Déconstruction, théâtralisation, métamorphose, périphérie… ces ingrédients traversent « Si je ne peux pas l’avoir, toi non plus » et « La poursuite », les deux monographies actuellement consacrées au CAPC à Bordeaux, à deux artistes émergents : Maxime Bichon et Jasmine Gregory.

Au rez-de-chaussée du CAPC, les galeries latérales du musée d’art contemporain de Bordeaux accueillent les artistes Maxime Bichon et Jasmine Gregory, nés respectivement en 1989 à Saint-Nazaire, et en 1987 à Washington, district de Columbia.

Très différentes dans leur approche, ces deux monographies ont en commun un certain goût pour la marge.

Jasmine Gregory, la peinture comme médium de prédilection

Chez l’artiste américaine, vivant actuellement à Zurich, cet espace en périphérie gravite autour d’un thème et d’un médium de prédilection, la peinture, dont Jasmine Gregory s’attache à redistribuer les frontières en convoquant matériaux et techniques inhabituels.

Avec cette plasticienne, la peinture ne se limite pas au simple cadre de la toile, elle déborde, s’étale et s’étend sur le sol et les murs dans des formes qui la rattachent bien souvent à l’installation. Mise en bouche avec l’œuvre qui ouvre le parcours. La pièce en question combine mobilier muséographique (trois vitrines flanquées de néons de couleur rouge) et panneaux de plexiglas fumé.

Derrière cette combinaison d’éléments prenant des allures de réserve ou d’espace de stockage, se donnent à voir, de manière partielle, trois grandes toiles noires exécutées dans un style flirtant avec l’expressionnisme abstrait. À quelques pas de là, la seconde salle offre un rapport plus frontal au genre pictural en compagnie de trois grands tableaux reprenant des panneaux publicitaires observés à Zurich.

Publicités déplacées

Lancée il y a quelques années par la première banque en Suisse (UBS), la campagne en question déroule une suite de phrases, brèves comme des slogans, placées à côté de photos d’anonymes censés représentés tout un chacun : «Suis-je un bon père? », «Comment transmettons-nous nos valeurs ? », «Que pouvons-nous faire d’autre pour eux? » [par «eux» comprenez notre progéniture, NDLR].

Peints à l’identique et déplacés dans l’espace muséal, ces messages se parent d’une certaine ironie. Ils rendent compte aussi de manière précise cette fois de ce dont il est finalement question ici : interroger la notion de valeur, qu’elle soit humaine, affective ou marchande. Si cette réflexion prend pour point de départ la peinture : aussi bien par le prisme de son Histoire que de son caractère marchand (comme objet de spéculation) ou émotionnel, elle embarque dans son sillage une tripotée d’objets abandonnés ou usés, comme de déchets et de rebuts.

Illustrations avec cet emballage de poisson fumé entamé devenu une palette de peinture improvisée, cette bouteille de mousseux consommée hébergeant une rose fanée, encore ces cintres en métal, ou ce miroir brisé en mille morceaux initiant un nonchalant ballet stroboscopique… Trouvés dans la rue ou repêchés dans son atelier, ces vestiges témoignent d’épisodes ordinaires, tirés du quotidien. Ils s’invitent de manière discrète ou majestueuse devenant alors les principaux artisans des environnements imaginés par Jasmine Gregory.

Avec ces parasites, se déploie un récit où la valeur affective prend le pas sur la valeur financière. À cette exposition, produite en partenariat avec le Centre culturel suisse (CCS) – dans le cadre de sa programmation hors les murs imaginée pendant les travaux de rénovation de ses locaux à Paris –, fait face celle de Maxime Bichon.

“La poursuite” de Maxime Bichon

Conçue à l’invitation de Cédric Fauq, le commissaire en chef des expositions du CAPC, cette première monographie dans une institution s’intitule «La poursuite». Elle investit une enfilade d’espaces et se traverse comme un jeu de pistes.

Les interventions se découvrent sur les murs et dans quantité d’autres recoins périphériques : par une fenêtre, derrière une cloison, sur une boîte de signalisation modifiée subtilement (sortie de secours), encore dans de larges incises murales réalisées au pied des cimaises…

Au cœur de ce labyrinthe minimaliste : le dessin animé d’une chenille aussi désabusée que réjouissante, sorte d’alter ego de l’artiste. Naviguant entre sculpture et poésie, les œuvres présentées croisent également une maquette d’atelier, une image lenticulaire, un poster, des pièges désarmés et d’étranges objets baptisés Financiers ou Peintures grecques.

Les unes empruntent à la pâtisserie du même nom une forme qui évoque davantage ces machines distribuant des gourmandises ou actionnant un jeu en échange de pièces de monnaie. Les autres renvoient à ces boîtiers de couleur rouge contenant habituellement des marteaux brise-vitres.

Anna Maisonneuve

Informations pratiques

«Si je ne peux pas l’avoir, toi non plus», Jasmine Gregory, «La poursuite», Maxime Bichon, jusqu’au dimanche 5 mai,
CAPC musée d’art contemporain de Bordeaux (33)

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