Miet Warlop, Gwenaël Morin et Philippe Quesne, un trio qui a marqué les esprits des dernières éditions du festival d’Avignon. Loin des cours, jardins et carrière vibrant du chant des cigales, leurs pièces se réinventent dans le noir des théâtres. Trois succès à voir ce mois-ci sur les scènes néo-aquitaines

One song, entêtante proposition de Miet Warlop

Il y a du défoulement, de la folie foutraque et de l’humour aussi, dans les œuvres-performances de Miet Warlop, artiste belge de 45 ans venue des arts plastiques, qui trace sur les scènes un chemin bien à elle depuis les années 2000.

One Song qui se propagea telle une traînée de poudre dans les rues d’Avignon 2022 déroge à la règle habituellement taiseuse de son œuvre, et déroule un texte en une rengaine pop-rock reprise sans relâche.

Tout dans la scénographie et les figures de cette pièce-concert nous ramène au sport et à l’effort : en fond de scène des gradins accueillent des supporters, une violoniste joue en déséquilibre permanent sur une poutre de gymnaste, un pom-pom boy effectue des allers-retours bondissants, une speakerine harangue son monde au mégaphone, un contrebassiste casqué gratte son instrument en faisant des abdos tandis que le batteur s’écartèle entre ses percus.

Quant au chanteur, il tient le micro depuis un tapis de course. Dans ce maelström à haute intensité de corps en sueur, une chanson, une seule — entêtante, énergisante, rejouée jusqu’à épuisement — tient lieu de leitmotiv.

En pleine vague des olympiades culturelles et commandes de créations sportives spécial J.O. un brin opportunistes, One Song trace une tout autre route, celle d’une performance commune, où l’euphorie collective tend vers un désir de communauté plus fragile qu’il n’y paraît. « L’idée est de vivre un véritable effort ensemble mais davantage du côté du sensible que de la technicité », résume l’artiste.

Le Songe, les badinages de Gwenaël Morin

Deux semaines durant Gwenaël Morin et sa troupe ont occupé l’été dernier le jardin de la rue de Mons, adossé à la Maison Jean Vilar. Leur version du Songe d’une nuit d’été — ramassé en Le Songe — y éclatait d’énergie, de simplicité du plaisir du jeu, au cœur de ce scénario léger et fantasque d’histoires d’amour et de désirs.

Gwenaël Morin, metteur en scène, habitué à décaper à l’os le répertoire, à faire théâtre avec le moins d’artifice possible, tient là le pari de faire tenir tous les personnages de la comédie shakespearienne avec quatre comédiens : Virginie Colemyn, Barbara Jung, Julian Eggerickx et Grégoire Monsaingeon, tous ayant fait partie de l’aventure du Théâtre Permanent des Laboratoires d’Aubervilliers.

Au milieu d’un décor de rien — un portant sur roulettes qui sert, tour à tour, de coulisse ou de forêt, un synthé, quelques tresses de lierre accrochées au cou —, ils se présentent en simples dessous qu’une toge au drapé vite fait vient parfois recouvrir.

Dans un tourbillon de mots et de situations, la troupe arpente les profondeurs de la nuit chaude, grimpe les montagnes du désir, s’amuse joyeusement des amours contrariées de deux couples d’Athéniens qui n’en finissent plus de se fuir, de se rater, de se tromper, surtout lorsque les fées et les élixirs s’en mêlent. Futur artiste associé du TnBA, Gwenaël Morin reviendra à Bordeaux la saison prochaine présenter son adaptation de Quichotte de Cervantes, créée à Avignon cet été, avec Jeanne Balibar dans le rôle phare. Une tout autre épopée…

La fantasmagorie de Philippe Quesne avec Le Jardin des délices

Philippe Quesne, adepte d’un théâtre où la narration laisse place à un imaginaire plastique et décalé (de La Mélancolie des dragons aux Taupes ou Farm Fatale), a frappé un grand coup en juillet 2023 avec sa fantasmagorie en plein air, Le Jardin des délices, inspirée du célébrissime triptyque de Jérôme Bosch (1450-1516), conservé au musée du Prado, à Madrid.

Au cœur de la puissante carrière de Boulbon, lieu mythique du festival, « ce cirque de pierre émouvant, plus profond, plus large que la Cour d’honneur », sa fable rétrofuturiste prenait tout son sens, cernée par les falaises de pierre blanche, dans un air saturé de cigales et de pinède craquante. Depuis l’immensité de ce grand vide, arrivaient un bus peuplé d’une bande hétéroclite, cow-boys ethippies, et un œuf géant, objet totem qui d’emblée posait l’étrange en pierre angulaire.

Philippe Quesne a voulu puiser dans cette période trouble et incertaine entre Moyen Âge et Renaissance, matière à penser le monde à venir. Cette capacité de Bosch à mêler le sacré aux figures fantasmagoriques, à dire l’inquiétude d’un monde, tout en célébrant la liberté artistique se retrouve dans le foisonnement de motifs luxuriants et contemplatifs de la pièce — un poète médiéval croise un extraterrestre, un chœur entonne du Purcell depuis le bus, un marteau-piqueur manque de troubler la fête — qui tend des ponts symboliques et sensibles entre le passé et le présent.

Depuis cet automne, la troupe éprouve ce Jardin des délices dans la boîte noire, non sans emporter « un peu de la carrière » au plateau, de son esprit, de sa magie.

Stéphanie Pichon

Informations pratiques

One Song, Miet Warlop,
du mercredi 27 au vendredi 29 mars, 19h30,
grande salle Vitez, TnBA, Bordeaux (33).
Bord de scène jeudi 28 mars.

Le Songe, adaptation, mise en scène et scénographie Gwenaël Morin,
jeudi 7 mars, 20h30,
Le Théâtre, Bressuire (79).

du mardi 12 au jeudi 14 mars, 20h30,
sauf le 13/03, à 19h30, TAP, Poitiers (86).

Le Jardin des délices, Philippe Quesne,
du vendredi 5 au samedi 6 avril, 20h30,
Le Carré, Saint-Médard-en-Jalles (33).

Laisser un commentaire

Votre adresse e-mail ne sera pas publiée. Les champs obligatoires sont indiqués avec *