Après avoir fêté ses 40 ans l’an passé, Les rencontres du cinéma Latino-américain maintient son cap à l’Ouest depuis Pessac. Sara Erasmi, chargée de programmation, présente cette nouvelle édition.
Les Rencontres du cinéma latino-américain, c’est un regard sur un continent, certes, mais quel regard ?
Tout festival est une manière de regarder le cinéma. Les Rencontres du cinéma latino-américain sont une manifestation engagée et militante, mettant toujours en avant le cinéma dit « indépendant ». Nous essayons de donner à voir des points de vue différents des films généralement distribués dans les salles françaises qui, bien souvent, offrent un certain regard, si ce n’est le même regard sur l’Amérique latine.
Les œuvres que nous défendons sont, elles, porteuses de luttes et j’entends bien de luttes au pluriel. Notre sélection va à l’encontre de l’esthétisation, y compris dans sa représentation de la violence, qui ne tient pas forcément de discours politique. Nous ne critiquons pas ces films qui trouvent une diffusion et une distribution en France. Au contraire, nous nous réjouissons de cette diversité, mais préférons privilégier des œuvres où la forme et le fond se conjuguent.
Cette cinématographie est-elle bien diffusée et bien distribuée ou sont-ce les grands pays — Argentine, Brésil, Mexique — qui se taillent toujours la part du lion ?
Historiquement, il y a toujours eu des industries culturelles dans les grands pays. L’Argentine, le Chili, le Brésil, le Mexique et la Colombie depuis ces dernières années sont de plus en plus diffusés en salles. A contrario, les cinématographies de l’Amérique centrale sont beaucoup plus fragiles. En fait, nombre de films arrivant en Europe sont souvent des coproductions réalisées avec des sociétés de production françaises.
Les dispositifs et les outils mis en place permettent aux structures indépendantes latino-américaines d’atteindre de réels budgets pour prétendre à un véritable export et une diffusion. Quand on fait de l’art et essai ou du documentaire, on se tourne rarement vers l’Espagne nonobstant l’existence du fonds Ibermedia, mais bien vers la France qui est dotée de subventions à la création. Ainsi, le mécanisme de distribution repose pour beaucoup sur ces dispositifs. Et ces coproductions ont un accès privilégié au réseau des festivals comme au circuit des salles art et essai.
Néanmoins, on se confronte à l’écueil du film dit « confidentiel », proposition souvent récompensée mais uniquement visible dans le circuit des très gros festivals, et clairement inaccessible pour nous. Notre ligne éditoriale se tient par la force des choses à l’écart du cercle fermé des gros festivals obéissant à d’autres logiques économiques. Ce modèle met en concurrence des distributeurs et nous luttons contre ça en montant notre propre réseau, avec nos homologues de Grenoble, Annecy et Toulouse, afin de mutualiser pour amortir les coûts d’une copie ou de l’accueil d’artistes. On défend bec et ongles un espace de liberté avec des dynamiques et des philosophies autres.
Festival rime avec compétition. Vous décernez 2 prix — fiction et documentaire — remis par 2 jurys (public et professionnels). Est-ce par souci d’exhaustivité des points de vue ?
Cette distinction est-elle toujours pertinente ? Les pistes se brouillent désormais. Dès que l’on fait de l’image, il y a forcément un point de vue, y compris dans le documentaire. Toutefois nos racines font que cette séparation fait encore sens.
Elle donne en plus la possibilité aux gens du documentaire d’être reconnus, distingués et primés. Ces récompenses sont parfois la base initiant un nouveau projet. Aucune séparation ontologique, cependant nous avons à cœur de supporter le documentaire.
Les rencontres sont une manifestation de cinéma mais pas uniquement…
…France-Amérique latine, l’association qui porte la manifestation, est née en 1982 à Bordeaux. Son histoire, c’est celle de réfugiés politiques qui ont tissé des liens avec une communauté d’artistes, notamment chiliens ayant fui la dictature de Pinochet. Ces réfugiés se sont retrouvés autour d’un événement culturel pour parler d’Amérique latine, or tous les objets nourrissent la même réflexion.
Quel est le thème retenu cette année ?
« Migration et déplacements, élargir les perspectives, ouvrir le regard ». La migration est une expérience humaine universelle et nous souhaitons montrer les mille et une réalités du déplacement en Amérique latine trop réduit au cliché de l’exil vers les États-Unis.
Ainsi va-t-on diffuser Solo el mar nos separa, œuvre collective signée par 4 réalisatrices — 2 Shipibos-Conibos d’Amazonie déplacées à Lima et 2 Syriennes réfugiées dans le camp de Zaatari en Jordanie. Elles ont noué une correspondance vidéo durant 2 ans et réfléchi sur la notion de déplacement contraint. Voilà un film emblématique à nos yeux, établissant des ponts avec d’autres situations. On cherche en permanence l’empathie avec les spectateurs. Nous croyons que le cinéma reste le médium idoine pour observer la réalité du monde.
Qu’est-ce qui vous distingue du festival Biarritz Amérique latine ?
Notre spécificité est de ne pas obéir au marché. Clairement nous ne rêvons pas de grandir, ni de montrer de plus en plus de films. Notre approche est plus directe à l’image de notre contact avec le public durant la manifestation : la présence permanente de l’équipe offre une proximité inédite. Notre parcours est celui de citoyens du monde.
Propos recueillis par Marc A. Bertin
Informations pratiques
41es Rencontres du cinéma latino-américain,
du mercredi 20 au mardi 26 mars,
cinéma Jean Eustache, Pessac (33).