Avec Aberration, solo tout en métamorphoses présenté à La Manufacture CDCN, à Bordeaux, le chorégraphe Emmanuel Eggermont dérive dans un espace-paysage immaculé. Une obsession monochrome.

Avant le blanc qui envahira tout — sol, costumes, décor, peau —, Emmanuel Eggermont, magicien des formes plastiques, esthète des univers chromo-chorégraphiques, commence Aberration dans un noir presque total. Un solo bicolore présenté, en partenariat avec le TnBA, lors de deux dates hors les murs les mercredi 3 et jeudi 4 mai à La Manufacture- CDCN à Bordeaux à 20 heures.

Comme si là, sur le plateau et peut-être dans la mémoire du spectateur, cette sombre ouverture nous reliait à sa précédente pièce, Polis, présentée en 2019, déjà sur la même scène de la Manufacture CDCN.

Aberration : la transition du noir au blanc

L’outrenoir façon Pierre Soulages y enveloppait une communauté d’individus à la recherche d’organisation collective. « Polis était la première pièce à proposer une monochromie au plateau », explique le chorégraphe dans une interview au Carreau du Temple.

« Tout était noir, un noir fait de matières — la scénographie, les costumes ou même la danse. Même pour la danse, je préfère parler de matières et textures plutôt que de phrases, de mouvements. Cette pièce pour cinq interprètes parlait de la formation de l’organisation de la cité, c’est-à-dire du construire ensemble. À force d’éclairer le noir, de jouer sur ses brillances, se révélait de la lumière… Le noir est devenu gris, puis est devenu blanc. C’est alors que je me suis dit que j’aimerais travailler sur une pièce qui soit le pendant de Polis, une pièce sur le blanc, qui ferait le lien avec l’œuvre de Roman Opalka [peintre polonais, 1931-2011, obsédé par la question du temps, NDLR]. »

La blancheur de la page vide où tout réinventer

Et, de fait, au plateau sur lequel se répondent deux grands stores à lamelles amovibles, passées les premières minutes, le noir laisse place au gris, puis au blanc éclatant. Une couleur souvent associée à la pureté ou la virginité, qui serait ici plutôt celle de la page vide où tout réinventer. La blancheur aiguise tous les reliefs, toutes les « aberrations », accidents. Formes géométriques et mouvements se transforment constamment sous les effets des lumières-lignes d’Alice Dussart et de l’electro aux humeurs changeantes de Julien Lepreux, tous deux collaborateurs de longue date.

Emmanuel Eggermont commence ce solo aventurier en lutin capuchonné, tenue urbaine, mi-gamin, mi-voyou, presque sans visage. La gestuelle est brisée, précise, inattendue. Au cœur de ce paysage monochrome qu’il traverse, élargit, observe, le corps aux gestes lents, presque religieux, provoque des dérivations architecturales, des glissements imaginaires, trace une route toute personnelle.

Multiplication des mondes et des danses

Sur son chemin ponctué de poignets labiles, de pliés expressifs et de profils orientaux, le moindre objet — une coiffe pointue —, la moindre matière — filet, talc, papier — enclenchent un changement de perception ou d’époque. Il deviendra ainsi tour à tour, princesse-mannequin, page médiéval au bec d’oiseau, momie poudreuse, ou prince égyptien taquin.

Le corps d’Eggermont semble trimballer des mondes et des danses, surgies de toutes ses vies. Le chorégraphe, entré dans la quarantaine, a reçu une solide formation contemporaine au CNDC d’Angers, avant de rejoindre une compagnie expressionniste espagnole. Il passe deux ans en Corée du Sud, puis rencontre Raimund Hoghe, dramaturge de Pina Bausch, dont il deviendra interprète pendant quinze ans. Aberration concentre ces filiations multiples, et réaffirme cette faculté à faire naître un environnement ultra-sensible depuis les relations corps/objets/images.

Stéphanie Pichon

Informations pratiques

  • Aberration, concept, chorégraphie et interprétation Emmanuel Eggermont.
  • Du mercredi 3 au jeudi 4 mai, 20h,
  • La Manufacture CDCN à Bordeaux
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