8e album en deux décennies de carrière, Âge fleuve constitue l’une des plus belles surprises en ce début d’année. Nouveau disque, nouveau label, nouveau line-up… l’occasion rêvée de s’entretenir avec le musicien de Saintes, désormais établi à Ondres, dans les Landes.
Comment allez-vous ?
Ça va très bien, je traverse une période porteuse et j’ai le sentiment que beaucoup de vannes s’ouvrent. Pour autant, je ne m’endors pas sur mes lauriers. Loin de moi la sérénité. Je reste vigilant afin de poursuivre au mieux mon parcours. J’ai plein d’envies comme des sons plus lourds, plus enrobants.
Après 20 ans de carrière et 8 albums, comment appréhendez-vous la sortie d’un nouveau disque ?
L’époque a changé. En 2005, pour The People to Forget, mon premier format long, j’étais dans l’auto-promotion, seul, isolé, à Bristol, en Angleterre, baignant dans cette émulation autour de l’indie-rock. Aujourd’hui, j’ai certes franchi des étapes, mais conserve cette sensation des débuts : faire ses preuves pour exprimer au mieux ce que je fais.
En réalité, rien n’est acquis, à la différence notable que, désormais, je calibre mieux ce que je veux. J’ai réussi à assouvir plein d’envies, je sais cibler. J’ai également appris à déléguer à mes collaborateurs. Je me sens tel un artisan à l’œuvre depuis longtemps et dont le geste se précise, mais avec ce perpétuel sentiment du « peut mieux faire ».
Natif de Saintes, passé par Bristol, désormais établi sur le littoral landais, un troisième album intitulé Plaine inondable, le dernier baptisé Âge fleuve… autant dire que pour vous, l’eau dépasse le symbolique, non ?
L’élément liquide est une ressource première indispensable pour moi. Sur The People to Forget, Where’s the River donnait déjà un indice… Aujourd’hui, j’habite au bord de l’océan, à Ondres. Cela constitue un aboutissement après avoir vécu à Bristol, Bordeaux, Bruxelles, Paris et même Athènes, à l’époque de Banane bleue, qui était présentée tel un eldorado artistique.
Les lieux déterminent-ils la couleur d’un album ?
Je crois fermement à l’influence des éléments sur la musique. Pour les paysans, l’environnement proche est une évidence. Tout concourt : la topographie, une ambiance, un climat…
Ici, vous avez retrouvé des figures croisées jadis comme Petit Fantôme…
…sans parler du studio Shorebreaker de Johannes Buff, un élément plus que décisif dans mon choix. L’avenir est aux petites communautés, aux cercles artistiques. Je suis le fruit d’une communauté de Bristol, soudée autour du Cube Microplex, tout à la fois coopérative, cinéma, lieu d’événements. J’adore ces espaces d’échanges, de débats et de vie. Je retrouve cette énergie à l’Atabal ou à Pioche Projects. Un chouette vivier.
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Vous semblez toujours autant apprécier les collaborations — on se souvient de Park avec Lysistrata — puisque vous avez invité Thomas de Pourquery, Malik Djoudi et Rozi Plain sur Âge fleuve.
C’est lié à l’enfance, les premières sensations éprouvées, alors que l’on fait son truc seul dans son coin, face à quelqu’un que l’on rencontre et qui partage la même passion. On est curieux de savoir quand on découvre une personne inspirante.
On se dit : « Et si on faisait ? » Et, si ça marche… Wow ! On est comme les Ghostbusters croisant leurs fusils pour capturer un ectoplasme ! C’est la même envie qui anime, motive, tout en se disant secrètement qu’il y aura toujours moyen d’aller plus loin, notamment en studio. Rozi, c’est dans la continuité des choses car nous faisions du cinéma et de la musique à Bristol. Malik, c’était un vrai désir que je voudrais prolonger côté production tant j’adore ses idées. Quant à Thomas, c’est un tel ouragan de chaleur…
On sent chez vous une volonté voire une exigence vis-à-vis des musiciens tant en studio que sur scène.
Je recherche toujours une personne avec une sensibilité commune. Ensuite, je nourris des envies mais avec des artistes hélas inaccessibles pour quelqu’un comme moi dans son biotope indé. Néanmoins, même avec des musiciens qui ne sont ni reconnus, ni virtuoses, on peut exceller à condition de savoir donner de la place. On finit par trouver une intention très fine grâce à l’envie ou l’expérience. Il suffit de trouver le moment pour qu’émerge une espèce de troisième voie.
Qu’est-ce qui a fondamentalement changé en 20 ans dans le milieu musical ?
Le contexte socio-économique est plus difficile. Je constate à regret un désintérêt général pour l’émergence et l’indépendance. Le public est plus enclin à payer une fortune pour voir une grosse tête d’affiche plutôt que de débourser 15€ pour un nouveau groupe. La culture de la découverte a disparu.
Cela me perturbe y compris dans ma façon de fonctionner. Je suis foncièrement attaché aux petites structures. Sinon, d’un strict point de vue créatif, je ne m’inquiète pas. Je marche à l’envie depuis mes débuts. Et je reste curieux, découvre de nouveaux talents chaque semaine. La relève est là.
Tourner procure-t-il toujours autant de satisfaction ?
La scène, c’est le cœur et le poumon. Je ne sais pas si je sortirais des albums sans la perspective du live… ou alors différemment, à une autre échelle. La scène, c’est le Graal, l’instant de vérité, où je redouble d’efforts.
J’adore le sentiment de proximité dans un café musique ; une expérience sans cesse particulière. Tout comme j’apprécie de jouer dans les SMAC, regardant transi les posters des artistes qui s’y sont produits. Quant aux grosses scènes, c’est le fun. Présentement, je suis excité de repartir avec les Atlas Mountains 2025, en formule trio, back to basics. On s’est bien trouvé. C’est hyper vif, ça décuple l’intensité.
Musicien de nos jours, c’est inévitablement une présence active sur les réseaux sociaux. Appréciez-vous cet aspect du métier ?
C’est chronophage, parasitant, toutefois, j’apprécie la circulation des images, une extension de mon geste artistique, dessinant et peignant de longue date. J’aime donner un écho à ma musique via les images, mais toutes ces plateformes ne font pas que du bien… Loin de là.
Trouvez-vous encore le temps de jouer pour vous, sans autre considération que votre plaisir ?
Jouer pour soi ? C’est rare, néanmoins cette frustration est source d’inspiration, produisant des instants magiques, des micro-épiphanies après un repas ou avant de se coucher.
Votre récente signature chez InFiné a de quoi surprendre…
…j’ai croisé plusieurs artistes de cette étiquette par le passé, de Lucie Antunes à Seb Martel en passant par Rone. On s’appréciait. J’ai toujours aimé cette maison de disques, particulièrement investie dans la promotion de ses artistes.
C’est une des dernières structures indés françaises, donc il était logique de signer avec elle. Je suis très excité car voilà une maison de disques cataloguée « musiques électroniques » s’ouvrant à d’autres esthétiques. Un bel appel d’air. J’ai passé une décennie chez Domino, mais nous étions arrivés à la fin d’un cycle. Je sentais un enthousiasme et une motivation moindres autour de la sortie de Banane bleue…
Un musicien écoute forcément beaucoup de musiques pour le plaisir ou pour s’en nourrir. Quel est votre rapport ? Pur fan ou professionnel ?
Je demeure toujours fasciné par ce que j’écoute. Je reste effectivement très fan. L’un de mes derniers coups de cœur, c’est Diamond Jubilee de Cindy Lee. J’écoute beaucoup de musiques, et nombreuses sont celles que je n’ai eu moi-même le temps d’explorer. Il me faudrait plus d’une vie !
Vous n’avez jamais aussi bien chanté que sur Âge fleuve. On devine un plaisir inédit, une libération…
…SiAu, qui a produit le disque, a beaucoup travaillé sur la voix, privilégiant souvent les premières prises, l’intention naturelle. Avant, mes albums sonnaient avec cette couleur du live en studio, la voix un peu en « rappel ». Âge fleuve met en valeur un registre plus émotionnel. Dorénavant, je sais à peu près quoi faire de ma voix. Je connais le véhicule.
Propos recueillis par Marc A. Bertin
Informations pratiques
Âge fleuve (InFiné),
Frànçois and The Atlas Mountains + Vincent Bestaven,
vendredi 28 février, 19h30,
Atabal, Biarritz (64).
Frànçois and The Atlas Mountains + Victor Solf,
samedi 22 mars, 20h30,
La Nef, Angoulême (16).
Frànçois and The Atlas Mountains,
samedi 17 mai,
salle des fêtes du Grand Parc, Bordeaux (33).