Plus que jamais au grand air, avec le réseau hydraulique de la métropole comme terrain de jeu et une installation lunaire comme repère éclairant, le FAB, sans se priver des théâtres, privilégie les grands rendez-vous outdoor et gratuits. Décryptage de quelques-unes des forces motrices de cette édition 2023.

Un début lunaire pour le FAB

Dans la courte histoire du FAB, il y a eu l’eau, le paradis ou des focus géographiques comme fil rouge. Pour la 8e édition, la directrice Sylvie Violan file la métaphore lunaire. Quoi de plus évident dans ce « Port de la lune » millénaire, en référence aux méandres de la Garonne et aux forces des marées, qui l’ont mis à l’abri des remous et des tempêtes océaniques.

Tout commencera donc le 30 septembre par une nuit de pleine lune, à la laquelle le FAB rajoute un deuxième astre géant nommé Moonburn, conçu par le collectif néerlandais Stichting Barstow. Elle se lèvera en début de soirée sur les quais des Chartrons, boule géante de 6m de diamètre, capable d’emmagasiner la lumière le jour et devenir phosphorescente la nuit.

Il faudra encore lever les yeux pour l’improbable récital d’un pianiste fou Alain Roche, l’un des artistes invités par le Centre Culturel Suisse, partenaire de cette édition. À 50 mètres au-dessus du chantier de Brazza, tout en haut d’une grue, il jouera attaché à sa chaise, le piano suspendu dans les airs verticalement, pour un concert aérien nourri des bruits spécifiques du chantier bordelais. Vertigineux !

Chemins de traverses originaux de Bordeaux avec le FAB

Sylvie Violan aime employer le mot de « nouvelles géographies » et de paysages urbains pour nourrir sa vision d’un festival des arts vivants secouant la ville, et la révélant autrement. Traversées, balades, épopées ambulantes, intrusions dans un centre commercial en constituent la face remuante, pleine de fourmis dans les pieds.

Ainsi voguera la toute jeune compagnie suisse Ouinch Ouinch, collectif né à l’école de la Manufacture de Lausanne, qui a choisi la joie, le carnaval, l’effervescence comme moteurs. Leur dernière création emmène le public le long de la Garonne pour partir en quête de la Grande Cachalotte égarée. Une épopée écologique aux élans de manifeste burlesque qui se tisse de batailles d’eau enfantines, de tempêtes secouantes, de chants et de processions funèbres.

Suisse toujours, le duo Igor Cardellini et Tomas Gonzalez opte lui pour L’Âge d’or, un tour-operator dans les allées du centre commercial de Mériadeck. Casqués, emmenés par un guide-conférencier, les spectateurs naviguent en observateurs décalés de ce temple de la consommation.

Et puis si vous êtes curieux de découvrir les dessous du quartier Euratlantique, ville dans la ville en perpétuelle transition et construction, il faudra suivre Sylvain Prunenec, danseur et chorégraphe habitué des grandes traversées, notamment sur le 48e parallèle. ça traverse…, grande balade participative naviguera de Belcier à Floirac, avec des surprises botaniques, siffleuses ou calligraphiques.

Et pour finir de prendre le large, c’est avec les Mexicains de la compagnie Foco alAire qu’il faudra déambuler. Soit dix personnages aux visages expressifs et aux masques troublants, dont la parade hypnotique se transforme en doux bal à la joie contagieuse.

Une programmation pleine de paillettes

La programmation internationale du FAB apporte toujours son lot d’artistes ultra-reconnus. Le festival frappe un grand coup cette année avec la venue d’Anne Teresa De Keersmaeker, l’incontournable chorégraphe belge, qui inonde les scènes internationales de ses créations au cordeau, dans un insatiable et fructueux dialogue entre danse et musique.

Exit Above, d’après La Tempête, sa toute nouvelle création dont la première a eu lieu à Avignon, ouvrira le bal des spectacles en salle le 3 octobre. Exit les explorations du répertoire baroque, les partitions de Bach ou les polyphonies médiévales : elle suit là un filon d’une musique plus populaire, navigue des racines du blues aux beats techno, emportant treize danseurs dans une chorégraphie millimétrée de la marche.

Moins rare à Bordeaux, mais tout aussi demandé sur toutes les scènes d’Europe, François Gremaud (Conférence de choses, Phèdre…) revient avec deux nouveaux opus qui conservent la même ligne directrice que Phèdre. Une scénographie minimaliste pour explorer en solo une pièce de répertoire, et la faire vibrer tout en racontant le contexte. Ici donc des versions étonnantes de Giselle, grand ballet romantique du répertoire, et de Carmen, l’opéra de Bizet.

Deux interprètes éblouissantes tiennent la barre de ces spectacles hors norme, pleins de fougue et d’humour : Rosemary Standley, chanteuse de Moriarty en Carmen provocante et rebelle, Samantha van Wissen, ancienne danseuse d’Anne Teresa De Keersmaeker, en danseuse capable de se glisser dans les pas de tout un ballet.

Un festival engagé

40 téléphones d’un autre temps (ni smart, ni mobile) s’installent dans la bibliothèque de Mériadeck. Au bout du fil, les textes d’écrivaines contemporaines consacrés chacun à des figures féminines de la littérature, de Toni Morrison à Sylvia Plath. Cinq minutes pour plonger dans un univers, prendre conscience d’un matrimoine littéraire encore trop marginal. Julie Gilbert compose depuis des années ce répertoire incongru, cette bibliothèque sonore des femmes, qu’elle balade et étoffe constamment. À Bordeaux un nouveau téléphone sera créé, celui de Muriel Pic sur Marguerite Duras.

Au Glob Théâtre, partenaire de l’édition, le festival se terminera par des cris retentissants, ceux d’une génération d’artistes palestiniens, qui créent malgré les entraves, malgré les frontières et les enfermements. « Me voilà » (And Here I Am) lance Ahmed Tobasi, directeur du Freedom Theatre, dans les territoires occupés de Cisjordanie. Seul en scène, il raconte le parcours d’un enfant, Ahmed, qui, des terrains de foot de Jénine à l’exil norvégien, construit un parcours d’homme libre.

Des entraves il sera question aussi avec Losing it de Samar Haddad King et Samaa Wakim. Artistes et chorégraphes, installées entre Haifa, Ramallah et les États-Unis, elles explorent sans un mot, en corps et en musique, la question des frontières : une corde verte, des équilibres, le chaos tout autour. Et l’imagination comme puissance de résistance.

Stéphanie Pichon

Informations pratiques

Festival international des arts de Bordeaux,
du samedi 30 septembre au dimanche 15 octobre.

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