alexis HK, Clara Ysé et Renan Luce, de Cenon au Haillan, trois manières de constater la grande forme du genre musical.

Une nouvelle étoile, deux précieux artisans. Côté chanson, novembre sera brillant. En un seul et premier album, Clara Ysé s’est imposée de manière impressionnante, par une voix d’abord. De celles que les nuits se nourrissent, que les jours en sont moins sombres.

De celles qui explorent la douleur autant qu’elle la caresse. Les six morceaux en français et en espagnol de Le monde s’est dédoublé  2019) avait fait dresser une oreille étonnée du monde entier pouvant se concentrer dans un seul couplet.

Le passeport musical de Clara Ysé

Dans Oceano nox, référence à L’Énéide de Virgile, la Clara le concède dans l’addictive Magicienne : « Je ne sais, c’est vrai, que chanter les naufrages. » Les avertis penseront bien sûr à sa mère Anne Dufourmantelle, la psychanalyste et philosophe morte en portant secours à des enfants au large de Ramatuelle. Le monde s’est dédoublé, présent aussi dans l’album, mais aussi Lettre à M lui sont adressés dans un mélange de souffrance et de résilience.

Plus jeune, la trentenaire a roulé sa bosse et sa guitare d’Amérique latine en Grèce, se constituant un passeport musical et littéraire voyageur et finalement cohérent, au service des sentiments. On passe d’échos de rebetiko à des volutes bretonnes, du duduk au violoncelle, des nappes de synthés… à cette voix qui emporte tout et guérit.

La vulnérabilité et la puissance se dégageant de cet album somptueux où l’on songe autant à Barbara qu’à Björk seront-elles au rendez-vous du concert ? Au regard de ses prestations anciennes où le foisonnement étourdissait déjà, on est plutôt confiant.

Renan Luce, conteur à l’écriture ciselée

Les douleurs sourdes, le questionnement sur sa place intime sont aussi au cœur du dernier spectacle de Renan Luce. Le conteur à l’écriture ciselée dans l’écoute des grands de la chanson, Brassens et Renaud en pole position, a sorti il y a un an son premier livre. Il y décrit les affres presque banales et doucement cruciales à la fois, d’une famille, la sienne : une sœur aînée souffrant de malformations génétiques, un frère brillant musicien mais aux épisodes dépressifs. Touchant et délicat, comme le gars.

La pudeur, qui ne lui a fait évoquer en chanson son frère qu’au détour d’un couplet d’Enfants des champs sur son quatrième et dernier album en date, se craquelle avec finesse dans Une famille inquiète (Flammarion). Comme se craquelle le vernis d’une fratrie soudée, veillée par des parents aimants, affection chahutée par l’injustice originelle.

Le récit a plu, Renan Luce a eu l’idée de conjuguer paragraphes et refrains dans un spectacle fragile et tendre où il chante et lit, juste accompagné par le sensible pianiste Christophe Cravero. Le garçon est en écriture de son cinquième opus et il n’est pas inconscient d’espérer de nouveaux morceaux au stade de cette tournée attaquée dès la sortie du livre.

Alexis HK sort de sa case

Les nouvelles chansons d’Alexis HK ont été livrées à la rentrée 2022. Chroniques sentimentales ou sociétales sur mélodies aux légères volutes hip-hop jusque dans son phrasé que le crooner de l’ouest aime syncoper depuis ses débuts. Six albums, des chansons-perles comme C’que t’es belle, Coming out, Chicken manager ou La Chasse : aucun méga-succès mais vingt années suivies par un public fidèle à son cadrage-débordement pour dire l’époque sans être pesant, ravi par son désopilant bavardage scénique.

L’univers du HK, son ouverture historique à des projets alternatifs ou collectifs devaient donc croiser un jour la route de L’Entrepôt du Haillan et de Loïc Dauvillier. Il a joué souvent dans le premier et son amour de la BD a séduit le second, intervenant et chargé de production de la compagnie Il était une fois. Il est donc le quatrième invité d’une série déjà savoureuse, après les passages de Bertrand Belin, Albin de la Simone et Mathieu Boogaerts.

Principe : un concert dessiné, fruit d’une rencontre avec les étudiants en master illustration de l’Université Bordeaux Montaigne. En amont, ces derniers réalisent des pochettes de 45 tours autour des chansons du répertoire, mais certains d’entre eux dessinent aussi en direct sur scène, tandis que le HK chante. Pour le public, le dilemme est toujours le même dans ce genre de format : goûter le trait sans perdre le fil des ritournelles, savourer les chansons et choper ce qu’il se passe sur l’écran. Problème de riches ? Sans aucun doute.

Yannick Delneste

Informations pratiques

  • Clara Ysé + Dawa Salfati,
    mercredi 15 novembre, 20h30,
    Le Rocher de Palmer, Cenon (33).
  • Renan Luce & Christophe Cravero, « Relectures »,
    jeudi 16 novembre, 20h30,
    Le Rocher de Palmer, Cenon (33).
  • Alexis HK—Concert dessiné#4,
    jeudi 23novembre, 20h30,
    L’Entrepôt, Le Haillan (33)