Depuis janvier 2021, à la tête de la Direction régionale des affaires culturelles (DRAC) de Nouvelle-Aquitaine, Maylis Descazeaux l’ancienne directrice régionale adjointe des affaires culturelles de Provence-Alpes-Côte d’Azur, passée, entre autres, par le Centre national du Cinéma et de l’Image animée, supervise le travail de 280 agents sur un territoire plus grand que l’Autriche et plus peuplé que le Danemark.

Dotée d’un budget de 103 M€, la DRAC Nouvelle-Aquitaine n’est ni un guichet à subventions, ni un machin désincarné au sigle barbare. Il y a la surface emmergée de l’iceberg — notamment les manifestations nationales : Journées européennes du patrimoine, Été culturel — et les actions menées au quotidien, hélas méconnues y compris des professionnels de la profession. Créées en 1977, les DRAC n’incarnent-elles pas une certaine idée de la culture si ce n’est de l’exception française ?

Pour le grand public, DRAC n’est qu’un acronyme supplémentaire dans le vocable administratif français fort pléthorique en la matière. Alors, une DRAC, qu’est-ce et à quoi sert-elle ?

Les Directions régionales des affaires culturelles font partie des services déconcentrés du ministère de la Culture avec des antennes départementales où œuvrent les architectes des bâtiments de France. Elles couvrent l’ensemble du territoire français, de la Métropole aux outre-mer.

Une DRAC a trois grandes familles de mission. Il y a d’une part la préservation, l’entretien et la valorisation du patrimoine, qu’il soit monumental, muséal, archéologique ou archivistique. Autre grande mission, le soutien à la création et aux artistes. Un vœu et une mission façonnés depuis André Malraux, via notamment l’organisation d’un réseau de lieux de présentation comme les centres dramatiques nationaux élargis ensuite aux autres labels de l’État.

Cette politique inclut les industries culturelles (le livre et l’image animée, cinéma et audiovisuel notamment). Enfin, une mission d’élargissement des publics destinée à rendre les œuvres accessibles au plus grand nombre — c’est un défi permanent loin d’être atteint.

Bras armé d’un ministère dans les territoires, nous exerçons également, sous l’autorité du préfet de région, voire, pour certaines attributions, des préfectures de département, une fonction d’expertise et de conseil auprès des diverses collectivités territoriales et des partenaires culturels locaux. En résumé, nous avons la charge de la bonne mise en œuvre, sur le plan régional, des priorités portées par le ministère de la Culture. En tant que directrice régionale, je constate que les DRAC sont une somme étonnante de compétences et d’expertises fines, mobilisées au service de la chose publique.

Trois grandes priorités donc, comment fait-on pour veiller au bon équilibre ?

Nous possédons des moyens dédiés pour chaque volet et la répartition, qui se veut la meilleure possible, se fait en fonction des caractéristiques de chaque territoire. Nous veillons en permanence à ce bon équilibre, du moins à son respect.

Nous scrutons les initiatives surtout dans les territoires où les propositions culturelles sont peu nombreuses ou peu accessibles ; souvent en lien avec des réalités démographiques ou d’équipements. Nous favorisons alors l’itinérance pour ancrer la création dans ces territoires et déployons une politique de résidence volontariste dans tous les disciplines pour inciter à une proposition en direction des publics. Concrètement, nous repérons les manques et faisons tout pour les combler.

À l’aune de ce travail mené dans les territoires, n’entreriez-vous pas en concurrence avec les agences régionales comme ALCA1 en Nouvelle-Aquitaine ?

Nulle concurrence, simplement une compétence partagée. L’enjeu est de travailler intelligemment ensemble, d’éviter les redondances et de favoriser les effets de levier les plus efficients. C’est vraiment le cas en Nouvelle-Aquitaine car nous avons un dialogue fluide et fructueux. La France, et c’est tout à son honneur, bénéficie d’une politique hyper-sophistiquée adaptée à toutes les facettes de la réalité culturelle.

L’enjeu est de travailler intelligemment ensemble, d’éviter les redondances et de favoriser les effets de levier les plus efficients.

Certes ce n’est pas entièrement abouti, toutefois le sur-mesure existe. Pour la filière du livre, en Nouvelle-Aquitaine, cela passe par exemple par ALCA, qui est le guichet d’accueil unique pour nombre de dispositifs portés par différentes institutions publiques y compris le CNL2. C’est un endroit de facilitation et de soutien pour tout demandeur de la filière.

Dans le livre, comme dans tous les secteurs de la création, il est vrai que le même périmètre d’intervention entraîne parfois de la confusion. Toutefois le soutien pluriel à l’expression artistique — un impératif démocratique — est respecté. Voilà l’essentiel : une pluralité de soutiens au service d’une pluralité d’expressions.

Les DRAC accompagnent les collectivités dans la généralisation de l’éducation artistique et culturelle (EAC), toutefois, l’ambition d’un label « 100% EAC » ne relève-t-il pas de l’illusion ?

Le label « 100% EAC » est une grande priorité du quinquennat. 100% des enfants, quelle que soit leur situation, doivent avoir accès à un parcours artistique et culturel, réitéré chaque année, et, au terme de leur scolarité, une multitude d’expériences.

Cet accès à l’œuvre (au musée, au théâtre, au patrimoine architectural) est nécessairement accompagné dans le temps par un corpus de connaissances solide et une pratique liée à cet accès à l’œuvre. À l’origine, il s’agit d’une collaboration souhaitée et encouragée entre l’Éducation nationale et le ministère de la Culture, un partenariat jadis mis en œuvre mais qui était encore en germe. Or, on a observé les effets positifs sur les enfants. Emmanuel Macron, alors candidat à l’élection présidentielle de 2017, en avait fait un des enjeux de son mandat.

Depuis son élection, il y a eu une augmentation plus que significative des moyens dévolus à l’EAC : une mobilisation des équipes pédagogiques, mais aussi des crédits alloués à la nécessaire rétribution des artistes et des ateliers. Sans oublier, dans sa version collective, un dispositif et non des moindres : le Pass culture.

Quand une collectivité sollicite l’obtention du label « 100% EAC », le but est de savoir tout ce qui se passe, de recenser et d’identifier les offres de qualité, de leur contenu à leur médiation, pour généraliser et développer le dispositif.

La DRAC émet alors un avis, favorable ou non, pour l’attribution du label. Ce processus s’inscrit dans la durée, le tout nourri d’échanges au long cours. L’effet d’engouement chez de nombreux élus est indéniable, quelle que soit leur étiquette. Ils sont non seulement persuadés des effets bénéfiques de ce dispositif, mais également de son bien-fondé. Le mouvement est compris et bien amorcé en Nouvelle-Aquitaine, avec 16 collectivités déjà labellisées. Ce sujet grand public, qui bénéficie désormais d’une charte et de moyens supplémentaires, ne cesse de se démocratiser. Aussi, soulignons l’effort vertueux, mais la qualité de l’accompagnement demeure primordiale.

Comme beaucoup d’actions, il y a le visible et l’invisible. Les DRAC interviennent ainsi dans les milieux dits fermés ou bien en milieu hospitalier. Pourquoi ?

C’est à rattacher à nos missions de démocratisation de la politique culturelle et de bon accès aux œuvres quels que soient le public et les difficultés qu’il rencontre (sous main de justice, milieu hospitalier). Il s’agit de propositions construites sur mesure en fonction de la nature des établissements. Il n’y a pas d’autre enjeu.

Pour en revenir aux enfants, là encore nous tentons d’organiser un accès à l’œuvre quelle que soit la situation dans laquelle ils se trouvent, placés dans un institut médico-éducatif ou accueillis dans le cadre de la petite enfance. L’ambition, c’est la rencontre avec la chose culturelle afin qu’ils se sentent plus tard familiers et donc légitimes face aux propositions culturelles.

Nouvelle manifestation nationale créée par le ministère de la Culture, l’Eté culturel vient de s’achever. Quels en sont les objectifs et à qui s’adresse-t-il ?

À l’origine, il s’agit d’une mesure d’urgence, décidée en mai 2020, alors que nous étions en pleine pandémie, pour une application au mois de juin suivant. Il fallait, selon le souhait émis par le gouvernement, apporter une offre culturelle aux enfants qui ne partaient pas en vacances. Nous avons dû mettre à l’épreuve notre capacité à sortir de nos « lieux communs ».

Toutes les DRAC ont réussi, en un mois et demi, à proposer un programme d’actions et d’interventions. Durant l’été 2020, il y a eu un foisonnement inédit d’initiatives, dont beaucoup sont désormais reconduites. En outre, nous devions remettre au travail des artistes bloqués dans leurs pratiques. Il ne s’agissait pas d’une simple indemnisation, plutôt d’entrevoir des formats de résidence, parfois dans des lieux improbables comme des centres de loisirs ou des auberges de jeunesse. Les interactions ont été plus que vertueuses.

Aujourd’hui, l’Été culturel est devenu une manifestation nationale, qui s’adresse toujours aux mêmes bénéficiaires (les Français ne partant pas en vacances ; les jeunes publics ; les publics fragilisés) avec une attention particulière portée aux quartiers prioritaires de la politique de la Ville et aux zones rurales. La sanctuarisation de ce dispositif est un signal d’encouragement.

Cela constitue néanmoins une charge de travail pesant sur l’engagement de nos équipes. Mais finalement, on pourrait dire la même chose de l’ensemble du plan France relance dans la culture qui a été très efficace et a permis un dispositif très agile. On a ainsi pu aider des opérateurs inconnus et répondre plus loin et plus vite à des besoins urgents, en dépassant nos cadres habituels d’intervention.

Du 16 au 17 septembre, se déroule la 40e édition des Journées européennes du patrimoine. Cette année, deux thèmes au menu : « Patrimoine vivant » et « Patrimoine du sport ». Quel est leur objet : rendre accessible l’inaccessible ou valoriser sans hiérarchie le patrimoine ?

À mon sens, encore autre chose… Certes, on joue sur la curiosité pour familiariser encore plus le public. Or, il s’agit surtout de former le regard sur le patrimoine notamment contemporain, de glisser des clés de compréhension du bâti, qui est la forme la plus accessible de culture mais trop souvent la plus méconnue. On veut aider à décrypter y compris les savoir-faire, traditionnels ou non.

Le succès des Journées européennes du patrimoine ne se dément pas car il y a une véritable passion française, un attachement viscéral. C’est le moment où « c’est permis ». Ces questions de l’autorisation vis-à-vis de la culture, de la légitimité à être dans les lieux de culture, voilà à quoi elles répondent !

Propos recueillis par Marc A. Bertin

  1. ALCA, agence livre, cinéma et audiovisuel en Nouvelle-Aquitaine.
  2. Centre national du livre.
1 commentaire
  1. Que faut il commenter? La continuité d’une responsabilité publique qui répète la même chose depuis 1959 sans parvenir à changer la réalité…l’avenir d’une illusion pourrait on dire.
    Ou une responsabilité publique qui refuse d’appliquer les 4 lois qui exigent pourtant le respect des droits culturels des personnes. Sciemment hors la loi, en somme.

    Dans les deux cas, c’est peine perdue de commenter avec des risques de représailles que l on a pu observer récemment.

    Même à mon âge et avec mes états de service de Drac, je préfère ne rien dire de plus.

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